La cosmovision des Bribris du Costa Rica

Enseignement bribri enfantDans le sud-est du Costa Rica, débordant un peu sur le Panama, vivent une dizaine de millier de Bribris. Il s’agit d’un peuple autochtone qui a le souvenir de l’invasion espagnole, et dont l’évènement ravageur a été incorporé dans les histoires que les anciens racontent. Les Bribris ont beaucoup changé depuis l’époque des Conquistadors et de la colonisation : la plupart d’entre eux ont un téléphone portable et débattent de comment utiliser (la maigre) manne touristique. Mais certains jeunes sont férocement attachés à leurs traditions et cosmovision et réfléchissent constamment comment leurs faire traverser la modernité. Il en résulte un détonnant mélange, qui, à la réflexion, n’est pas si différent du mélange d’animisme et christianisme (ou islam) en Afrique, de culture maya ou quechua en Amérique Latine. Le syncrétisme, après tout, est au cœur des religions, de toutes les religions. J’ai passé une semaine au sein d’une famille bribri, guidé dans la découverte de leur culture par un dénommé Yoel Buitrago, un jeune d’une force et d’une assurance que l’on ne voit que chez les autochtones. Sa confiance dans l’avenir est contagieuse. Et il me fit rencontrer divers Bribris, qui me permirent de mieux comprendre cette tradition séculaire, d’un des nombreux peuples qui dit être issu d’épis de maïs.

Initiation à la cosmovision bribri par un awa

Fausto Lopez, médecin bribriJ’ai longuement été initié à l’histoire et la tradition bribri par un médecin traditionnel potentiel, un « awa », nommé Fausto Lopez. Potentiel, car il n’a pas pu terminer sa formation de médecin : son professeur est décédé avant qu’il ne puisse terminer un long cursus s’étalant sur 25 ans d’apprentissage des plantes, des humains, de la cosmovision et l’histoire bribri. Aucun autre awa n’étant disponible à une distance raisonnable, il n’a pu parachever sa formation et n’a pas été autorisé à exercer sa profession. Mais ses connaissances sont étendues, et la communauté bribri proche de son domicile vient le consulter pour apprendre, à défaut de pour être soigné.

Enseignement bribriChez les Bribris, l’éducation est dispensée dans un hamac. On n’écrit rien, on écoute, et on pose beaucoup de questions, tout en se balançant sur son hamac. C’est de cette manière que Fausto m’enseigna dans l’Usurë, une maison sacrée bribri de forme conique, que le créateur de toute chose est Sibú, un être en dehors du temps mais dans l’espace. Le monde est divisé en 4 espaces supérieurs (supramonde) et inférieurs (inframonde). La forme du monde est elle aussi conique, à l’image de l’Usurë ; il est habituel, chez la plupart des autochtones de l’Amérique Latine, de représenter le monde dans leurs habitations. Peut-être est-ce une manière d’affirmer qu’ils sont des habitants de l’univers, et que l’infiniment grand se décline jusqu’à l’infiniment petit.

Sibú, ses aides, ses lieux sacrés

Sibú trône au sommet du supramonde, aidé par différents aides, zoomorphes ou anthropomorphes. Ils vivent dans un des huit mondes et donc parfois, dans le nôtre (le quatrième et le plus bas du supramonde). Les plus proches de la vie quotidienne humaine s’appellent Dualok, Boukublu et Diblu. Le premier est le protecteur des petits animaux de la forêt ainsi que de ceux qui montent aux arbres ; Boukublu protège les plus gros animaux ; Diblu enfin, est le gardien des poissons et de tout ce qui vit dans l’eau. Ces trois esprits habitent la deuxième maison sacrée bribri, l’Alowé, qui repose sur huit poteaux, a une forme rectangulaire légèrement imparfaite, et contient trois espaces, chacun d’entre eux habité respectivement par Dualok, Boukublu et Diblu. Avant toute chasse entreprise par un Bribri, il est coutume de demander au médecin traditionnel awa d’invoquer pour remercier l’une de ces trois aides de Sibú, et éviter ainsi tout accident.

Carte de la maison alowe des bribris

Usure maison bribri cosmogoniqueMais revenons à la maison de l’Usurë, qui est soutenue par huit poteaux massifs en bois, chacun symbolisant les huit professions sacrées bribri. Ce numéro huit, qui se décline sous bien des formes, est le double du chiffre sacré bribri, le quatre. Les huit professions sacrées sont les suivantes, que j’énumère en partant du premier poteau à droite de l’entrée de l’Usurë jusqu’à celui se terminant à sa gauche : 1/ Successeur de roi, 2/ Médecin traditionnel, 3/ Chocolatière, 4/ Gardienne de la pierre sacrée, 5/ Médecin légiste, 6/ Maître des cérémonies, 7/ Roi, 8/ Chanteur. Chacun de ces métiers sacrés se décline en clan, chaque clan étant responsable d’un de ces métiers sacrés. Mais certains n’existent plus.

L’extermination physique et culturelle des Bribris

En effet, les chanteurs et les rois ont disparus, et selon la tradition bribri, lorsque quelque chose a été perdu, il est dans l’ordre des choses de l’accepter et de ne pas le remplacer. De nombreux membres des clans des chanteurs aurait été exécuté par les Espagnols qui, à leur arrivée, aurait pris les chanteurs pour des sauvages s’adonnant à un culte satanique. Les chanteurs manipulaient des os d’animaux, des chants et des coutumes incompréhensibles pour les colons ; après le massacre, les chanteurs restant n’ont plus osé poursuivre le métier de peur de subir le même sort et les clans de chanteurs ont progressivement disparus. Plus personne ne saurait donc reprendre le flambeau aujourd’hui, et ce métier est donc éteint.

Usure bribri

Le clan des rois, les leaders bribri d’autrefois, a subit le même sort. Les rois bribris n’ont jamais voulu se plier aux exigences des Espagnols et leurs refus leur coûta la vie. Des deux plus fameux, on retient le roi Paolo Bresberi qui, en 1814, fut décapité par les colons. En 1914, ce fut le tour du roi Antonio Sandonia d’être empoisonné cette fois-ci, après avoir été fourbement (!) aviné. Dans l’une de chopes, du poison qui allait lâchement mettre fin à ses jours. Mais Fausto m’indique que l’intransigeance de ces rois a permis aux Bribris de survivre ici-bas, et que de plus ils continuent leur œuvre de protection, car les esprits de ces deux rois et de leurs prédécesseurs continuent à protéger leur peuple, tapis dans les pierres ou d’autres objets de la forêt.

Ces deux métiers sacrés traditionnels disparus, l’awa m’explique le rôle des successeurs des rois. Il s’agit d’un clan qui possédait jadis le pouvoir des rois de se transformer en animal, tel le puma, pour parcourir les forêts costa ricienne. Ils détiennent de grands pouvoirs, mais il semble qu’ils ne sachent plus les utiliser. Le terme de successeurs des rois,  ne doit pas porter à confusion; puisqu’il s’agit de clans différents, en réalité ils ne seront jamais les nouveaux rois. Comme pour les défunts chanteurs, les pertes sont définitives, la société bribri est amputée de deux métiers traditionnels.

Les six métiers sacrés encore exercés par les Bribris

Le rôle du médecin traditionnel a déjà été décrit ; très jeune, un bribri est choisi pour apprendre la médicine traditionnelle du corps et de l’esprit, à reconnaître les plantes, et, modernité oblige, dire lorsqu’il vaut mieux envoyer à l’hôpital un patient. C’est un long apprentissage, qui est sanctionné par l’obtention d’une pierre sacrée. En effet, à la fin de la formation, le médecin potentiel doit lancer une pierre blanche particulière dans une rivière. Le lendemain, une pierre blanche lui apparaîtra à ce même lieu ; une femme bribri, la gardienne de la pierre sacrée, sera chargée de veiller sur ce caillou qui augmentera les pouvoirs de guérison du médecin. Mon professeur, n’ayant pas finalisé son apprentissage, ne possède pas de pierre sacrée.

La chocolatière, dont la version sacrée de la préparation du chocolat n’est confiée qu’à des femmes (au contraire de la version profane, où les hommes cuisent le chocolat aussi) est essentielle pour les cérémonies bribri, dont le chocolat semble être un élément essentiel. Peu de choses me sont révélées quant à ce métier, tout comme pour le maître de cérémonie, que j’imagine être responsable de l’organisation des cérémonies sacrées.

Le médecin légiste, dernier métier à m’être décrit, a pour rôle de définir la cause spirituelle de la mort. On peut imaginer celui-ci pouvant conclure, par exemple, que les autorisations auprès de Dualok, Boukublu ou Diblu n’ont pas été réglementaires lors d’une chasse qui aurait mal tournée. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de demander la raison même de déterminer la mort d’un Bribri ; est-ce pour évoluer en tant que société ? Ou au contraire, revenir aux sources ? La présence d’un métier spirituel de médecin légiste pose en tout cas de nombreuses questions philosophiques et sociales sur la cosmogonie bribri.

Des autochtones en charge de la nature

La cosmogonie bribri possède un panthéon d’aides de Sibú relativement bien organisée, chacun ayant un rôle à la fois explicatif du monde et très programmatique. Ils se voient comme monothéistes, appelant parfois Sibú simplement « Dieu ». Comme la plupart des civilisations autochtones d’Amérique Latine, la relation avec la nature est première ; les Bribri ont la charge assignée par Sibú de veiller au bon fonctionnement de la nature. Ils sont les grands frères, alors que les non-autochtones, les petits frères, peuvent bénéficier des bienfaits de la nature. Les Bribris ont donc la tâche ardue d’être plus responsables que leurs frères dispendieux.

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