(Cet article est paru dans l’EchoMagazine du 24 juin 2021)
Dans des villages isolés du sud de la Bolivie, on conte les exploits de Daniel Chappuis, viticulteur vivant aux Paccots, près de Châtel-Saint-Denis. Les locaux partagent avec respect et fascination les histoires de cet homme qui, depuis plus de vingt ans, se rend chaque année dans la région et la parcourt en long et en large. Le Suisse, qui cumule au total plus de deux ans de présence sur les contrées sauvages, a enquêté de façon approfondie sur divers sites d’intérêt archéologique et promu le tourisme d’une façon inconnue par les Boliviens de la région. Il a développé des liens fraternels avec ces derniers et stimulé leur intérêt pour leur propre territoires, ouvrant les yeux des locaux sur des paysages qui leur étaient précédemment indifférents. Sans le vouloir, Daniel est devenu une légende en Bolivie.
La province du Sud Lipez est humble et reculée. Les champs agricoles sont rares, la nature est préservée et les pumas rôdent à la recherche de proies faciles. Les habitants ne sont pas habitués aux étrangers, et peuvent se montrer méfiants. En somme, ça n’a pas été une mince affaire de parvenir dans ces hameaux où Daniel s’est rendu pour la première fois il y a vingt ans : “Parfois les villageois nous lançaient des cailloux. D’autre fois, on nous recevait avec les honneurs. L’état d’esprit des locaux pouvait changer entre le matin et l’après-midi”, se souvient Daniel. Ce qui ne le décourage pas d’explorer les recoins cachés de la province bolivienne : après sa venue improvisée par le biais d’une caravane de troc en 2001, il achète un véhicule tout-terrain qui lui permettra d’explorer la région. Epaulé par son fidèle compagnon Johnny, un bouvier de la région sachant parfaitement diriger les ânes porteurs avec qui il s’est lié d’amitié, il découvre des montagnes enneigées aux tempêtes imprévisibles et des canyons chauffés à blanc par le soleil. La région est sauvage et étrangère, et pour mener à bien leur entreprise ils marchent des jours durant sans rencontrer âme qui vive.
Daniel découvre au fil de ses expéditions annuelles les richesses d’une nature oubliée, et se rapproche progressivement des habitants, de manière charnelle et directe. Chaque année un peu plus, jusqu’à vouloir aider les villageois. Comme il peut, à sa manière, Daniel fait des suggestions pour développer le tourisme local. Il est persuadé que la beauté des formations géologiques recèle un potentiel économique : “Je préfère les encourager à développer le tourisme, une ressource durable, plutôt que de les voir exploiter et épuiser les mines du Sud Lipez”, explique le viticulteur. La région est, en effet, riche en minerais et de nombreuses mines communautaires d’or ou d’argent emploient les habitants dont les ressources financières sont minimes. “Ma première rencontre avec Daniel Chappuis s’est déroulée dans mon bureau, lorsqu’il m’a dit que j’étais un ‘imbécile assis sur une montagne d’or’, car selon lui les touristes du monde entier se bousculeraient pour voir ces merveilles géologiques et archéologiques“, confie en riant Angel Gutierrez, le maire de San Antonio d’Esmoruco, l’un des chefs-lieux du Sud Lipez. Le Suisse n’a pas sa langue dans sa poche, et la plupart des autochtones perçoivent cela comme une marque de sincérité.
Tel l’un de ses nombreux amis, Cirilo, l’unique personne offrant des logements dans le hameau de Guadalupe en ces temps de pandémie. Le Bolivien déclare à qui veut l’entendre que l’un des plus grands potentiels touristiques de la région, la Ciudad de Roma (la cité de Rome), aurait été baptisée ainsi par Daniel : “Il connaît mieux la région que quiconque. Il attribue des noms vendeurs aux montagnes pour nous aider. C’est lui qui m’a donné l’idée d’offrir gîte et couvert, et qui chaque année vérifiait si j’avais avancé dans les travaux des toilettes et des douches. Cet homme est exceptionnel !”, s’enthousiasme l’hôtelier, qui doit une partie de sa réussite au viticulteur suisse. “La Ciudad de Roma était déjà connue sous ce nom avant mon arrivée, je ne l‘ai pas nommée ainsi”, corrige pourtant Daniel. La légende est en marche malgré lui.
Car de nombreux habitants du Sud Lipez sont persuadés que le voyageur suisse connaît et nomme tout sur son passage, tant ils se sont habitués à voir le viticulteur arpenter leurs campagnes chaque année, parfois pendant plusieurs mois, explorant les caves et répertoriant avec systématisme les villages précolombiens, les peintures rupestres, pétroglyphes et tout ce qui pourrait être d’intérêt touristique. “Je veux offrir à ces communautés une raison de rester. Beaucoup rêvent de migrer dans les grandes villes boliviennes ou européennes. Si la région se développe grâce à la venue des étrangers, ils ne partiront pas”, justifie l’explorateur suisse. “Les habitants ne voient pas la beauté des paysages, pour eux ce ne sont que des cailloux”, continue-t-il. “Nous promenons nos lamas sans apprécier la vue, car pour nous, il n’y a rien de particulier. Daniel nous a ouvert les yeux sur nos richesses naturelles”, affirme Cirilo. Des richesses naturelles que Daniel s’est mis en tête de transformer en espèces sonnantes et trébuchantes, pour lutter contre la pauvreté.
Car le dénuement dans lequel on vit dans le Sud Lipez a des conséquences directes sur la malnutrition des adultes et des enfants ; comme dans de nombreuses régions d’altitude, les fruits et les légumes sont importés, et doivent donc être payés avec de l’argent en espèces qu’il est difficile de gagner sans apport touristique. D’où la nécessité de développer le tourisme étranger, car en Bolivie, les habitants ne voyagent que peu pour pour visiter leur pays. Pour des raisons financières, certes, mais aussi culturelles : “les Boliviens ne viennent que rarement dans la région. Nous ne sommes pas des voyageurs”, justifie Cirilo. La démarche de Daniel, qui voudrait voir la région se développer grâce aux devises étrangères, prend ainsi tout son sens.
Daniel Chappuis était déjà un voyageur avant de découvrir la Bolivie. Son intérêt pour d’autres manières de vivre l’a poussé à visiter plusieurs pays asiatiques, et européens : “Je cherche l’universel qu’il y a en chacun de nous. Pouvoir créer des liens forts avec des personnes issues d’autres cultures est jubilatoire pour moi”, se confie le viticulteur, un brin humaniste. “Je continue à être étonné de pouvoir partager autant avec des individus si différents de moi, vivant d’une manière si éloignée de la mienne”, conclut-il. Son pouvoir d’adaptation et sa simplicité expliquent peut-être pourquoi le viticulteur a eu un tel impact sur une région aussi isolée de Bolivie.
Une page de soutien a été créée par le photographe Samuel Bitton https://samuelbitton.com/soutien-a-bolivie/
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