Les invasions barbares

En francophonie, l’accent le plus méprisé est sans conteste le québécois. C’est presque devenu un sport national que de vanner les expressions et autres accent de la Belle-Province.

Pour dépasser ces a-priori somme toute assez primaires, le cinéma est un outil absolument formidable; la force que dégage de ce média, lorsqu’il est bien maîtrisé, est un défi à toute la méfiance que se construit notre espèce vis-à-vis de ce qu’elle ne connaît pas, ne comprend pas.

Les invasions barbares parlent de ce qui est commun à l’être humain : la superficialité, la spiritualité, l’amitié, la paternité, la vanité, l’amour et surtout la mort. On tente donc plus de rapprocher que d’éloigner.

Car les barbares, faut-il le rappeler, sont les étrangers, l’alter : on n’aime pas ce qui est différent, et est différent ce qu’on ne connaît pas. Des images chocs, distillées dans film comme de la nitroglycérine dans un jus de fruit trop doux, nous posent la question de savoir ce que nous comprenons réellement du monde qui nous entoure.

Il y a de nombreuses manières de tenter la quête du Pourquoi : les femmes, la lecture, l’action politique. D’autres de baisser les bras : la drogue, l’hédonisme. C’est une question de choix, mais un choix dans les limites des possibilités offertes par notre enfance, notre éducation. De toute manière, rien ne nous aide vraiment à trouver la raison de notre existence, ni même ne nous rapproche d’une solution à cette quête immémoriale; Denys Arcand semble d’ailleurs nous dire que l’on cherche le sens de la vie ou non, tout n’est que temporisation, on ne fait que repousser notre adieu à ce monde.

La religion, une réponse ? En socialiste convaincu, rationaliste acharné, le protagoniste principal (Rémy Girard) rejette la foi chrétienne aux oubliettes de l’histoire; tant mieux, l’attentat du 11 septembre, montré de près, est une histoire de religion. Ou du moins, la religion sert de faire-valoir, comme toujours depuis deux mille ans.

Alors, faut-il plutôt se recentrer sur les valeurs sûres, comme l’amour est l’amitié ? L’amour est temporaire, dans le pessimisme d’Arcand une bête faribole romantique. Il ne tient pas face aux vicissitudes de la testostérone, de la volupté ou simplement du moment présent. L’amour ne nous accompagne pas toute notre vie, il n’est qu’un compagnon de route sporadique. L’amitié est bien plus solide, quoi que toute aussi sujette aux turpitudes de nos humeurs, de notre lassitude et de notre tendance au sédentarisme. Ainsi, les amis de Rémy, apprenant sa grave maladie, utiliseront le prétexte d’un quotidien pour tenter, dans un premier (mais bref) temps, de se défiler. Mais tous viendront, tous soutiendront leur camarade d’enfance.

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Film les invasions barbares dirigé par Denys ArcandA l’heure du bilan, il devient impossible de continuer à se draper du voile du mensonge; les cartes sont abattues pour la dernière fois, le jeux est visible sinon par tous, au moins par soi-même. C’est donc avec une conscience aiguë que Rémy, se sachant condamné, va s’adonner à une totale remise en question, tenter de comprendre le chemin parcouru, chercher ce qu’il pourrait inscrire de positif à son compte. La vanité ressort plus forte que jamais, jaillissant de profondeurs enfouies, tel un jeyser d’ego. Qu’a-t-il accomplit ? Se souviendra-t-on de lui ?

Vieillir est une affaire de vieux. Ce n’est qu’avec l’âge qu’on est en mesure de comprendre à quelle vitesse le monde bouge, et surtout à quel point il bouge sans nous. Repères altérés, technologie incompréhensible, moeurs inimaginable. A l’époque où une paire de cuisses suffisait à Rémy pour bander pendant plusieurs mois, se succède une période où cacher cette partie devient érotique. Lui qui est persuadé que le monde court à sa perte, simplement parce qu’il est en décalage avec le monde dans lequel il se meurt, il est instrumentalisé pour représenter un empire tout entier qui se meurt : les Etats-Unis, pour qui la réalité est devenue indécodable, pris entre les feux des invasions barbares.

Ce film est une pure merveille. L’humanité est abordée sous une kyrielle d’angle, mais un peu trop pessimiste tout de même. L’homme est ce qu’il est, il n’apprend rien, c’est un message dépourvu d’espoir que nous envoie Denys Arcand. Peut-être, l’âge venant, commence-t-il lui aussi à perdre pied dans un univers duquel il a perdu les clés de son intelligibilité.

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