Décoloniser l’archéologie: la chapelle Sixtine du Guaviare

L’archéologie occidentale est encore tributaire d’une forme de pensée colonialiste.

J’en veux pour exemple le récent article du Guardian, ‘Sistine Chapel of the ancients’ rock art discovered in remote Amazon forest, repris par les journaux du monde entier. Le site serait si nouveau « qu’il n’aurait même pas de nom », selon les « découvreur explorateurs ». L’endroit serait infesté « de crocodiles, serpents et par la guérilla FARC » (avec laquelle il faudrait négocier), ne s’atteignant qu’après de pénibles marches dans la jungles amazonienne.

Ce qui est pénible, c’est la présentation de l’archéologie dans le monde occidental. Soit l’équipe Britannico-colombienne sortait pour la première fois de son bureau universitaire, soit elle a sciemment menti au Guardian. Je me suis rendu en 2019 au Guaviare pour voir ces peintures : j’ai l’impression d’avoir visité un lieu différent. Je souhaite ainsi rectifier quelques contre-vérités.

La découverte de la Chapelle Sixtine des peintures rupestres

Peintures rupestres du Cerro El Raudal du GuaviareTout d’abord, des professeurs universitaires colombiens étudient l’endroit depuis des décennies. Fernando Urbina, pour ne citer que lui, a passé sa vie académique à étudier les peintures rupestres. Prétendre qu’on vient de découvrir le site archéologie est imbuvable.

Le lieu est splendide, certes, mais il est connu de toute la population. C’est à San José del Guaviare, la capitale du département du Guaviare de Colombie, qu’on m’a indiqué comment trouver le lieu.

De plus, les peintures sont nommées les « peintures rupestres d’El Raudal du Gaviare », du nom du hameau (El Raudal) qui est situé à deux heures de marche du site. Le site a un nom. Et il est fréquent, en dehors du monde occidental, de ne pas donner de noms aux lieux. Un lieu anonyme ne signifie pas qu’il soit inconnu de la population locale.

La dangeureuse amazonie colombienne

Sur la dangerosité du lieu, si l’équipe de chercheurs s’était rendue au Guviare en 2015, avant les accords de pays entre le gouvernement colombien et les FARC, elle aurait effectivement fait face à de sérieux ennuis. Depuis les accords de paix de 2016, les FARC se sont retirés au centre du département du Guaviare. Ils se déplacent bien sûr aussi sur les pourtours, ne serait-ce que pour sortir la cocaïne. Mais à moins de les chercher, comme je le fis en 2019, on ne les voit pas. Prétendre qu’en 2019 il faut négocier avec les FARC pour voir ces peintures rupestres me semble difficile à croire. Les locaux peuvent parfois dire que les FARC ne sont pas loin, ils ont vécu avec les FARC toute leur vie et ce n’est pas en l’espace de trois ans qu’ils vont se défaire de leurs réflexes de survie. Donc rapporter ce que disent les locaux est sujet à caution; mais à avancer que l’équipe de chercheurs a dû négocier avec la guérilla… j’ai peine à croire que cela puisse être vrai.

Le site est effectivement situé dans la pré-amazonie, c’est-à-dire le début de la forêt amazonienne. Mais la région du Guaviare, plus particulièrement dans la Serranía la Lindosa (chaîne de montagnes de la Lindosa), ne contient pas des centaines de kilomètres de forêt dense. On trouve l’Amazonie dans toute sa splendeur au sud du département du Guaviare, ou encore dans la Serranía de Chiribiquette, un monde fait de vraie jungle, empli d’autochtones n’ayant jamais vu d’étrangers, et surtout protégé par le gouvernement colombien contre l’entrée de touristes. C’est simple, à lire l’article du Guardian, j’ai pensé que l’équipe de chercheurs s’était rendue au Chiribiquette : des serpents gigantesques, des crocodiles, une jungle touffue, deux heures de bateau… oui, la nature peut être dangereuse. Elle l’est d’ailleurs partout. Mais malgré toute la beauté de la vie animale d’El Raudal, elle se compare difficilement avec les régions proprement amazoniennes de la Colombie, ces endroits où les animaux les plus dangereux sont en réalité les insectes.

Visitez responsablement les peintures rupestres d’El Raudal

Vous pouvez visiter sans aucun problème le site des peintures rupestres d’El Raudal. Cela n’a rien de dangereux. Peut-être la partie la plus sincère de l’article du Guardian concerne la beauté des peintures. Elles sont, il faut bien le dire, exceptionnelles. Elles se trouvent réparties sur plusieurs étages, et même sur plusieurs sites.

Les quelques maisonnées où vous pourrez vous loger seront ravies de vous accueillir. On ne gagne pas beaucoup d’argent à El Raudal, et les touristes sont les bienvenus.

Mais ne touchez pas ces peintures qui ont traversé les millénaires. Certains jeunes locaux le font et détruisent ce patrimoine de l’humanité.

Cet article a 2 commentaires

  1. Mirza Taqi

    Super intéressant! Nous avons justement regardé cette serie sur Channel 4 et c’était vraiment de l’archaelogie sensationnaliste, difficile a croire. Ca ne semblait pas sérieux et nous avons eu beaucoup de doutes sur leurs affirmations. Content de voir que nous doutes étaient bien fondés!

    1. Il est difficile de démêler le faux du vrai. Je connais extrêmement bien la région. J’ai des amis presque dans chaque village, y compris en zone narco. J’ai visité le lieu « découvert » par l’équipe internationale d’archéologues.
      Malgré ça, vu la news reprise dans tous les journaux, j’ai contacté ces amis sur place pour m’assurer que je ne me trompais pas.

      Même moi j’ai douté. C’est d’abord sorti dans le Guardian, un journal qui en général croise ses sources. Pas là. Shame. Mais sur ce genre de sujet, que le journaliste ne cherche pas un second expert pour confirmer la découverte, c’est compréhensible. C’est erroné, mais une erreur compréhensible, c’est une découverte, du nouveau. Presque toute la faute repose à mon sens sur l’équipe d’archéos qui cherche à justifier ses financements. Un classique dans le domaine.

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