Les Qeros, un peuple descendant des Incas mais plus pour longtemps

Montagnes et chevaux dans la région de CuzcoTrouver une communauté autochtone relève de la gageur dans deux des trois régions péruviennes. L’Amazonie péruvienne, la selva comme disent les Péruviens, abrite plusieurs communautés, tels les fameux Shipibos. La costa quant à elle, la côte ensablée et désertique, recèle bien des trésors archéologiques mais ne comporte aucun groupe d’indigènes. Et enfin, la troisième région, qui coupe en deux le Pérou avec un couteau haut de six mille mètres : la Sierra des légendes oubliées, des hauts plateaux qui se disputent avec des pics sans fins, lieu où le Machu Picchu fut découvert il y a plus d’un siècle. Ce fut la patrie du centre oraculaire de Chavín de Huántar, complexe archéologique éminemment important pour comprendre le Pérou antique, mais aussi des Chachapoyas au nord, ou encore les Incas au sud, dont la capitale Cuzco signifie le nombril du monde.

Homme à cheval et en sandales à 5000 mètres dans les montagnes de la région de Cusco
Cet homme est en sandales à 5000 mètres !

Les Incas ont progressivement disparu avec l’arrivée des Conquistadors hispaniques. Profitant des luttes internes, l’Espagnol Pizarro a mis à genoux avec une poignée d’hommes l’un des deux plus grands empires que l’Amérique Latine préhispanique a jamais connu. Tout ce qui nous reste à voir des Incas, une civilisation sans écriture, réside dans les prouesses technologiques et architecturales qu’ils réalisèrent. Nos informations sur leur culture reste lapidaire et surtout très ethnocentrées, puisqu’à quelques exceptions près seuls les chroniqueurs européens qui ont consigné leurs récits. J’écris à quelques exceptions près, car Inca Garcilaso de la Vega, un métisse descendant d’un Capitaine espagnol et d’un princesse inca, fut le premier Inca à coucher par écrit les légendes et histoires incaïques dans son fameux ouvrage « Comentarios Reales de los Incas » [1]. Il s’agissait de la première fois qu’un Inca partageait sa vision de son monde, même si de la Vega a reçu une éducation mixte.

Les Incas, un peuple indigène de la Sierra, auraient-ils pour autant définitivement disparu, comme la majorité des peuples d’Amérique du Sud ? Une communauté déclare que non. Il s’agit des Qeros, un groupe de 5 communautés vivant à quelques heures de route depuis Cuzco. Lorsque j’ai découvert leur existence, et surtout leur prétention à un héritage aussi prestigieux, j’ai eu envie d’apprendre à les connaître, et pouvoir partager avec eux des histoires d’autres peuples autochtones, comme celles des Bribris ou des Kogis. Le problème que je rencontre systématiquement dans la recherche de communautés indigènes, c’est que tout le monde clame les connaître, mais personne ne sait vous dire où est-ce qu’ils vivent. Je me suis donc rendu à Ocongate, un village dans les montagnes cusquéniennes, ayant recueilli le nom de cette ville lors de mes enquêtes, pour pouvoir m’approcher des derniers descendants des Incas.

La rencontre avec les Qeros

Une fois parvenu au minuscule village, mes investigations se compliquent par la méconnaissance des locaux, mais j’ai la chance de faire la rencontre d’un Qero qui vient là faire ses courses. Il a une soixantaine d’année, se prénomme Sebastian et parle principalement quechua. Son fils Henry nous rejoint, et la conversation se fait plus fluide car lui parle espagnol. Je leur demande de passer la nuit chez eux, ils ne répondent pas directement mais m’invitent à me rendre à leur habitation. Je les accompagne, et nous nous retrouvons dans la cour d’une série de bâtisses modernes à mâcher de la coca et bavarder. Je ne le comprendrai que plus tard, mais il s’agissait d’une discussion préalable pour décider de mon sort : visiblement ma conversation leur plût, puisque je passerai 24 heures avec eux. Ce fut un échange relativement bref que je vécu auprès d’eux, pour des raisons de COVID 19.

Portrait de Qero
Photo de Leif Steiner (instagram.com), série Portraits of humanity

Sebastian est chaman, ou pico comme disent les Qeros. Il organise des cérémonies traditionnelles pour des Occidentaux malades à la recherche de remèdes traditionnels. Près de la ville de Písac, un ancien site inca, il s’adonne à des rituels lors des « hautes saisons » touristiques, et cherche à guérir les pèlerins blancs venant chercher l’aide du chaman. Je sollicitai l’opinion de Sebastian quant à ces blancs qui venaient le consulter : Sebastian, comme la plupart des autochtones que j’ai pu croiser dans ma vie, me fît une réponse dénuée de tout jugement, ne s’attardant pas à commenter des individus absents : « je n’en pense rien », me répondit-il n’accordant que peut d’importance à ma question. Sebastian, en qualité de chaman, procède également à des pagos à la Pachamama avec d’autre confrères picos, une cérémonie qui consiste en une offrande à la Terre-mère destinée à la remercier et lui demander un soutien pour les malheurs affectant nos vies.

Je souhaitais précisément assister à un pago de Qeros, tout autant que découvrir la culture des derniers descendants de l’empire sud-américain. Les sites sacrés en Amérique Latine sont parsemées de petites bourses contenant divers objets offerts à un rocher ou une montagne, et je n’avais jamais participé à la réalisation de ce type d’offrande. Ces rituels me semblent être au coeur de la vision du monde osmotique naturel de l’homme andin, ou plutôt de l’homme latino-américain. Ils prennent la forme de rétributions et remerciements que l’homme fait à la nature, car la nature n’est jamais séparée de lui. Elle est présente, elle lui parle, le nourrit ; en échange, les chamans la remercient.

Le pago à la Pachamama avec les Qeros

J’ai participé à une cérémonie nocture de pago à la Pachamama avec la famille de Sebastian. Son fils et la femme de celui-ci se sont joints à nous, alors que la propre femme de Sebastian a souhaité rester seule. Nous avions plus tôt dans la journée réalisé des achats de divers ingrédients, comme des feuilles de coca, du vin, des épices et de nombreuses choses que je ne su identifier. Le rituel débute avec la sélection de feuilles de coca. Sebastian ne m’explique rien, vraisemblablement qu’il ne s’attend pas à devoir m’instruire sur un préambule aussi basique. Je me retrouve à le mimer sans comprendre exactement de quoi il en retourne. Je décide souverainement qu’il s’agit de choisir les feuilles les plus belles, à moins que ce ne soit que comme une séance de tarot où l’on prend les cartes qui recèlent le futur de notre existence. Une fois terminée la conception de la collection de feuilles, nous prélevons par groupe de trois feuilles de coca sur lesquelles nous soufflons, et déposons au centre d’un tissu typique qero les végétaux consacrés en pensées. Par moments, nous nous les offrons, symbolisant le partage des bienfaits de la nature au sein des convives. Nous ajoutons par la suite les divers ingrédients, créant ainsi un florilège qui constitue le pago. Nous faisons quelques incantations aux Apus, les montagnes sacrées, pour lesquels nous sélectionnons deux feuilles de coca seulement. La montagne qui revient le plus régulièrement est l’Apu Ausangate, la montagne la plus proche qui s’élève à presque 6400 mètres. Le pic est le 10ème le plus élevé du Pérou, et sacré pour tous les Qeros.

La cérémonie est effectuée sans théâtralité aucune, conversant, riant, et échangeant tout en poursuivant notre oeuvre. Il est naturel de remercier la terre pour ses bienfaits, mais ce type de cérémonie ne se réaliserait au sein de la famille que tous les deux mois environ, le prix élevé des ingrédients prévenant les Qeros de s’y adonner de manière plus régulière. Sebastian, qui est en contact avec les blancs et le paient (souvent grassement) pour son expertise, réalise les pagos bien plus souvent.

Puis tout le monde s’approche avec le florilège près du feu, et les incantations recommencent. Sébastian frotte le paquet sur le corps de tous les participants, puis le lance dans le foyer. Il prend la petite bouteille de vin que nous avions achetée en matinée, puis la cérémonie se termine sans autre forme de procès.

Il s’agit d’un animisme plutôt bon enfant, sans danse ni chant, mais je pense que mon mode de visite impromptu y est pour quelque chose. Sebastian m’explique en effet qu’il est courant de danser lors des cérémonies, je regrette de ne pas avoir pu y assister.

La culture qero ne tient plus qu’à un fil

Tout cela peut sembler très traditionnel. Pourtant, la famille de Sebastian s’est éloignée de sa communauté d’origine, et semble être assez représentative de ce que sont devenus les Qeros aujourd’hui. Ils vivent sans électricité, certes, mais avec énormément d’outils du monde moderne. Henri travaille très peu à la ferme, car il gagne bien plus comme maçon. Il a terminé une éducation primaire, ce qui en général est signe que l’homme pourrait avoir passé beaucoup de temps avec sa communauté : mais en réalité, il ne connais presque pas sa culture. Je le questionne à de nombreuses reprises, mais les histoires sur les Incas ne pas beaucoup l’intéresser. Il a 42 ans m’indique-t-il, mais il ne commence qu’aujourd’hui à s’intéresser aux traditions qeros. Son père se lamente que plus personne ne veut s’instruire des antiques coutumes. Quand je le questionne sur le lien entre les Incas et les Qeros, il se borne à me répondre que le sang inca coule dans ses veines, mais que seul son grand-père aurait pu me répondre, s’il était encore en vie. La famille de Sebastian continue à tisser des habits comme leurs ancêtres d’autrefois, mais ne connaissent pas la signification des symboles qu’ils tissent. Le tissage indigène est pourtant fondamental dans toutes les cultures qui s’y livrent, car il représente les fils qui relient le monde physique au spirituel ; oublier la symbolique des motifs tissés revient à conclure que les Qeros ont perdu les liens qui les unissaient avec leur culture antique.

Les Qeros sont en effet un peuple acculturé. Ils succombent progressivement à la modernité, n’ayant pas développé les anticorps et le militantisme traditionnel que d’autres cultures ont réussi avec plus ou moins de succès à faire croître. Malgré le rituel auquel j’ai assisté, je ressens que j’ai en face de mois des hommes modernes et non indigènes. Des indigènes ont des terres à eux, connaissent leurs coutumes et surtout ont un rôle à jouer dans le monde. L’homme moderne n’a pas de rôle, il ne se pose pas les questions de cette manière. Il étudie la nature et la consomme, il ne pense pas qu’une fonction lui est assignée par la Mère nature. Les Qeros pensent aujourd’hui comme l’homme moderne, et les traditions se sont muées en folklore. Ils ne savent pas pourquoi ils suivent les enseignements de leurs prédécesseurs. Le peuple qeros est en cours d’être assassiné par la modernité, comme tant d’autres peuples autochtones avant eux.

Les peuples autochtones sont une précieuse diversité humaine. Il est déchirant de voir les rouages de la mondialisation écraser les différentes cultures humaines. Comme me dira un autochtone bribri lorsque je lui contai l’histoire des Qeros : « Le capitalisme nous tue. On tue les indigènes en Amérique Latine. Je ne sais pas comment nous-mêmes pourrons survivre dans ce monde qui n’est pas le nôtre. »

Références

  1. Une version espagnole des Los Comentarios Reales au format pdf peut être téléchargée librement. []

Cet article a 2 commentaires

  1. Merci Phil pour ce message franc.

    Si l’Occident ne produit pas des individus critiques de leur civilisation, le projet occidental serait un échec total. J’utilise les outils développés durant 2500 par des philosophes et des scientifiques, des artistes et des explorateurs, pour chercher à me faire ma propre opinion sur le projet occidental.

    J’en arrive au résultat, non romantique, que l’Occident sous sa forme actuelle n’est pas viable. Ni pour ses habitants, dépressifs et peureux, ni pour la planète, en cours de destruction. Ni pour les autres habitants du tiers-monde, qui sont happés par le processus de mondialisation occidentale sans avoir leur mot à dire. Depuis 500 ans en Amérique Latine.

    La modernité occidentale a amené une libération intellectuelle et personnelle sans nulle pareille. Je respecte cela. Mais en cours de chemin, nous n’avons plus de repères ni ne sommes heureux. Nous avons coupés de manière définitive nos relations sacrés à la nature et à autrui. Et cela, nous le payons et paieront cher.

    Enfin, je ne cherche à décrypter avant tout les mécanismes d’acculturation. Les Qeros sont libres de leurs choix, du moins matériellement, car sociologiquement, il y aurait beaucoup à dire. Les choix ne sont pas effectués ex nihilo, ils s’appuient sur un corpus intellectuel développé sur des millénaires. Si je porte un jugement, c’est principalement sur la perte de diversité humaine, d’histoires de comprendre le monde, qui disparaissent au fur et à mesure de la mondialisation occidentale s’approfondie.

  2. Phil

    Ce texte est intéressant. Et puis il est écrit avec bcp de bonne foi ce qui fait mieux passer ses faiblesses . Mais ceci dit, trop de poncifs. Trop d’arguments marqués, et cousus à la corde. Et puis une hargne (pas une critique mais bien une hargne) contre l Occident et la modernité qui a dû mal à se cacher derrière la hauteur que tu essaie de donner aux propos. Une hargne plus générale je dirais d’ailleurs. Cest pas bon en soi, car ça aveugle. Sinon ce jugement permanent des occidentaux est incroyable. Les français aussi sont descendants de gens qui ont fait le choix des jeunes qeros que tu impute à la méchante modernité. Et nous on devrait blâmer qui? Les romains? C’est des choix humains qui ont toujours été dans le même sens car l’homme recherche son bien être matériel. Accepte le un peu plus tu seras plus en paix. Fais un peu plus comme le monsieur qui t’as dit “je n’en pense rien” (en se disant que tu étais toi aussi un blanc d’ailleurs!)

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