L’échec d’un pays : la Suisse interdit de construire des minarets

minaret missiles campagne udcNous y voilà. 60 % des Suisses ont lancé un vibrant cri de peur, d’incompréhension, de haine : il sera dorénavant interdit de construire un minaret en Suisse. Pourtant, presque tous les partis étaient unis derrière le rejet de l’initiative populaire : seul l’extrême droite soutenait la proposition de réglementer leur construction. Et pourtant. Avec un taux de participation peu courant (pas loin de 60% à Genève, une moyenne de 52% en Suisse), le vote est sans appel. Il prouve, une fois encore, que la puissance de l’extrême droite est intacte : ces dernières années, les objets acceptés par le peuple alors qu’ils n’étaient que soutenus par cette formation politique ne se comptent plus.

Alors que faire ? Les élites politiques, clairement, n’arrivent plus à expliquer la complexité du monde à leurs populations. On le voit, lorsqu’on consulte les Européens sur l’avenir de l’Europe, les débats ne prennent aucune hauteur. Comment oublier que le droit à la vie inscrit dans feu le Traité établissant une Communauté Européenne déborde en France sur la peur de voir remettre en question le droit à l’IVG ?

Il semble invraisemblable que la seule question des minarets ait poussé les citoyens helvétiques à glisser un non massif dans l’urne. C’est assurément un « non » aux questions pêle-mêle véhiculées par l’islam, que ce soit la bourqa, la séparation filles-garçons à la piscine, et tutti quanti qui se sont vues attaquées ce dimanche 29 novembre. Pas de clivage ville-campagne, pas plus de röstigraben (partie francophone du pays opposée à la partie germanophone), c’est à l’unisson que le peuple suisse s’attaque de front aux musulmans. L’ampleur du vote a dépassé nombre de ses défenseurs, s’empressant de rappeler que cette initiative populaire n’était pas « contre » l’islam, mais uniquement contre les minarets. Il est assez cocasse de voir les mêmes qui hier, rappelaient combien l’islamisation rampante de nos société étaient dangereuse, se muer en VRP de la tolérance inter-confessionnelle aujourd’hui. Les risques inhérents à cette votation sont réels, et personne ne voudra les assumer.

Car les risques, quels sont-ils ? L’image du pays est évidemment désastreuse. La crédibilité auprès du monde musulman risque d’être réduite à peau de chagrin. Au Maghreb et au Mashrek, la tentation de prêter une oreille attentive aux élucubrations de Mouammar Kadhafi, ennemi de toute une nation, sera plus forte que jamais : jusque-là, il prêchait que l’islamophobie gangrenait la Suisse, seul dans son désert, mais la votation semblera lui donner raison. Par ailleurs, la crainte de voir une fuite des épargnes déposées dans les coffres helvétiques est plus justifiée que jamais; annus horribilis pour le secteur bancaire qui, touché par la crise et par l’effritement accéléré du secret bancaire, ne doit plus savoir que faire. Ainsi, les problèmes engendrés par cette votation sont multiples : difficultés exacerbée pour la politique extérieure (et pas seulement vis-à-vis des dirigeants étrangers, car après l’affaire des caricatures de Mahomet, quelle sera la réaction des populations musulmanes ?), stigmatisation des musulmans en Suisse et remous économiques. Les milieux politiques et économiques vont devoir faire preuve d’inventivité pour contrebalancer les effets potentiellement dévastateurs de cette votation.

Les 40% de la population qui ont refusé les amalgames simplistes et la guerre des civilisations vont se mobiliser, c’est certain. Bien que je doute du moindre impact que pourrait avoir certaines formes de mobilisation (je ne compte plus le nombre de fois que j’ai reçu des invitations à rejoindre des groupes « facebook »), il est primordial de rappeler que sur une partie de la population s’exerce de plein fouet la tyrannie de la majorité. Que des Suisses ont mal à leur nationalité en ce jour, et qu’accepter le résultat de cette votation fera appel à toute la foi qu’on peut nourrir dans la démocratie.

J’appelle aux démocrates convaincus faisant partie de ces 40% à jouer le jeu de la démocratie. Ce qui signifie ne pas se contenter de créer des groupes virtuels, qui ne sont utiles que pour prêcher dans sa propre paroisse de convaincus, mais parler et se dépenser sans compter pour expliquer pourquoi la voie du refus de l’autre met en péril notre démocratie. J’appelle les démocrates à faire montre de maturité : un jour ou l’autre, cette décision populaire sera invalidé par la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle est inapplicable, discriminatoire, contraire au droit européen. Il faut donc d’ores et déjà préparer l’opinion à accepter « la dictature des juges », expliquant sans relâche pourquoi interdire les minarets n’est pas une réponse à leur peurs provoquées par un monde en mutation. C’est un travail harassant de terrain, de débat, qu’il faut enclencher dès aujourd’hui : écouter les angoisses exprimées par la majorité suisse est bel et bien le fardeau qu’il faut se décider à porter. Même si aller à la rencontre de l’autre revient à accepter d’entendre les mêmes rengaines nourries de haine et d’incompréhension, c’est bien parce que ces 60% ont l’impression de ne pas être écoutés que ce vote a pris cette tournure. N’hésitons pas à enchaîner débat sur débat, expliquer et enseigner, rappeler qu’une société laïque ne peut se permettre de réglementer la manière de vivre sa foi, lorsque cette manière n’a aucune implication sur les autres. N’hésitons pas non plus à rappeler que les dictatures honnies des pays musulmans sont le fait des élites, et nous sont insupportables parce qu’ils imposent des pratiques sans aucun égard à leurs populations, soit; mais rappelons dans la foulée le fascisme est née dans les démocraties, et qu’il souhaitait homogénéiser ses populations. Régenter celles-ci, et leur imposer une façon unique d’être, de penser.

La démocratie n’est morte que lorsqu’il n’existe plus personne pour la défendre. Il est nécessaire de rebondir avec le plus de force possible, descendre dans l’arène politique pour rappeler que la démocratie n’est pas négociable. Qu’il est contreproductif de se transformer en Arabie saoudite pour clamer que nous n’en partageons pas les valeurs. L’heure des décisions, c’est aujourd’hui : les 40% seront-ils assez courageux pour se faire entendre ?

Cet article a 5 commentaires

  1. Julien

    Comme je suis d’accord avec toi camarade! Le vieil Aristote avait déjà tout dit : la démocratie est potentiellement dictatoriale, exactement pour ces raisons (même si la démocratie à la grecque n’a pas grand chose à voir avec la notre, pour le meilleur comme pour le pire)… Pas grand chose à ajouter à ce que tu dis, c’est exactement mon point de vue. Le problème, toujours en termes bourdieusiens, c’est que le capital intellectuel est lui-même réparti de manière inégalitaire, et est donc par ailleurs en puissance un facteur d’inégalité. Je trouve ça plutôt complexe, et on voit encore que la limite entre démocratie « saine » et tendance poujadiste est vraiment très fine. Rien à ajouter à tes propos, heurs et malheurs de la démocratie : impossible et peu souhaitable de revenir à une organisation verticale du pouvoir ; et en même temps, par ce nivellement de toute parole et de tout discours, tout est confondu, et on voit se rejouer des formes de pouvoir ou de domination encore plus difficilement identifiables, et d’autant plus efficaces…

  2. jcv

    Tes pensées me soutiennent tout plein 🙂

    Je suis de plus en plus fâché avec la démocratie, particulièrement en Suisse où la xénophobie et l’islamophobie ne connaissent plus de limites. Soit. Mais la crise est plus grave, plus lointaine : l’Union européenne ne se serait jamais faite si on avait laissé aux peuples la liberté de choisir le rapprochement franco-allemand, plus récemment que dire du TECE et du vote franco-néerlandais, le fascisme est aussi arrivé en partie par la voie des urnes, jamais la peine de mort n’aurait été abolie par consultation populaire, etc.

    En termes bourdieusiens, je crois qu’il est nécessaire d’avoir une capital de connaissances politiques, économiques et historique avant de pouvoir se prononcer. Il y a 2500 ans, aux abords du Parthénon, les intellectuels athéniens se méfiaient comme d’une peste de la démocratie et du cortège de démagogues que celle pouvait amener. 2500 ans plus tard, il semble impossible d’avoir le moindre propos anti-démocratique sous peine de subir un ostracisme à la Thémistocle.

    Et pourtant, le règne des démagogues bat son plein, j’en veux pour preuve la France, l’Italie, la Suisse. La raison de tout ceci ? On fait croire que l’avis de n’importe qui vaut l’avis de n’importe qui d’autre. Que tout avis se vaut. Construit ou non construit, réfléchi ou émotif, le vote est partout égal. Et je crois que ce faisant, on mélange la valeur d’un individu, qui dans l’absolu se vaut de manière égalitaire, et le résultat de sa production intellectuelle, qui n’est certainement pas (à moins d’être totalement nihiliste) égale.

    Qu’est-ce qu’il peut me répondre à tout ça, le philosophe ? 🙂

    1. Pierre LeRenne

      Bonjour Psykotic

      Je ne suis pas sur d’être en total desaccord avec vous… mais ce billet me laisse un peu songeur, amer presque.
      Face à ce type de resultat les réponses sont toujours les mêmes et schématiques : Le peuple a peur, le peuple est idiot sans se préoccuper de comprendre au dela des ces raisons. Pour être sincére je n’aurait pas voté oui à cette intiative car je la trouve à la fois stupide, inapplicable et anticonstitutionnelle, mais je comprend (un peu) ceux qui l ont accepté. Le peuple Suisse (comme de nombreux peuples européens et notamement francais) se lasse des appels à la mauvaise conscience que lancent à la fois les intellectuels et les politiques. Ils se lassent de voir que face à la montée des extrémistes musulmans les seuls que l on entends sont les occidentaux et pas les mulsumans modérés qui existent pourtant et qui sont l’écrasante majorité. Ils sont las de voir que des dirigenants de certains pays arabes bafouent la loi de leur pays et que rien peut leur etre dis sans quoi ils prennent en otage à la fois l’economie et les ressortissants en otage. Ils se lassent de voir qu’au contraire de progresser dans un sens libéral les pays musulmans ont une pratique de plus en plus traditionnelle de leur religion. Bref en un mot que leurs efforts d’ouverture et de compréhension ne portent aucun fruit bien au contraire. Alors oui, peut etre betement, les suisses ont laissé parler leur découragement mal à propos car cette intiative est inepte. Comme dirait senghor « ils se trompent de colére »: soit ! Mais pour autant doit on vraiment négliger d’approfondir les raisons de cette défiance qui encore une fois est mal placée.
      Mais selon moi le vrai problème qui se pose à la Suisse et à son système politique est le suivant : comment une votation aussi ouvertement anticonstitutionnelle a pu faire son chemin jusque là ? Comment ? Comme le conseil fédéral ne l’a pas vu, comment le tribunal fédéral ne l’a pas vu, comment les chambres ne l ont pas vu ? A croire que TOUS les politiques se sont fait surprendre et ne pensaient pas un instant que cette initiative pouvait passer et même leurs intiateurs je pense car même eux semblaient sous les choc dimanche !. A tous les niveaux c’est une faillite morale, tactique et stratégique. Mais elle est là et comment apprendre de nos erreurs dans cette gabegie ? renouveller totalement le C.F ? Comment Réagira l’ensemble du système politique Suisse lorsque cette votation sera déclarée contraire aux droits de l’Homme car clairement discriminatoire. Bon courage aux juristes qui seront en charge de la redaction du texte « legislatif »…. D’ailleurs qui sait définir « legislativement » un minaret ? Interdit on la construction des tours, de fenetre ? C’est absoluement irréaliste qu’un texte pareil soit passé par toutes les échellons politiques et ceci sans parler de son aspect moral, j’evoque ici l’aspect purement technique juridique. Comment se fait il que l’on ai pas pu ou voulu faire passer cette votation au niveau qui est le sien : celui de l urbanisme auquel cas des votations cantonales voir communales auraient été bien plus adaptées ? Bref faillite totale encore une fois. Car qui plus est même sans cette intiaitive il est TOUJOURS possible de faire interdire la construction d’un minaret ou de tout autre edifice par Votation locale. L’année 2009 est vraiment un « anus horibilis » pur la confédération et il va VRAIMENT fallir qu’elle se remette en question et en premier lieu, non pas son peuple, mais ses « élites » politiques bien trop assoupies
      Enfin pour conclure : juste un petit rappel : Oui en democratie un vote en vaut un autre. Cela semble vous troubler et malgré toutes les références philosphiques que vous vous plaisez à citer vous négligez le plus simple des principes : « la démocratie est le pire des système, à l’exclusion de tous les autres ». En clair ce n’est pas un système parfait, pas plus que ne le sont les Hommes, les peuples et les systèmes.

      Et bien sur : sans racune, ni haine, ni violence….

    2. Serge

      Bonjour 😀

      Vous écrivez :

      « 2500 ans plus tard, il semble impossible d’avoir le moindre propos anti-démocratique sous peine de subir un ostracisme à la Thémistocle. »

      Intéressant… Voyons si l’inverse est possible ou jouable, selon ce même état d’esprit qui semble prédisposer à la liberté d’opinion :

      « Encore aujourd’hui, malgré notre époque moderne, il semble toujours impossible à un peuple d’avoir la liberté de craindre, sans doute à juste titre, de voir sa culture irrémédiablement mixée et refondue dans celle, plus internationale, d’un monde où toutes les cultures tentent maladroitement de cohabiter. »

      En gros, les Suisses n’ont pas le droit de vouloir rester tels qu’ils sont, de défendre leur culture et leurs valeurs sociales. Ils doivent obligatoirement céder à des pressions extérieures -pas très nettes par ailleurs- et se ranger à la vision de quelques-uns, persuadés d’être dans leur bon droit.

      Maintenant, soyons fous !
      Ou juste du côté du moins facile à défendre, du moins Démago, surtout.
      Essayons cette version bien plus difficile à placer dans notre débat, pour voir si la liberté est toujours une route à deux voie ou si elle s’est transformée, à notre insu, à un vulgaire chemin à sens unique:

      « Même de nos jours, malgré l’évolution des consciences, il semble toujours impossible de pouvoir refuser l’invasion passive d’un peuple aux us et coutumes différentes, sans être taxé de raciste et de xéno-quelque-chose. Cette politique tend à placer le citoyen moyen dans l’incapacité de penser librement, différemment et par lui-même sans s’attirer les foudres de ses congénères moins courageux ou bien mieux programmés qu’eux »

      En somme, les Suisses n’ont plus leur mot à dire : puisque les autres Nations se sont laissées séduire -et vont peut-être le regretter un jour, qui sait- les Suisses doivent s’aligner sur tous les autres et agrémenter leurs pittoresques villages de minarets dont les formes et les couleurs s’intègrent parfaitement à la campagne Suisse.

      Là déjà, ça le fait moins, n’est-ce pas ? lol
      je vous l’accorde.

      Mais lorsqu’on prêche la liberté d’opinion pour soi-même, il faut savoir l’offrir également aux autres.
      J’offre cette liberté aux Suisses.

      Si les Suisses ne veulent pas de minarets, foutons-leur la paix ou, alors, observons cette vague naissante, cette nouvelle politique aux rouges couleurs chatoyantes, qui va tout faire pour tenter d’imposer une planification des consciences, en commençant par la négation de la liberté inaliénable de chacun des individus et des Nations, en particulier.

      Bon, cela dit et en ce qui me concerne, je me fous radicalement du sujet et essaye juste de souligner un certain manque d’objectivité qui semble apparaître dans vos propos. Je peux me tromper, bien sur…

      Et peut-être aussi les premiers coups de crayon habiles d’un dessein sous-jacent d’imposer un dictatoriat socio-politique dont les prémisses, déjà, se dessinent en France et dans d’autres pays dits « démocratiques » ^^

      Bien entendu, cela nous dépasse vous et moi, je ne prétends PAS que tel soit votre propre but ou vos intentions.
      Je pense que vous êtes juste « perdu dans le courant » et que croyant nager vers le large, vous êtes seulement rejeté sur la berge, avec tous les autres.

      Une berge sur laquelle tout le monde pense pareil, réagit pareil et se fait B… pareil ! (excusez l’expression, mais c’est ce que je ressens et donc, je l’écris)

      Par ailleurs, j’imagine difficilement les Suisses faire un gros caprice parce qu’un pays musulman lui interdirait de construire des églises catholiques sur son sol (lol).
      Personne ne songe seulement à présenter l’enfant dans ce sens là…

      Et le fait de faire allusion à des représailles (financières et autres ^^) démontre bien à quel point vous pensez (sincèrement sans doute) que les Suisses ont tort et qu’ils devaient céder à une logique particulière différente de la leur.
      Et c’est ça qui fait un peu peur, mais bon, peu importe, au moins vous y croyez et vous défendez vos idées, c’est déjà respectable ! 😀

      J’ai pour habitude, quand je vois des pays, des nations ou des individus faire un gros caprice pour obtenir quelque chose, de me demander aussitôt ce qui se cache sous leurs gros sabots.
      Et les sabots musulmans sont immenses et font un boucan d’enfer, comme dirait Renaud.
      Sauf aux oreilles de ceux qui ont décidé de demeurer sourds, bien évidemment.
      Ce qui est leur droit et la pleine expression de leur liberté (ne sommes nous pas en République, voire en Démocratie ?)
      Ou de celle qui leur reste et qu’on leur laisse encore, peut-être.

      Et pour en terminer, je vous signale avec bienveillance que dans l’histoire, jamais une nation ne fut véritablement « démocratique » au sens étymologique de ce terme (de « démos » et « Kratos » = « le pouvoir au peuple »)

      Si vous en doutez pour ce qui a trait à notre époque, observez la France et osez dire qu’il s’agit là d’une véritable Démocratie !
      Mais il est vrai que l’hypnose collégiale est parfaitement conduite puis entretenue. Et nombreux sont ceux qui le pensent aussi.
      Cela doit donc être vrai, ma foi…

      Bon, voilà, c’était mon avis, je veux dire vraiment MON avis, et je sais que peu de gens osent encore le partager. Et c’est bien pour cela que j’y tiens ! En plus, il n’est pas plus lâche et insidieux qu’un autre.

      Bien cordialement à vous, et en espérant que vous ne vous étouffiez pas d’indignation, -feinte ou avérée- réaction à la mode lors de tels débats 😀

      Serge.
      Salon de Provence

  3. Julien

    J’ai eu une petite pensée pour toi quand j’ai entendu ça aux infos… Et une pour Tocqueville aussi, dans le même temps ^^

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