Pourquoi la COP26 sera un échec

Le grand rendez-vous annuel de toutes les stars bat son plein à Glasgow. Les déclarations se succèdent, les vidéos choquantes défilent, on applaudit à une vidéo d’un créatif d’UNDP [1] qui met en scène un dinosaure évoquant notre disparition. Les milliardaires et les entreprises pétrolières sont évidemment au rendez-vous, achetant à coup de pétrodollars leur participation à un évènement dont elles ont longtemps nié la nécessité : le réchauffement climatique n’existait pas pour les entreprises invitées à la COP26. Aujourd’hui, les élites pétrolières ont changé leurs stratégies et participent aux sommets contre le changement climatique afin de démontrer combien elle sont soucieuses de minimiser leur impact. Au lieu de saborder le mouvement de l’extérieur, elles mangent le fruit de l’intérieur. On trouve invitées sur les podiums de la COP26 également les grandes banques, les grands industriels : un grand nombre de multinationales sont de la partie.

Formidable !, devrait-on s’exclamer, n’est-ce pas ? La discussion se tient enfin avec tous les acteurs du plus grand défi auquel l’humanité n’ait jamais eu à affronter. Tous les gens sérieux travaillent sur le sujet. Tous ? Justement non. L’exclusion de la discussion du principe de la décroissance et des représentants de la société civile explique pourquoi on peut annoncer, sans prendre de risque, que la COP26 sera un échec. Et que les suivantes le seront également, d’ailleurs, tout comme les précédentes. La raison en est simple : ce que l’on attend de la COP26 est tout bonnement impossible, et ce pour des raisons structurelles. En effet, les Etats ne sont pas outillés pour répondre aux attentes contradictoires de leurs électeurs, qui n’élisent pas leurs gouvernements pour les appauvrir.

Des activistes sur le parvis de la COP26

La COP26, ou la COP31 qui actera peut-être dans 5 ans le début de la raréfaction de l’eau potable, ne peuvent qu’échouer. Ces rencontres sont des évènements utiles pour focaliser les efforts des politiciens et de la population sur le changement climatique, mais temporairement uniquement. Quelques vocations verront peut-être le jour, mais il n’est pas de décision important qui ne sera jamais prise dans cette enceinte.

Car il n’est pas anodin qu’alors que la maison brûle, les politiques nationales dépensent jusqu’à vingt fois plus en matière d’armement que pour la lutte pour le climat [2]. Il n’est pas anodin que les assassinats des activistes environnementaux, notamment en Amérique Latine, ne fassent que rarement la une des journaux. Enfin, il n’est pas anodin que la société civile à Glasgow reste sur le parvis des salles où sont menés les débats, et soit condamnée à les suivre sur un laptop. On prétextera que les salles ont des capacités limitées, mais combien de multinationales ont subit le même traitementement ? Les priorités sont clairement établies.

Cette affaire est tout un symbole : les victimes du changement climatique et leurs défenseurs restent sur le seuil du temple dans lequel sont menées des discussions hermétiquement closes aux martyrs; les grands prêtres, qui n’ont aucun intérêt ni à écouter ces derniers ni à collaborer, s’auto-congratulent des efforts accomplis.

Les intérêts nationaux ne sont pas les intérêts globaux

Pourquoi les dirigeants de la planète n’écoutent pas la société civile et pourquoi la COP26 sera-t-elle un échec ? Parce que la société civile représente des intérêts globaux, et les Etats défendent des intérêts nationaux. Un chef de l’État n’est jamais, au grand jamais, élu sur la promesse de rendre son pays plus pauvre.

Un peu d’histoire politique et économique nous est nécessaire pour comprendre les mouvements de balanciers réalisés durant les deux dernières générations. Les intérêts nationaux reposent, depuis l’avènement du libéralisme après la 2e Guerre Mondiale, sur le principe de l’enrichissement des nations [3]. Après deux guerres mondiales, les libéraux ont promu avec succès une solution aux maux occidentaux : la coopération plutôt que la guerre. Or, cela a si bien marché que nous n’avons jamais eu aussi peu de conflits armés dans l’histoire documentée. Toutefois, cela s’est fait au moyen d’un extraction massive des ressources naturelles de notre planète. Ainsi, les intérêts libéraux à l’oeuvre dans la politique internationale reposent sur l’enrichissement des nations, alors que les intérêts globaux d’aujourd’hui reposent sur… son appauvrissement. Consommer moins et préserver la planète n’est pas compatible avec la base philosophique dans laquelle évolue la COP26.

Comment est-ce qu’une conférence internationale organisée par des Etats, dont les gouvernements ont pour objectifs de protéger l’emploi et l’économie, serait à même de trouver une solution globale encourageant la diminution de la consommation ? Les représentants de la société civile, des jeunes, des peuples autochtones, ou de citoyens concernés, n’auront jamais la possibilité de se faire entendre. Et l’auraient-ils, quels médias titreraient-ils sur « la solution au changement climatique est de nous appauvrir » ? Aucun. Car les médias, eux aussi, dépendent de la manne financière des industriels. Les populations ne veulent plus payer l’accès à l’information indépendante, et seule une poignée de journaux, lilliputiens, osent appeler à ce mot qui tétanise tout le monde : la décroissance.

La décroissance : consommer moins

La décroissance est pourtant la seule solution à une planète dont la surface et l’atmosphère sont aujourd’hui en déséquilibre du fait de l’extraction toujours plus avancée de ses ressources. Bien que l’idée « d’équilibre naturel » ait toujours été une image romantique car faussée de la nature, car la Terre ne cesse de modifier ses équilibres, les changements opérés par Homo Sapiens ont été réalisés à une vitesse folle en deux siècles. Depuis le début des Révolutions Industrielles européennes, nous avons prélevé des ressources à une vitesse ne permettant pas aux écosystèmes de s’adapter au rythme imposé. La population mondiale est passée de 1,5 milliards en 1900 à 7,8 milliards en 2020, et les classes moyennes se sont étendues au-delà de l’imaginable.

Au cours du siècle écoulé, la biodiversité a dramatiquement décliné en raison des besoins d’espace et de consommation de milliards de nouveaux être humains. Homo Sapiens vit mieux, plus longtemps, n’entre en guerre que rarement. Mais ce résultat se fait aux détriment des espèces animales et végétales, engendrant pollution des océans et des rivières, déforestation, et creusant des trous béants dans les montagnes. Les espaces naturels se réduisent et la vie sur notre planète s’éteint [4].

La fausse bonne idée de l’écologie hi-tech et le néo-colonialisme vert

Les plus optimistes veulent croire à des solutions technologiques. On parle beaucoup à la COP26 des « cleantechs », ces entreprises qui proposent des solutions respectueuses de l’environnement. C’est la version optimiste et technologique du mouvement écologiste (dit « hi-tech »), qui promeut l’innovation comme solution au changement climatique. Les voitures électriques, les panneaux solaires, l’énergie hydro-électrique, une nourriture pour que les flatulences du bétail rejettent moins de méthane dans l’atmosphère, les solutions techniques sont légion.

Or, on veut ignorer qu’un panneau solaire nécessite des terres rares pour être construit, et qu’il produit sur le long terme des déchets. Qu’une voiture, quand bien même qu’elle troquerait son moteur à énergie fossile contre de l’électricité, consomme malgré tout de l’énergie qu’il faut bien produire d’une manière ou d’une autre. Une centrale hydro-électrique détruit des biotopes et déplace des populations, écoutons donc les autochtones restés sur le parvis. Enfin, quant au bétail… disons qu’il continuera de péter, quelque soit la nourriture qui lui sera fournie. Il y a là, par ailleurs, une manière de voir le vivant comme une simple machine à nous fournir des resources. Ceci explique, peut-être, une autre impasse d’un événement international comme la COP25, qui parle de « ressources » et non de la « nature ».

Car l’on refuse et refusera d’entendre lors de toutes rencontres internationales que la survie de notre espèce passe par un appauvrissement de celle-ci. De nombreux acteurs de la société civile cherchent même toute sorte de tactiques rhétoriques pour éviter d’avoir à le dire frontalement. Les autochtones, s’opposant à la destruction des forêts et leurs habitats, doivent se contenter de parler de « respect du territoire », tout en affirmant qu’ils ne sont pas opposés au progrès. Des ONG parleront de recyclage, n’osant verbaliser que la constructions des biens de consommation, même recyclés, passe par une matière qu’il faut bien développer, ainsi qu’avoir recours à une énergie qu’il faut bien produire. A la COP26, COP27 et suivantes, le peu de représentants des intérêts globaux qui entrent dans le temple des décideurs doivent accepter le jeu des intérêts nationaux, sous peine d’être excommuniées. Les intérêts nationaux ne sauraient tolérer un discours remettant en cause la croissance, le seul dogme duquel l’on ne peut et l’on ne doit s’écarter sous aucun prétexte. Les chefs d’Etats n’ont pas été élus pour sauver l’espèce humaine, mais pour enrichir leurs concitoyens. Seule une démocratie donnerait la parole à ses contradicteurs : or, le système international n’est qu’au stade d’une démocratie balbutiante, très éloignée du cadre qui pourrait faire évoluer les échanges en direction du bien commun pour tous. Nous n’en sommes pas encore là, et c’est pourquoi la COP26 ne peut qu’accoucher de décisions symboliques et inutiles, qui seront reprises en boucle dans les réseaux sociaux, tel ce dinosaure d’UNDP parlant de l’extinction de l’espèce humaine. Tous les leaders politiques, artistiques et issus de la société civile (ceux qui ont acceptés les intérêts nationaux) se féliciteront des avancées significatives réalisées. Nous sommes dans le cercle vicieux que dénonçait les sociologues et philosophes l’Ecole de Frankfort, où le capitalisme parvient à capter et marchandiser ses contradictions. En d’autres termes, la COP26 parvient le coup de force de faire des affaires avec ses contradicteurs; t-shirts à son effigie, mais aussi ce que l’on appelle le greenwashing des multinationales, présentes à l’évènement pour rassurer leurs clients qu’elles se préoccupent du climat, et qui rassureront par la suite les actionnaires qu’elles ne feront rien pour le climat. Avant de pointer du doigt des coupables, demandons-nous toutefois si nous n’avons pas notre part de responsabilité : combien payent plus cher leurs produits pour qu’ils soient respectueux de l’environnement ? Une fraction de la popuplation.

La responsabilité personnelle

La COP26 est également un échec annoncée car il est temps pour l’humanité de se reposer sur des dirigeants providentiels. Il s’agit à chacun d’entre nous de mener le combat intérieur pour consommer moins. Ne pas changer de télévision, voiture ou téléphone portable, alors qu’on peut réparer. Rapiécer nos habits, consommer local. Changer en profondeur les habitudes de notre enfance, car nous avons été élevés par des gens qui n’avaient rien, et pour qui le confort matériel était tout. Nous avons gardé cette idée de nos parents que vivre dans le confort était normal, alors que ce cadre est unique dans l’histoire humaine : une telle masse d’individus qui peuvent accéder à presque tout ce que possède l’élite est inédit. Et explique la situation inextricable dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui.

Plus d’équité, la condition ultime

Le volet de décroissance et donc de diminution de la consommation est l’une des deux facettes du grand combat pour la survie de l’humanité. Sans une meilleure répartition des richesses, la lutte est condamnée à l’échec. Car hors de l’Occident, là où les ressources végétales et minérales se trouvent, personne n’est prêt à faire l’impasse sur la manne financière. Le Pérou, pays pauvre en devises mais immensément riche en cuivre ou en or, veut que sa population puisse se traiter lorsqu’un épidémie l’atteint aussi durement que la COVID-19. Le Niger, l’un des pays les plus pauvres de la planète, préfère oublier l’impact de l’extraction d’uranium sur sa population s’il peut vendre son abondant matériau à la France et la Chine. Que dire de l’Indonésie, dont les forêts abritent les derniers orangs-outans de la planète ? Qui osera lui dire de mettre fin à sa production d’huile de palme, qui représente 6 à 7 % de son PIB ?

Le Tiers-Monde est le Tiers-Etat car il n’a pas accès ni à un bon système de santé, ni n’est doté d’une bonne éducation, souffre de mauvaise gouvernance et reste économiquement dépendant du premier monde. Il n’existe pas de scénario où le combat contre le réchauffement climatique puisse se faire sans le Tiers-Monde. Et que les uns, issus des pays développés, demandent à leurs fournisseurs, les pays sous-développés, de diminuer l’extraction de leurs ressources ou de les rendre plus chères, est improbable. C’est même un affront à tout ce que nous savons de la logique économique des nations dans l’histoire.

Alors voilà, si la COP26 est condamnée à échouer, quelle est pourrait être la solution ? Il n’en existe aucune viable, semble-t-il. Car il serait nécessaire d’oeuvrer à l’élaboration d’une démocratie planétaire, ce qui semble impossible. Ou d’encourager les pays riches d’aujourd’hui à s’appauvrir et qui plus est le faire en fournissant de larges ressources (savoir et santé) aux pays pauvres. Encore plus difficile.

Un regain de spiritualité ?

Le saut qualitatif humain qu’il serait nécessaire de réaliser est avant tout individuel. Accepter de poursuivre une quête du mieux vivre qui ne passerait pas par la consommation. Devenir plus conscient de notre impact à notre échelle personnelle, et agir sans attendre que des Etats trouvent des solutions. Dépasser notre égoïsme individuel qui nous rend fou furieux lorsque l’on découvre que le voisin possède plus que nous. C’est une révolution spirituelle dont il est question ici, la même que les Grecs anciens appelaient de leur veux lorsqu’ils professaient précisément ces idées.

Si c’est avec gêne que ces dernières lignes ont été parcourues, ce n’est.pas un hasard. Cela démontre l’étendue du parcours à accomplir. Car si le citoyen ne souhaite pas s’impliquer dans un changement personnel, comment les Etats, tenus de le représenter, le pourraient-ils ?

Références

  1. le programme onusien responsable en charge du développement économique et de la bonne gouvernance[]
  2. Les USA dépensent 778 milliards de dollars pour l’armement en 2021. Le budget pour lutter contre le réchauffement climatique de 36 milliards de Joe Biden, nouveau président étasunien, n’a même pas pu être approuvé car déclaré trop cher par certains parlementaires []
  3. Il s’agit de la croyance économique que si les autres s’enrichissent, je m’enrichis également, la coopération entre Etats est ainsi valorisée. Elle repose sur les écrits d’Adam Smith et de ses suiveurs. []
  4. On parle de la 6e extinction de masse du vivant, pour décrire le phénomène de perte accéléré de la biodiversité dont l’humain est responsable. []

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