Journal gratuit et matin bleu

En ce premier jour de démarrage du « Matin bleu », je ne pouvais faire autre chose que m’interroger sur l’impact des journaux gratuits dans le monde de la presse suisse. Parce qu’en Suisse le marché est microscopique (les mauvaises langues diront que c’est parce qu’en Suisse on est plus prudent qu’ailleurs), l’idée n’est transformée que bien des années après la France, l’Allemagne ou même l’Italie.

Et après réflexion, je m’étonne moi-même, mais je trouve que c’est une bonne chose. Peut-être plus parce que l’information se doit d’être gratuite, que par souci « d’informer la population ». Il faut être réaliste, ces journaux gratuits n’ont de « quotidien » que le fait de paraître chaque jour. Ils ne vont jamais informer la population, développer son esprit critique, affûter la curiosité du quidam. On va y parler fringue, faire de l’actu’ comme on dit, oublier l’analyse. Tout ce que je déteste 🙂

Mais peut-être que l’esprit corporatiste de la profession journaliste me dérange encore plus qu’un journal de mauvaise qualité. La Suisse, suivant là aussi le reste du monde (et sans retard !) connaît de grosses difficultés à maintenir une presse de qualité. Les journaux adoptent les standards de management venus d’outre-atlantique, remplaçant « la corroboration de source » par « public cible », « international » par « proximité ». Et cette presse gratuite fonctionne tout comme les nouvelles valeurs ont commencé à s’infiltrer en Europe dès les années 70, l’information étant une marchandise comme une autre.

Toutefois, je n’oublierai pas avec quel plaisir immense j’ai vu arriver l’information par internet. C’était il y a déjà dix ans, et me voilà qui me répétais en faisant des mouvements de va et viens du chef contre mon écran : « ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ». Tout ce savoir, tous ces avis/opinions, tous ces discours historiques à portés de quelques clicks. Et ces mouvements de souris ne me coûteraient pas un sous ! J’en avais l’émotion au sommet de la gorge. Un sourire béat, je commençais à « surfer sur le web ». Pour voir quelques pubs de voitures et des kilomètres de textes rébarbatifs. Mais le mal était fait.

Ce mal, c’était un goût pour la recherche. La possibilité de pister tel un limier l’origine de la source – bien que possibilité très surfaite – était à portée de main. Toute ma façon d’appréhender l’information allait s’en trouver changer.

Pour en revenir au journal gratuit, un torchon qui ne viendra que se superposer à la longue liste déjà existante, ce n’est pas la « gratuité » qui doit être attaquée. Or, c’est sous cet angle là – à tort – qu’il a été contré.

L’esprit syndicaliste – corporatiste ? – journalistique est compréhensible. On a peut-être peur de voir les salaires diminuer avec cette concurrence qui les tirerait vers le bas, ce qui est assez cocasse il faut l’avouer pour des médias qui ont toujours rejeté dédaigneusement les craintes des ouvriers/travailleurs peu qualifiés face aux bilatérales (et pression de l’immigration qui aurait le même effet). Ou soucis plus noble, on craint une baisse de la qualité de l’information.

Que la frayeur soit provoquée par la volonté de sauver ses fesses ou sauver la tradition d’excellence de son métier, elle me semble reposer sur du vent. Sauver ses fesses, c’est déjà trop tard, la concurrence avec les pays voisins n’en sera qu’accrue au fil des ans et de l’intégration européenne plus avancée. Le mouvement est inébranlable, et ce n’est pas ce microcosme d’un million de Romands, ou de quatre millions de Suisses-allemands qui va changer la donne. Arrêtons de nous regarder le nombril, et soyons sérieux.

Reste encore le contenu de l’information : va-t-il baisser en qualité ? La course à la rentabilité n’a – à mon avis – touché l’Europe que depuis les années 90. Non pas que la course au sensationnel ne se voyait pas auparavant, mais le correspondant étranger était un poste en vue, respecté par la rédaction. Aujourd’hui, c’est l’actionnaire – remplacez ce terme par « propriétaire » si ça vous chante – qui parle, et le correspondant est dans son cadre cognitif insuffisamment rentable. Dès lors, qu’est-ce que les journaux gratuits vont changer ? Une accélération de ce que l’on connaissait déjà ?

Les journaux médiocres existent déjà, et en nombre. Le problème, c’est qu’ils sont déjà payants. Le Matin orange, père spirituel – et même plus, puisque détenu par le même groupe que sa version azurée – est un des journaux les plus médiocres romands, et un des plus lus (je n’ai pas réussi à mettre la main sur les chiffres de vente des quotidiens romands). Je crois que le fait d’acheter pour lire de la merde est infiniment plus préjudiciable à l’esprit citoyen, au corps politique que doit former une nation, qu’un journal gratuit.

Je ne lirai certainement pas ce journal gratuit, mais pas plus que je ne lis déjà son « grand frère orangé ». Il sera peut-être lu en complément par certains, mais il serait difficile de croire qu’il remplace, ou concurrence d’autres journaux autres que les tabloïds. La qualité ne sera pas tirée vers le bas.

Un risque potentiel, c’est le départ des annonceurs des « vrais » journaux pour cette « alternative » gratuite. Le marché publicitaire romand vit actuellement une profonde crise, et la concurrence est ici absolue. Mais là encore, je pense que les cibles, pour reprendre le jargon du néo-journaliste, ne sont pas les mêmes. Les annonceurs qui s’adressent aux cadres, aux chefs d’entreprises ne vont pas se tourner vers le « Matin bleu »; ou s’ils le font, ce ne sera qu’en complément. Il leur faudra rester présent dans le segment des « journaux sérieux ».

En somme, à l’apparition de ce « Matin bleu » doit être donné le même crédit qu’un nouveau site d’information sur internet. A prendre avec précaution, mais combattre l’information gratuite serait tout aussi contreproductif sur média « papier » que cela ne l’a été sur média numérique.

2/11/2005 : Je suis tombé sur un blog qui lui, a réussi à avoir les chiffres de vente d’Edipresse (un des deux grands éditeurs romands).

Cet article a 12 commentaires

  1. jcv

    Je ne partage pas du tout ta vision sur un complot des éditeurs de presse, ou alors tu as des des informations que je n’ai pas : tu as déjà entendu parler d’une telle entente ? C’est à mon avis un phénomène beaucoup plus complexe, provoqué par la concurrence entre les journaux et le goût individuel pour le trivial, mais si t’as quelque chose de concret…

    Quand au niveau d’information… tout ce que tu évoques est à mon sens empiré par le fait que les lectorat de ces journaux poubelles vont croire être informés. Ils connaissent les faits bruts (on devrait plutôt dire les titres bruts), et ont l’impression de pouvoir comprendre les sujets. C’est pire que tout.

  2. Jonathan

    je voulais juste cité une phrase de coluche
    – L’état veut nous rendre intelligent (avec l’information) mais nous prend pour des cons, ou va-t-on alors ?

  3. Jonathan

    Les éditeurs de la presse gratuite (Edipresse) sont très intelligents car ils ont réussi à créer des journaux pour nous rendre encore plus idiot et renfermé qu’avant. Ils suivent le système de la société qui sert justement à éviter qu’on se pose des questions ou qu’on analyse des sujets car ceci pourrait faire très mal à l’état parce que les gens se rendraient comptes qu’ils n’ont plu de liberté, qu’ils sont limité dans leur faits et gestes (Phénomène Kleenex on nous utilise pour nous jeter après.) Alors pour éviter ça ont nous rend idiot, on ne veut plus qu’on se cultive et ceci ce voit avec la censure principalement et oui, ils censurent tous ce qui pourrai être dangereux pour la société. Les plus grands exemples sont aux Etats-Unis avec en premier plan la censure de certains livres et habits, l’état voudrait qu’ont soient tous les mêmes : des robots qui travaillent, mangent et dorment sans se poser de questions. Alors pour ça on utilise la presse car tout le monde lit l’actualité.

    Et pour toucher tout le monde on créer une presse gratuite, facile à lire, vite fait, avec des informations inutiles et nous nous sommes que des éponges (principe d’absorber des infos inutiles et de nous bourrer le crâne avec des stupidités jusqu’au point de plus rien savoir et de suivre le mouvement que la société veut) très intelligent n’est-ce pas ?…

    Mais revenons en à notre presse gratuite, je vais vous parler de l’information qu’on trouve dedans.

    Chaque matin des milliers de personnes vont travaillaient et dans le bus ou le train et même en marchant ils lisent des journaux. Avent c’était des journaux payants avec des choses censées dedans mais maintenant, les principaux journaux sont des journaux gratuits et à l’intérieur une information courte de tout. Jusque la tout va bien mais on regardant de plus près (ce qui est rare) ces informations données par le journal et ben on y trouve rien, l’information ne sert a rien, elle est nulle. Et c’est ce qui plait au gens car sa leur évite de se poser des question ou de faire travailler un peu leur cerveau.

    Alors on trouve dans le journal gratuit ¾ de publicités et ¼ d’information et dans cette information on y trouve des meurtres qui ne se passent même pas en suisse, des accidents, des guerres, des stars et certains gros titres de Suisse, l’information est principalement axée autour du fait divers et du sensationnel, et ensuite… ben il y rien, enfin c’est mentir car des fois on peut dénicher quelques maigres nouvelles vraiment informatives, mais qui n’est pas assez approfondi pour qu’on puisse y comprendre quelque chose ou s’y intéresser de plus près.
    Puis vient la rubrique people, apparemment très intéressante vu qu’il y a entre deus et trois pages. La dedans on peut lire la vie des stars, leur faits et gestes, très instructif !…

    On y trouvera aussi une page consacrée à des comiques, principalement trois extrais de bande dessinée. Ensuite il y a le sport, la page la plus intéressante du journal car c’est celle ou l’information est la plus complète.
    Et pour terminer il y aura la météo. Voila ce que comporte un journal gratuit, grosso modo on n’en tire aucune information utile.

  4. ELYNA

    Bonsoir, je voudrais mettre une annonce en voyance sur votre journal, comment je dois m’y prendre, merci
    belle soirée
    ELYNA

  5. jcv

    Bah, c’était une boutade qui avait pour but de rappeler que l’Europe n’est pas si différente que ça des USA. Car après tout, l’Europe (et non l’Union européenne) fait des guerres unilatérales depuis qu’elle existe. Elle en fait en ce moment-même, par le biais de la France et de l’Angleterre.

  6. s427

    Moi je le dis, dans 20 ans (l’Europe a toujours 20 ans de retard sur les USA) l’Union européenne fait une guerre unilatérale au Moyen Orient.

    Moui, enfin, il y a 20 ans, les USA faisaient déjà la guerre un peu partout dans le monde, ce qui n’est pas le cas de l’Europe aujourd’hui. 😉

  7. jcv

    Une année plus tard, le paysage journalistique intelligent continue à diminuer comme peau de chagrin, mais je ne saurais dire si l’érosion du journal d’information est due à l’industrialisation du journalisme ou à la concurrence internet. Dans tous les cas, mutation il y a, et si je n’ai aucune sympathie particulière pour les journaux gratuits, je suis toujours plus ou moins en accord avec ce que je disais déjà il y a quelque temps, à savoir que voir des ados avec des journaux, c’est toujours bon à prendre. Lorsque j’étais ado, j’ai lu à de nombreuses reprises des magazine people branché ado, et je ne crois pas que c’était mieux. Cela dit.. reprenant sur ton blog

    A quoi cela sert-il d’être “journaliste” dans le pays le plus riche du monde, si c’est pour “produire de l’info” sous la forme d’une telle soupe à chien quotidienne ?
    Qui ose encore se plaindre de la violence, sexuelle ou non, à l’école, quand, 250 jours par an, votre poubelle de merde se déverse sur des milliers d’ados, juste avant d’entrer en classe ?
    Vous voulez un scoop ? Il existe des filles de 15 ans qui se vantent, dès la première semaine d’école,
    de “se payer tous les garçons de la classe” avant la fin de l’année scolaire ?

    j’avoue que je partage ton avis. Je ne suis pas d’accord avec tout ce que tu as écris sur le sujet (tu y es peut-être trop enflammé 🙂 ) mais avec cette partie, je bat à l’unisson.

    Pipi, caca, vomi, on montre et on sur-montre toujours les mêmes thèmes au nom de la « liberté ». Sauf qu’aujourd’hui, il devient difficile d’exercer sa liberté pour lire/voire autre chose que du scato, et que les dérives étasuniennes se constatent de plus en plus en Europe. Les premiers suicides dans les écoles, la trash tv, la transformation du métier de journaliste en « instant-aliste », tout y est. Moi je le dis, dans 20 ans (l’Europe a toujours 20 ans de retard sur les USA) l’Union européenne fait une guerre unilatérale au Moyen Orient.

    Chaque société a la jeunesse qu’elle mérite. Si il est difficile de déterminer quels facteurs sont responsables plus que d’autres de la perte totale de repères des ados (l’absence parentale doit quand même y être pour quelque chose), il est certain que les médias ont une responsabilité énorme. Mais les éditeurs et directeurs de rédaction te diront qu’ils ne font « que donner à la population ce qu’elle veut »… Les jeux du cirque ne sont jamais vraiment morts, sauf qu’aujourd’hui, ils se regardent à la télé.

  8. Béatrice

    Admin : On va éviter de faire de la pub pour des choses qui n’ont rien à voir avec les sujet, non ? Merci.

  9. jcv

    C’est maintenant que je fais le liens… Jérôme… Comme Jérôme V[*], du marketing guerilla ? Je me demande si tu n’es pas à l’origine de ce scandale

    Je crois que ça résume assez bien l’état d’esprit des vendeurs de ce papier. Ca n’a plus rien à voir avec de l’information. Non pas qu’on ne puisse pas mélanger info et divertissement, mais on ne peut prétendre informer ses lecteurs (le traitement de l’actu’) et dans le même temps utiliser quelque chose d’aussi sérieux que la récolte de signatures pour une initiative pour faire un gag. Visiblement loupé, d’ailleurs.

  10. jcv

    Très bien trouvé 🙂

    Effectivement, dans cette optique, non. Mon article prendrait une toute autre tournure. C’est pourquoi j’avais à l’esprit quelque chose dans cet ordre d’idée :

    QUALITE (Choses) Ce qui fait qu’une chose est plus ou moins recommandable; degré plus ou moins élevé d’une échelle de valeurs pratiques.
    (Petit Robert 2001)

    Mais au-delà de votre pique plutôt sympathique, c’est le rôle du journaliste dans nos sociétés que votre remarque me semble remettre en cause : est-il toujours un propagateur d’information, ou n’est-il devenu qu’un propagateur de plaisir ? Doit-il permettre l’éveil du public, ou le caresser dans le sens du poil ?

    Si je reste convaincu de la vocation éminament noble de la tâche du journaliste, j’admets les contraintes financières qui sont le soucis permanent des éditeurs. La recherche de source de financement rappelle à la dure réalité un idéalisme parfois bon marché.

    Mais lorsque que les contraintes économiques empêchent au journaliste de faire son travail, pourquoi le faire ? Je ne parle pas de devoir mettre son mouchoir dans sa poche en raison d’un conflit d’intérêt avec un annonceur du journal, mais bien du cas (au hasard) du « Matin » : tout le journal est conçu pour caresser dans le sens du poil le lecteur. Le slogan « Vite lu, bien vu » résume à lui tout seul le concept du journal. De l’information en kit, dans une course effréné à la vitesse.

    En somme, j’ai l’arrogance de garder ces images quasi-romantiques de Bernstein et Woodward comme pierre de touche – tout en étant conscient que c’est un extrême – et de revendiquer l’accès à un journalisme de qualité, informatif, faisant place à la politique internationale plutôt qu’à l’état de santé des cygnes du lac Léman (exemple toujours prit au hasard). Ce n’est pas en flattant les bas instincts que le travail de journaliste retrouvera ses lettre de noblesses.

    J’ai malheureusement peur d’être en décalage avec mon temps, et de voir le journaliste « industriel » prendre le pas sur le journaliste d’analyse.

  11. Jerome

    Je rebondis sur l’expression « qualité » employée à plusieurs reprises dans votre billet, notamment en rapport avec l’information et les journaux. Voici une définition de la qualité:

    QUALITE : Aptitude d’un produit ou d’un service à satisfaire, au moindre coût et dans les moindres délais les besoins des utilisateurs. (ISO 9000 1982).

    Ecririez-vous de la même manière votre billet?

    Cordialement,
    Jerome

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