Il est presque aussi difficile d’entendre parler tchèque au centre ville de Prague, que d’obtenir un sourire d’un indigène. On ne saurait dire qui de l’héritage communiste ou de la mentalité slave est le plus responsable du manque de courtoisie en Bohème. Le résultat est assurément une absence de sens commercial et d’égards pour les touristes, qui malgré tout ne se privent pas de visiter une si ensorcelante cité.
On est tenté de fuir les lieux touristiques, de se mettre à l’ombre d’une ruelle peu fréquentée, imaginant que l’absence de visiteurs étrangers rendra le Tchèque plus aimable, que loin des lieux où il est harassé par des hordes incessantes d’hommes mêlant malhabilement sandales et chaussettes, il sera plus agréable. Il n’en est rien, l’impression de déranger est constante, et que l’on soit Tchèque ou touriste, aucun Praguois n’ose dégainer le plus vieux moyen de communication du monde, le sourire.
Pour peu que vous soyez de culture latine (ou que vous soyez très attachés à ce que semble exprimer le visage de votre interlocuteur), vous chercherez à oublier cet affront permanent. Quoi de mieux que de le noyez dans un tourbillon de pivo (bière), réputée comme l’une des meilleures du monde. La déception risque d’être rude ici encore, tant les bières tchèques, comparées à leur consoeurs allemandes ou hollandaises, semblent quelconques. La Pilsner Urquell, la plus en vogue, reste fade dans le palais. Le houblon ne pousse pas assez haut en République tchèque, du moins pas assez haut pour masquer les impassibles visages de ses habitants.
Prague a été à plusieurs reprises capitale du Saint Empire Romain germanique. A ce titre, la culture coule le longe des artères praguoises : toutes les églises semblent être réquisitionnées à la nuite tombée pour jouer des airs de Shubert, Brahms, mais surtout de Dvorak et de… Smetana, ce dernier étant constitutif de l’identité nationale au côtés de Jan Hus (réformateur protestant), Alexander DubÄek (protestataire puis président de l’Etat) ou Vaclav Havel (idem). Quoi de plus incroyable que ces lieux de cultes transformés en lieux de concerts : religion et musique fusionnent dans un admirable concerto, les formes baroques et gothiques des églises, à l’acoustique si pure et si adaptée à la musique classique qu’elles fusionnent dans moment divin. Le temps se suspend, dans un lieu où il n’est pas dit qu’il ait jamais existé.
De magnifiques aventures sont à vivre dans les palais et églises : l’histoire est exhalée par les gargouilles gothiques, fille d’une époque ou le Golem protégeait l’une des plus vieille communauté juive ashkénaze d’Europe de l’Est. Les constructions les plus “récentes”, faisant la part belle au rococo ou à l’art nouveau, sont moins émouvantes, évidemment. Elles sont trop souvent perdues près d’immeubles à la soviétiques, soit atteintes de gigantismes, soit délabrées. Bien entretenu ou non, le constructivisme et “l’art” soviétique ne provoqueront jamais les mêmes émotions auprès des spectateurs.
En effet, la période communiste fût une éclipse totale pour les artistes, sommés de suivre les canons de la laideur et de l’inexpressivité décidé par le Parti communiste. Aucun moyen d’exprimer quoi que ce soit en dehors de la ligne du Parti. Or, l’art dirigé dans ses formes ne peut être de l’art; même l’éclaircie lors de la détente amorcée par DubÄek ne sera que de courte durée : le Printemps de Prague sera réprimé dans le sang, comme la plupart des manifestations de la fin des années 60 de part le monde.
Les stigmates de ces événements sont encore bien visibles, bien que 20 ans se soient écoulés depuis que l’intellectuel Vaclav Havel a succédé au totalitarisme rouge. La Tchéquie subit de profondes modifications depuis son entrée dans l’Union européenne en mai 2005, et avec l’adoption de l’Euro prévue en 2012. L’extérieur de la capitale ressemble à un énorme terrain vague, où les immeubles poussent comme des champignons, et son intérieur à un chantier oeuvrant sur des trésors séculaires, où des petites maisons kafkaïennes sentent encore la peinture fraîche. C’est 24/24h que des ouvriers tchèques effacent patiemment les traces du passé récent et dévoilent le passé ancien. En soulevant les strates d’autrefois, on redécouvre une certaine misère, où les déshérités et les pauvres hères émergent à nouveau. Agenouillés, suppliants, les pauvres font l’aumône à côté des boutiques Prada. Les indifférents n’ont d’yeux que pour ces dernières, tel semble être le prix à payer pour notre liberté.
Avant la liberté obtenue par la “Révolution de velours” de 1989, il y eu celle recherchée par les Juifs, les Tsiganes, les homosexuels, les opposants de tout bord à l’empire nazi. D’une guerre à l’autre, serait-on tentés de dire, mais tous les totalitarismes n’ont pas la mort pour principal constituant. L’un s’est égaré en chemin, l’autre était vicié et avait emprunté la mauvaise direction dès le départ. Dans leur quête d’autocritique, les Tchèques, aux plaies encore à vif, peinent à l’admettre. Leur âme est semblable à ces marionnettes désarticulées des “black light theater” qui parsèment Prague : elle est dirigée par des Gepetto qui se sont succédés à la direction, tous aussi menteurs que Pinocchio.
Prague est sans aucun doute une ville complexe et difficile d’accès. Elle est à l’image de ce que l’histoire en a fait, un carrefour d’idées révolutionnaires, d’artistes universels et de paris osés. Elle est vivante, pas seulement parce qu’elle se reconstruit, mais parce que ses habitants goûtent aux plaisirs de la musique, de l’architecture, de l’histoire. Il faut amener beaucoup de soi pour apprécier une cité aussi peu orthodoxe.
C’est moi et ce fût beaucoup de travail. Pas autant que le tien cependant, je dois avouer que bien qu’en flash, il est splendide.
J’espère que tu continues à faire des musiques de film, je n’en ai pas trouvé de récentes sur ton site; est-ce parce haïssant les gauchistes, tu ne veux plus librement permettre la découverte de ton art ? 🙂
Coucou mercip our ce billet ! Il est super ton design, qu est-ce qui l’a fait,? 🙂
C’est exactement ça. On semble avoir vécu le même affront…
J’ai oublié d’écrire sur cette impression que procure la nuit à Prague : une balade au XIXe siècle. On s’attend à voir quelque cochers nous rouler dessus à toute allure, sur les nombreuses pavés qui parsement le centre-ville. En réalité, des fiacres, on en croise… les touristes semblent subjugués.
Je suis arrivé de nuit et je dois dire que jamais Prague n’est aussi belle que de nuit. Ceci dit, et au risque de casser l’ambiance, il y a depuis quelques années des progrès manifestes dans l’éclairage nocturne et la mise en valeur des batiments.
La nuit, Prague a un côté “Disneyland qui ne serait pas en toc”, conte de fées, film, tout ce qu’on veut, c’est assez magique. Sauf les habitants. On a beau dire “ce sont des préjugés, on va rencontrer des gens sympathiques”, et “ils ne résisteront pas à ma propre aimabilité, je suis heureux, j’ai pris quelques jours de vacance” mais si… nous avons recensés deux praguois sympathiques lors de notre séjour…
Sinon, je me suis senti con en lisant les commentaires français antisémites laissés sur les livres d’or des synagogues qui se visitaient… On en vient à comprendre le Pragois: le touriste n’est pas toujours un type aimable…