Poids des mots et mots pesants : commentaire à « Risque zéro pour les voleurs? » du Temps

Un simple mot glissé dans une chronique, et voilà que tout s’effondre. Dans le Temps de ce jour, Marie-Hélène Miauton se fend d’une chronique au vitriol. La chronique, à dire vrai, commençait plutôt bien : remise en question (quelque peu gratuite, mais passons) de l’uniformité des médias, c’est toujours sain et ça de pris sur l’ennemi. Mais la conclusion, sortie de on ne sait où, éclaire sur sur l’origine de son questionnement. Et m’a poussé à lui demander des explications.

L’article, tout d’abord :

Cela fait bien longtemps que nous avons renoncé à administrer la mort aux malfaiteurs et aux assassins, ce qui est juste. Mais ce qui l’est moins, c’est que les médias aient les yeux doux pour un jeune voleur de voitures et la plume acerbe pour le gendarme qui lui a tiré dessus. Par Marie-Hélène Miauton

Le décès, sous les balles d’un gendarme, d’un jeune Français d’origine kurde, prévenu de vol de véhicule, ne satisfait personne. Cela fait bien longtemps que nous avons renoncé à administrer la mort aux malfaiteurs et aux assassins, notre société répugnant au principe «oeil pour oeil, dent pour dent» jugé à juste titre peu civilisé. Il est donc normal qu’une instruction ait lieu pour déterminer le pourquoi et le comment d’un acte qu’on ne saurait banaliser.

Ce qui est moins juste en revanche, c’est que les médias aient les yeux doux pour le voleur et la plume acerbe pour le gendarme. Cette attitude est irresponsable, même si elle intervient dans un monde où l’on veut nous faire croire que les méchants et les gentils ne sont jamais ce qu’ils semblent être, c’est-à-dire que les voleurs sont tous des Robin des Bois et les flics tous des ripoux. Trop facile! En outre, le risque zéro ne saurait exister ni chez les uns ni chez les autres mais, au choix, il serait normal de viser en priorité la survie du policier. Ce n’est malheureusement pas le cas.

Quels sont les ingrédients de cette histoire? Trois voitures volées, un conducteur qui fonce à toute allure dans un tunnel d’autoroute où un barrage a été placé, un gendarme qui se sent en danger en voyant arriver ce bolide, tire plusieurs fois pour arrêter la voiture, et tue son passager. Il semble avéré, malgré la description idyllique par sa famille d’un jeune au-dessus de tout soupçon («C’était un jeune homme parfait. Il ne buvait pas. Il ne fumait pas. Il avait obtenu un diplôme dans le bâtiment. Depuis une année, il était chef de chantier dans l’entreprise familiale.»), qu’il s’agissait au contraire d’un voyou déjà connu de la police et qui n’en était donc pas à ses premières frasques.

Son frère jumeau n’a-t-il pas été arrêté ensuite sous l’accusation d’actes délictueux, celui-là même qui s’était permis de déclarer à la presse suisse «Je n’attendais pas ça du pays des Droits de l’homme». Beau culot! Les parents ont d’ailleurs renchéri sur ces accusations indécentes en affirmant «Notre fils a été exécuté.»

Mais posons-nous la question de savoir comment les proches du défunt ont pu faire le déplacement en Suisse à 70 personnes! Même en connaissant la taille des smalas orientales, cette transhumance a évidemment été orchestrée et sans doute payée. Par qui? Et dans quel but? Y aurait-il une signification politique là derrière, ce que ne saurait contredire le choix de l’avocat de la famille,
Me Dolivo, bien connu pour ses attaches à l’extrême de la gauche. Sachant que la règle veut, chez nous, qu’un avocat n’interpelle pas ses clients potentiels (selon l’étymologie de ce nom venant du verbe latin advocare: appeler à soi, convoquer), comment ces Français, ignorant tout du canton de Vaud, ont-ils bien pu le dénicher? Sur la base de quels bons conseils? Voilà des questions passionnantes sur la façon dont s’organise la récupération d’une cause, voire son instrumentalisation, qui devrait alerter maints journalistes d’investigation. Où sont-ils donc?

Et voici mon email à l’auteur :

Madame Miauton,

C’est avec intérêt que j’ai lu la première partie de votre chronique dans le « Temps » de ce jour. Mais c’est avec étonnement que j’en poursuivi la lecture. J’hésite entre la maladresse et la xénophobie, mais à défaut de contradiction, un faisceau de preuves semble indiquer qu’il s’agit de xénophobie; saurez-vous me faire revoir mon jugement ?

En effet, il est tout à votre honneur de chercher à rappeler que derrière la terrible conclusion qui a vu un homme trouver la mort pour un vol de voiture, il y a un policier qui a peut-être cherché à faire son métier. Que si l’empathie veut qu’on se focalise sur la victime, on ne se demande pas toujours si les actes de cette dernière ne sont pas aussi à déposer dans la balance.

Toutefois, laissez-moi vous faire part de mon étonnement. Car si vous reprochez un certain goût pour la victimisation dans les médias (constat qui mériterait, pour dépasser les lieux communs, une véritable recherche argumentée), un parti pris sur lequel se construiraient les articles journalistiques, les mots que vous utilisez dans votre chronique me semblent refléter votre propre parti pris, qui – mais j’espère me tromper – est nettement moins sympathique. Car la clé de lecture de votre article se trouve bien dans sa conclusion : « transhumance ». Un terme qui dans un pays qui connaît bien le déplacement de troupeaux de bétail, frappe l’imaginaire plus fortement encore. Et votre analogie, souverainement sélectionnée pour sa force dévastatrice et gratuitement insultante, ne saurait refléter autre chose qu’un parti pris xénophobe. Ainsi, « smala », terme qui dans un autre contexte aurait pu se révéler familier, finit d’éclairer votre pensée : votre parti pris à vous est xénophobe – et plutôt dirigé vers l’Orient. Aurait-il été autre chose que Kurde, j’aurais osé le terme islamophobe, mais vous êtes plus généreuse que cela, dirait-on.

En somme, et sans vouloir faire l’exégèse de votre article, si vous attaquez les a priori victimaires de certains médias, peut-être serait-il salutaire de vous en prendre à vos propres a priori. Comparer des familles kurdes à du bétail n’est pas d’une adresse et d’une pertinence à toute épreuve; des a priori tout ce qu’il y a de plus nauséabonds. Surtout lorsque sur la lancée, vous posez des « questions », dont le seul objectif n’est pas la recherche de réponses, mais bien d’étayer votre position : coupable jusqu’à preuve du contraire, ce bétail qui reçoit sa famille nombreuse. Coupable jusqu’à preuve du contraire, ce bétail qui fait appel à un avocat (?).

Un journaliste ne présente-t-il pas le résultat de ses enquêtes ? Pourquoi vous sentez-vous légitimée à poser des questions, sur lesquelles vous n’avez rien à présenter ? Parce qu’en lançant ces « questions », vous alimentez la paranoïa de vos lecteurs, pathologie aidant ces derniers à être plus réceptifs à la « transhumance » de ces étrangers, qui, contrairement aux Suisses, vivent en familles nombreuses. Pas très Suisse, tout ça, heureusement, le mot « transhumance » est là pour nous rappeler qu’ils ne sont pas tout à fait des êtres humains.

Que de raccourcis et de mots blessants ! Pour le moins étonnant, pour quelqu’un qui souhaite s’en prendre à ceux-là même qui condamnent un policier sans en connaître les circonstances exactes.

Sincèrement,

J’accuse encore le coup. Bien sûr, il s’agissait d’une chronique, mais peut-on tout s’y permettre ?

Laisser un commentaire