Articles qui ont été publié ou auraient pu l’être. La valeur informative devrait être supérieure aux autres billets.

Et parfois c’est le style qui compte.

Michel Foucault « Surveiller et punir », ou la prison normalisatrice : une allégorie sociétale

Souvenez-vous : il y a 35 ans, Foucault s’en prenait à l’univers carcéral. Incapable de répondre aux attentes des politiciens, de la société ou des prisonniers eux-mêmes, la prison française était victime de la révolte de ses occupants, du défaitisme politique et de l’incompréhension du grand public. C’était 6 ans avant l’abrogation de la peine de mort (et donc de l’adhésion pleine et entière à la prison comme seule réponse à la délinquance), mais aussi 150 ans après ses premiers essais à grande échelle en Hexagone. Foucault écrivait alors que rien n’était vraiment nouveau, que les problèmes de l’univers carcéral étaient structurels, presque ontologiques à la prison; pour preuve, presque 4 décennies plus tard, les questions sont rigoureusement les mêmes, et les réponses aussi – comprendre, inexistantes. La seule différence, c’est que l’emprisonnement – la privation de liberté – comme riposte à l’illégalité pénale s’est encore plus engoncée dans ses certitudes, à peine effleurée par les complications endémiques que sont la criminalisation des petits délinquants et de la surpopulation des établissements pénitentiaires; rien, ou presque, n’a changé en deux siècles, les attentes contradictoires sur ce que doit être la prison sont rigoureusement identiques, et les échecs tout aussi patents.

Dans son « Surveiller et punir » de 1975, Michel Foucault ouvre la réflexion sur l’artifice du supplice : grand déballage qu’on qualifierait aujourd’hui « d’évènement médiatique », les scènes de tortures n’avaient pas pour objectif – selon le philosophe – de décourager seulement la reproduction de l’acte condamné, mais principalement de rappeler quelle était la puissance du prince, seul habilité à décider du bien et du mal. Atteint dans les fondements de sa légitimité par le forfait accompli, il livrait en place publique un combat contre le criminel – un combat joué d’avance. La crainte du peuple n’était pas seulement un effet de bord, mais bien l’objectif recherché; la cohésion dont faisait preuve la populace lors de ces démonstrations soudaient autour du souverain re-légitimisé, garantissait la pérennité de la soumission de ses sujets.

(suite…)

0 commentaire

Libye : Les coulisses du régime Khadafi

On lui donnerait le bon dieu sans confession : simple et accessible, le visage fendu d'un sourire en demi-lune, Idris Aboufaied est pourtant passé par bien des cauchemars. A la place du bon dieu, la Libye lui a donné 25 ans de prison ferme. Avant d'être, sous les pressions internationales, libéré pour raison médicale. Idris est malade, mais il ne se départit pas de son rire. Et ne regrette pas ses choix de vie. Alors qu'il est jeune médecin, le Libyen…

0 commentaire

L’information en Birmanie, un pari de Claude Schauli

« En refusant l'assistance internationale en 2008 et pour imposer sa politique en Birmanie, la junte au pouvoir a peut-être tué 100'000 personnes ». Un constat froid que nous livre Claude Schauli, producteur et réalisateur, auteur de plus de 200 reportages, qui s'intéresse à la Birmanie depuis 34 ans, et lutte pour révéler les exactions du régime militaire. Fort de sa longue pratique, il réalise « Birmanie, de la révolte au chaos »; un documentaire dont la sortie n'allait pas…

0 commentaire

La pensée révolutionnaire d’Evhémère au IIIe s. avant notre ère

Bien avant les tentatives de rationalisation occidentales qui aboutiront à l’athéisme et l’agnosticisme, la Grèce antique procède à sa propre destruction de mythes et légende au IIIe siècle avant J.-C. Avec un souci d’observation qu’il ne faudrait toutefois pas, dans un élan d’anachronisme, mélanger avec la pensée scientifique moderne européenne, Evhémère, mythographe grec, cristallise aux alentours de -300, dans son oeuvre l’Ecriture sacrée, une pensée embryonnaire qui survivra à la chute de l’empire romain et traversera tout le Moyen Age : l’idée que les dieux ne sont que des hommes.

Ses écrits ne nous sont parvenus que de seconde, ou plutôt tierce main; traduit du grec vers le latin par le poète Ennius, la survivance de ses thèses ne nous sont dues qu’à Lactance, qui cite abondamment la traduction d’Ennius. Ce qui suffit toutefois pour retranscrire sa théorie : les dieux sont des hommes au destin élevé, des rois qui ont permis à leur peuplade de se former et se maintenir en société. De se civiliser. Et parce qu’ils ont amené les bienfaits de la civilisation ils seront, à leur mort, déifiés. Sorte de gratification pour biens rendus, la déification n’empêche pas Evhémère d’affirmer pouvoir citer les lieux où sont enterrés les « dieux ». Zeus (Jupiter pour les Romains), qui aurait mené la guerre contre les Titans, aboli le cannibalisme, aurait été brûlé et enterré à sa mort à Cnossos, en Crète. Ou encore, Aphrodite aurait été une simple courtisane. On le voit bien, son postulat est révolutionnaire; bien qu’Evhémère cite des prédécesseurs, tel que Hécatée d’Abdera qui lui s’intéressa dans une certaine mesure aux mythes des dieux égyptiens, aucun n’était allé aussi loin dans la démythification du panthéon grec. Il faut noter ici que le contexte dans lequel évolue le mythographe est particulier : il voit de ses yeux le processus de divinisation d’Alexandre le Grand, le plus grand conquérant que la Grèce antique n’ait jamais connu. Lui, qui sait bien qu’Alexandre de Macédoine n’était qu’un homme, assiste de son vivant, à la transformation de l’homme en dieu; il est certain que cette déification a eu une influence sur sa façon d’envisager l’Olympe des dieux.

(suite…)

0 commentaire

Droits de l’homme à l’UPR : Une France au-dessus de tous soupçons ?

La France passait ce matin du 14 mai ce qu’elle qualifiait de « grand oral », à travers le nouveau mécanisme du Conseil des droits de l’homme, l’Examen Périodique Universel. Séance présidée par une troïka de 3 Etats-membres (la Zambie, l’Italie et la Malaisie), les questions d’une quarantaine d’Etats sont venues demander des comptes au « pays des droits de l’homme ». Sur des questions d’actualité, mais aussi sur des débats passés.

L’Hexagone a pris toutes précautions d’usage lors de son discours introductif : tout en rappelant son attachement aux droits humains, l’ambassadeur aux droits de l’homme M. François Zimerey a relevé qu’aucune nation, quel que soit son implication en la matière, ne peut se mettre au-dessus de la critique d’autres Etats. Un tel dialogue a des vertus constructives, et la France croit à « l’alliance des civilisations, et non au choc des civilisations », explique le diplomate. Prenant les devants sur les sujets qui fâchent, M. Zimerey rappelle qu’on « juge aussi une société à l’état de ses prisons. Pour être clair, nous avons des défaillances auxquelles nous avons décidé de pallier ».

Une présentation qui n’a pas dissuadée les pays de poser des questions incisives sur les conditions de détention pénitentiaires des condamnés, notoirement en surnombre. Ce qui pousse l’ambassadeur a préciser les actions prévues, telles que la constructions de nouveaux établissements, et la destruction d’autres, vétustes : « Dans les prochaines années, nous devrions pouvoir détenir 6’000 condamnés supplémentaires. De plus, la mission de la prison est repensée, avec l’idée que ce lieu a pour objectif la réinsertion des délinquants. Nous privilégions aujourd’hui des mesures telles que la semi-liberté ou le port de bracelets », défend-il.

Devant la multiplication d’offices – indépendants, souligne l’ambassadeur – chargés de faire respecter les droits de l’homme, certains s’inquiètent des difficultés de coordination inhérentes. Réponse toute trouvée, somme toute très française : « Notre pays a créé un nouvel office chargé d’assurer une telle coordination, et harmoniser les pratiques ».
(suite…)

1 commentaire

Mauritanie: Le coup d’Etat démocratique

A priori, on peut se demander ce que les termes « démocratique » et « coup d’Etat » peuvent bien avoir en commun. Quel sens peut-on trouver à une phrase composée de ces deux antinomies. Un coup d’Etat ne peut être démocratique, puisqu’il se solde immanquablement par un régime autocratique, voire oligarchique.

Vall en civilC’est pourtant en pariant sur la réussite d’un coup d’Etat de transition, un « changement » comme il préfère dénommer son acte, que Ely Ould Mohamed Vall renverse Maaouiya Ould Taya, au pouvoir depuis plus de vingt ans en Mauritanie. Jusque-là directeur de la sécurité du pays, il profite du départ de Ould Taya en août 2005, qui se rend aux obsèques du roi saoudien Fahd, et prend le pouvoir à la tête d’un junte. Il promet de remettre le pouvoir à la population « au plus tard dans 2 ans ». Personne n’est dupe, la communauté internationale, l’Union européenne et l’Union africaine, tous condamnent la prise de pouvoir contraire au droit international, et demandent à Vall de rendre les rênes. Et 19 mois plus tard, Vall et sa cohorte se retirent. L’ancien président a pris la peine de s’expliquer sur ce coup d’Etat lors de la 9ème et dernière journée du 6ème Festival international du film sur les droits humains.

Brève présentation de la Mauritanie, tout d’abord. Grande comme deux fois la France, elle est composée de 3 millions d’habitants, dont 1 million de votants. Elle est sous le régime d’un parti unique depuis son indépendance (en 1960), et connaît une succession de coups d’Etat jusqu’en 1984, année où Maaouiya Ould Taya prend le pouvoir. Il le perd en 2005, lors du dernier coup d’Etat (réussi). Le pays est majoritairement arabe, officiellement musulman (le pays se nomme « République islamique de Mauritanie ») ethniquement très diversifié, et fait partie depuis peu du club des Etats producteurs de pétrole. Ca n’en reste pas moins un pays très pauvre du monde arabo-musulman.

carte de la mauritanie

C’est dans un contexte qu’il décrit comme sans issue, qu’Ely Ould Mohamed Vall renverse le président d’alors. Il explique, en effet, que le « droit le plus élémentaire pour un peuple est de disposer de sa propre liberté ». Or, invariablement depuis l’indépendance, le régime du parti unique décide à la place du peuple. Chaque nouveau dirigeant décrétait, jusqu’en 2005, que « le peuple n’était pas prêt pour la démocratie ». Cette situation aurait pu se perpétuer sans fin.
(suite…)

2 commentaires

Si les Russes veulent l’autocratie, qu’ils l’aient – entre stéréotypes et réalités

A un journaliste français qui lui demanda si en éradiquant le terrorisme tchétchène, il ne risquait pas d'éradiquer la population tchétchène elle-même, Vladimir Poutine répondit "si vous voulez devenir un islamiste radical et êtes prêt à vous faire circoncire, je vous invite à Moscou. Nous avons un pays multi-confessionnel, nous avons des spécialistes de cette question et je vous recommande de pratiquer cette opération de façon à ce que rien ne repousse". Cela se passait lors d'un sommet Union européenne-Russie…

3 commentaires

Le chasseur de dictateur – the dictator hunter

Reed Brody n’est assurément pas un homme comme les autres. Pourquoi ? On le surnomme le « chasseur de dictateurs ». Porte-parole de Human Rights Watch (HRW), il a traqué des années durant Hissène Habré, ancien dictateur tchadien. Pour le troisième jour du 6ème festival du film sur les droits humains, la moitié de la journée lui a été directement ou indirectement consacrée. Deux films ont ainsi été proposés, suivis de débats.

Le premier film, qui lui est nommément consacré, the dictator hunter Loading... , a un côté hollywoodien dérangeant. Assez peu de place est donnée aux victimes de Habré, et Brody y fait l’objet d’un culte quelque peu dérangeant pour un homme qui se veut avant tout un outil actionné par la défense. On y découvre comment il a mis sa vie personnelle de côté des années durant et quelle souffrance anime les victimes et leurs proches de cette dictature longue de 8 ans (de 1982 à 1990). Un travail de longue haleine, qu’il poursuit malgré les déconvenues uniquement pour éviter l’oubli. Car depuis plusieurs années, l’ancien président a trouvé refuge au Sénégal, dans une confortable villa d’où il peut toiser sans remords ses anciens citoyens venus lui demander de rendre des comptes.

Comme l’explique Brady, « tuez une personne, et vous êtes accusé de meurtre. Tuez-en 40, et vous êtes interné dans un asile. Déchaînez la violence et assassinez-en 40’000, et vous voilà à l’abri de représailles ». Jusqu’à Brady, aucun ancien dirigeant africain n’avait été traduit en justice. L’impunité des crimes dictatoriaux semble totale; le seul dirigeant qui aurait pu faire l’objet d’une accusation, Slobodan Milosevic, est mort dans les geôles de La Haye. Le courage de cet homme pourrait faire basculer cette coutume : l’Union africaine (UA) a décidé, il y a un an et demi, sous la pression des activistes des droits de l’homme de juger son ancien membre au Sénégal. Au Tchad, le procès n’aurait pu avoir lieu. Et établir le tribunal en Belgique, pays d’où a été activée la procédure à l’origine, serait politiquement problématique, puisque les dirigeants africains actuels ont le sentiment qu’il s’agit d’une affaire africaine. On préfère laver le linge sale en famille.

Malgré cette fantastique réussite, Hissène Habré n’a pas été jugé en 18 mois. L’instruction n’a même pas démarrée. Des signaux contradictoires sont émis pas ceux-là même qu’hier, s’engageaient personnellement à faire triompher la justice. Idriss Déby, « président » depuis sa chute, perçoit le risque qu’il peut y avoir à demander aux dictateurs répondre de leurs actes. Et c’est là le coeur du problème : comment juger un dictateur, sur un continent où la démocratie est un voeux pieu ?
(suite…)

2 commentaires