Coronavirus au Pérou : « Je me vois contrainte de dire non à des Péruviens qui me demandent à manger», une dure réalité de la solidarité

« C’est un choix terrible que de décider à quelle famille donner à manger », confie Audrey Lencou, une Française expatriée à Huanchaco, un village côtier du Pérou. « Je vois des familles qui ont faim, et je ne peux pas toutes les nourrir. Je me vois contrainte de dire non à des Péruviens qui me demandent à manger. C’est difficile pour le moral, mais je ne baisse pas les bras », commente une Française qui a décidé de retrousser les manches pour venir en aide aux démunis de sa région.

Le Pérou vit dans l’état d’urgence depuis le 17 mars 2020 à la suite de la crise sanitaire du coronavirus (Covid-19). Les mesures y sont plus drastiques qu’en Europe, puisqu’aucun déplacement interurbain n’est permis dans le pays sauf autorisation particulière. On ne peut sortir que pour faire ses courses, aller à la pharmacie, à la banque ou consulter un médecin. De plus, un couvre-feu a été décrété le 18 mars qui s’étendait de 20h à 5h du matin les premiers jours, puis depuis le 31 mars de 18h à 5h. Depuis le 3 avril, les sorties de la population pour faire les courses et les quelques rares actes jugés essentiels sont alternées entre femmes et hommes, chacun étant autorisé à sortir trois jour par semaine. L’état d’urgence a été décrété par Martín Vizcarra, le président péruvien, jusqu’au 12 avril.
Cette restriction de mouvements et de réunions a pour conséquence de plonger une partie de la population dans une situation de famine. Dans un pays où l’économie informelle est très répandue (entre 40 et 60% du PIB selon la Banque Mondiale), de nombreux Péruviens vivent des petits boulots qu’ils trouvent. Le Pérou compte 21 % de sa population vivant dans la pauvreté, et 3 % dans la pauvreté extrême. On y survit au jour le jour en vendant des ceintures, en nettoyant des chaussures et tout ce que l’esprit de débrouillardise permet d’inventer. Mais aujourd’hui, même cette ingéniosité est insuffisante est prise en défaut face aux conséquences économiques de l’état d’urgence. Pour toutes les familles qui peinaient à joindre les deux bouts avant la crise, l’interdiction de pouvoir gagner de l’argent sonne comme une condamnation à mort. Même la solidarité familiale ou communautaire se trouve prise en défaut, la circulation étant limitée.

Pourtant, lorsqu’Audrey Lencou voit par hasard une photo d’appel à l’aide dans un journal péruvien, elle laisse parler son coeur. Sur l’image, un graffiti reflétant le désespoir de tout un quartier de Trujillo, la troisième plus grande ville du Pérou : « S’il vous plait, aidez-nous, nous n’avons plus à manger ! ». Le sang de la jeune française, qui vit à Huanchaco, un village jouxtant le quartier criant famine, ne fait qu’un tour : « Je ne pouvais rester sourde à ces cris de désespoir ». Audrey n’a elle-même plus de revenus, puisqu’elle dû fermer son auberge de jeunesse faute de clients ; qu’à cela ne tienne, elle va se vouer corps et âme à aider son prochain sans penser à elle-même.

Elle contacte ses amis expatriés de son village et parvient à réunir une petite somme qui lui permet d’acheter suffisamment de nourriture pour remplir une trentaine de sacs. « Un sac permet à une famille de survivre durant environ une semaine », explique la Française. « Mais lorsque nous avons distribué les sacs, nous avons dû refuser d’aider des Péruviens qui nous demandaient aussi à manger, nous n’avions pas assez de sacs pour tout le monde. J’ai alors lancé un appel à la solidarité sur les réseaux sociaux [1] ». Son alarme est rapidement entendue, puisqu’Audrey collecte en quelques jours la somme de 1200 Euro, soit l’équivalent de 150 sacs qu’elle va prochainement distribuer dans le même quartier ainsi que dans un autre village nommé la Esperanza. La générosité des internautes va permettre à Audrey et son compagnon Joan, un professeur de surf péruvien avec qui elle a ouvert son auberge de jeunesse, d’étendre leur rayon d’action au premier village où la Française a vécu lors des débuts de son expatriation : « C’est une continuation de la raison qui m’a poussé à venir au Pérou. Une fois ma formation universitaire terminée dans le domaine social, j’ai voulu aider des enfants déscolarisés. J’ai trouvé un poste de volontaire à l’Esperanza où j’ai pu leur offrir des cours. Aujourd’hui, je leur offre à manger. » Plusieurs initiatives identiques, émanant de citoyens péruviens, d’ONG et d’expatriés, cherchent à répondre dans l’urgence aux besoins de première nécessité des plus démunis.

Du côté du gouvernement de Vizcarra, on a promis au début de la crise un soutien financier d’un montant de 250 millions de Soles (67 millions d’Euro). Il doit permettre de répondre aux nécessités du 24 % de la population en état de pauvreté. Cet appui avait été fixé dès le début de l’état d’urgence à 380 Soles (un peu plus de 100 Euro) par famille, et visait à couvrir les dépenses estimées d’une famille pour deux semaines. Le gouvernement s’est même engagé à renouveler le bon, puisque l’état d’urgence a été Mais dans ce cas, pourquoi cet argent ne parvient-il pas aux déshérités de Trujillo et comment se fait-il que l’action d’Audrey Lencou et d’autres soit-elle si importante ?
Santiago Gómez Pariente, journaliste à Latina Televisión, explique que « seules 1.4 millions de familles sur les 3 millions de prévues ont reçu l’aide gouvernementale à ce jour. La répartition devait prendre la forme d’un virement bancaires pour les destinataires des bons, mais la majorité des personnes dans le dénuement n’ont pas de comptes ». Une parade a bien été cherchée, avec la mise en place d’un site internet indiquant quand, comment et qui peut aller chercher son bon auprès des services gouvernementaux. Une idée dictée par la nécessité d’éviter le rassemblement de la population et la propagation du virus, mais c’est encore un échec : encore faut-il que les indigents puissent avoir accès à internet et entendent parler du site. « Le gouvernement va dorénavant avoir recours aux travailleurs sociaux pour distribuer de la nourriture. Mais je ne pense pas que ce sera suffisant pour répondre à la demande », regrette le journaliste.

Quant à l’évolution de la pandémie, les chiffres extrêmement bas du nombre d’infectés dans le pays (un peu plus de 2’500 cas confirmés) sont à prendre avec précaution puisque les tests de dépistage commencent à peine à arriver dans le pays. Gómez Pariente parie sur « une chiffre 3 à 4 fois supérieur ». Une chose est sûre : la pandémie aura aussi donné lieu à de magnifiques élans de solidarité, à l’image de celui d’Audrey Lencou.

Références

  1. L’appel est toujours ouvert et accessible à l’adresse suivante : https://www.leetchi.com/c/aide-alimentaire-pour-les-familles-peruviennes[]

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