(une version condensée de cet article est parue dans Echo Magazine du mois de novembre 2023)
Nul n’est prophète en son pays. L’adage est encore plus vrai pour Werner Jaisli, un ressortissant suisse décédé durant la période des fêtes de Noël 2021. Il arborait un turban, marchait avec bâton de pèlerin, chaussait des santiags pour se protéger des serpents et des araignées. Il partageait son existence entre la Suisse et l’Amérique latine, et vivait chichement. Et surtout… il a bâti un OVNIport. Une piste d’atterrissage pour extraterrestres. Lors d’une rencontre avec deux vaisseaux aliens en 2008, « on » lui intime l’ordre télépathique de construire une étoile. Il exécute alors un labeur qui durera 4 ans, et qui attirera des curieux venus du monde entier. « L’étoile de l’espérance », ainsi que Jaisli l’avait nommée, a été reconnue patrimoine architectonique et urbanistique de la province de Salta lors d’un vote des députés provinciaux en septembre 2020. Malgré la mort de son auteur, son oeuvre n’a pas fini de briller dans l’obscurité nocturne.
Qui fût Werner Jaisli ?
Lorsqu’on recherche à établir le portrait d’un homme décédé, on court après un fantôme. L’un de ses amis vous pointe du doigt la chaise d’un café, vous narrant que “Bernard” (ainsi se faisait-il appeler, probablement plus facile à prononcer pour les hispanophones que “Werner”) avait coutume de s’asseoir et regarder passer les habitants du village de Cachi, de la province de Salta, en Argentine. Déambulant dans la rue à la recherche d’anciens amis, les ombres du passé s’unissent un instant dans le coin de l’oeil pour prendre la forme d’un vieux fou, avant de s’évaporer au passage d’un nuage au-dessus de notre tête. Une animatrice radio, Domy, ne s’est pas remise de la disparition de son helvétique ami, bien qu’elle ne sache rien de sa vie personnelle. Elle ne lui a jamais demandé pourquoi il s’habillait de manière extravagante, s’il avait des enfants. Elle l’acceptait tel qu’il était, vivait à la manière latino le moment présent, appréciait sa gentillesse sans prêter attention à sa discrétion toute suisse. « Il était la bonté incarnée, ne faisait de tort à personne, restait calme en toute situation », m’explique l’animatrice des ondes. « Et pourquoi as-tu un pentagramme sur le front ? », lui fais-je. « Ça ? » Elle caresse négligemment son étoile personnelle. « Ma fille me l’a tatoué lorsqu’elle était petite. Ce n’est jamais parti ».
Des questions, il faut en poser pour mieux cerner qui était Werner, l’homme qui édifiât durant des années son “étoile de l’espérance”. Rebaptisée plus tard “OVNIport” par un journaliste argentin ayant manifestement un don inné pour la communication, il reste difficile de comprendre comment l’ufologue a pu payer pour sa construction. Il aurait été volé dans la ville de Cafayate, puis de Salta, où il séjournât pendant plusieurs années avant de déménager à Cachi. Mais là encore, il aurait fait des mauvaises affaires et se serait brouillé avec plusieurs habitants. Il n’était pas rare de le voir terminer les plats d’autres clients dans les restaurants.
L’homme n’avait pas froid aux yeux : « La première fois que je l’ai vu, peut-être en 2005, il est venu à vélo depuis Cafayate (ndla: 157 kilomètres, principalement de piste). Brandissant une pancarte devant la place principale portant les mots « voleur, escroc », il manifestait seul devant le bar du frère qui l’aurait dérobé à Cafayate. C’était, je crois, sa première venue à Cachi. La deuxième fois que je l’ai rencontré, c’était pour me passer un savon, car il pensait que le bureau du tourisme gagnait de l’argent en promotionnant son étoile, attirant un nombre conséquent de visiteurs qui ne le laissaient pas en paix ». Werner n’était pas un homme à se laisser faire, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.
Samuel, un agriculteur fort comme un taureau, s’est donné pour mission d’honorer la mémoire de son grand ami, en me faisant visiter l’OVNIport et rencontrer les personnes qui l’ont connu. Lorsque j’insiste auprès de lui sur la vie passée de Werner, il reste laconique mais se rappelle que « Bernard avait au moins une fille et un petit-enfant. Ils sont venus deux fois à Cachi. Je ne les ai jamais vus, mais il m’a dit qu’il s’était séparé de sa femme en Suisse, car elle l’avait trompé. Elle était originaire de la province de Salta. »
Je me prends à rêvasser que le pèlerin suisse est parti à la recherche du pays qui a vu naître l’amour qui l’a tant fait souffrir, car il ne pouvait l’oublier. Et que lorsque la souffrance s’est faite plus forte, il a eu la vision exutoire des deux soucoupes volantes exigeant de lui une piste d’atterrissage. Il s’agit d’une vision romantique de la réalité, mais comment se saisir de celle-ci lorsqu’on court derrière une ombre ? On s’invente des liaisons qui n’existent pas afin d’appréhender l’inconnu, dans un processus de rationalisation si humain.
Quelques éléments réels sur le prophète Jaisli
Werner Jaisli est né le 4 janvier 1949. De sa vie avant l’Argentine, on ne sait que peu : il aurait travaillé dans la construction et les échafaudages de fêtes foraines, est originaire d’Aarwangen, dans le canton suisse de Berne. Il aurait eu au moins une fille. Il est à l’aise dans la nature, travaille habilement de ses mains, forge des couteaux et parfois des tuniques, qu’il offre ou qu’il vend. Il est aussi solitaire que discret, se plaint auprès de ses amis que les humains ont une malsaine tendance à la violence, et que la « fin » est proche. Il aurait été en couple à deux reprises, une fois en Suisse, puis une fois en Argentine. Il a dû rencontrer cette dernière en Argentine et non en Suisse, si bien que les raisons poétiques de la venue à Salta d’un Suisse au coeur blessé prennent du plomb dans l’aile.
Werner vécu dans une construction souterraine qu’il s’était construite, une cave dans laquelle il utilisait un petit foyer pour cuisiner. Au fil des années, il perfectionne son abri, dont on peut admirer aujourd’hui encore les vestiges : une entrée circulaire, suivie d’un corridor sans toit, avant de pénétrer dans une cavité circulaire. Il n’avait pas de lit et dormait sur une pile de briques de terre cuite. Les symboles géométriques sont nombreux, tels des triangles pouvant servir d’alcôves.
Werner se voyait comme un messager pour des êtres venus d’ailleurs. Héraut de la fin des temps, il opta pour un accoutrement qui attire l’attention, lui qui dit honnir la foule. Affublé d’une longue barbe blanche et d’un turban noir sur la tête, il aimait assurément s’entourer de mystère et de solitude. Et avec certitude, on peut affirmer qu’un choc important se produit chez lui à l’âge de 59 ans, dans la nuit du 24 novembre 2008, lorsqu’il rentre avec un ami. Bien avant les publications du Pentagone au sujet des OVNI en mai 2022, Werner observe des lueurs dans le ciel.
Rencontre du deuxième type et demi
Jorge Reyes est peut-être la personne à avoir passé le plus de temps avec Werner, car il a participé à la construction de l’étoile de l’espérance à ses côtés. Il était précisément avec lui lorsque le Suisse reçut l’injonction de construire l’étoile. « Nous avions grassement dîné. Un repas suisse, fait de pommes de terre et de viande argentine. En rentrant au village, nous voyons deux fortes lumières dans le ciel, immobiles; Bernard s’est alors mis à genoux, parlant doucement en regardant le ciel, puis, après un moment, il m’a regardé et expliqué qu’on lui avait ordonné de construire quelque chose », se remémore avec une voix monocorde le maçon de métier.
Avec son ami Jorge, Jaisli va oeuvrer quatre années durant à la construction de l’étoile de l’espérance. Une large étoile composée de 36 branches, de 48 mètres de diamètre, contenant en son centre une autre étoile, plus petite. Le tout est réalisé avec des pierres transportées des alentours, et blanchies au moyen d’une coûteuse peinture : « Bernard ne voulait pas des peintures que nous utilisons dans le village, à la chaux. Il se ravitaillait à Salta en peinture, cela a dû lui coûter une fortune ! », commente Jorge.
Jaisli va entrer en conflit avec la mairesse de l’époque, une femme que les amis du prophète suisse qualifient de personne à la courte vue. La politicienne ne veut pas d’une oeuvre qu’elle ne comprend pas, « qu’elle n’a pas décidé elle-même », me souffle un ami de Werner. Rien ne décourage le têtu Werner, qui poursuit opiniâtrement sa mission malgré les bâtons dans les roues. Lorsque la mairesse fait détruire une partie de son étoile inachevée à l’époque en 2012, ses amis dénoncent la déprédation sur les réseaux sociaux, tant et si bien que la politicienne doit bien malgré elle faire marche arrière et aider son valeureux ennemi à la reconstruire.
Première disparition
Fin 2012 ou début 2013, l’étoile est toutefois achevée. D’autres consoeurs se sont greffées en cours de route, et le Suisse a fait développer un site internet qui attire des touristes du monde entier. Il le fait, explique Mirta Lopez, une femme qui l’a hébergé durant trois mois, « pour que l’on connaisse son art, mais pas pour attirer des visiteurs. J’ai le sens des affaires, et je lui ai proposé de faire venir des touristes admirer son œuvre : il a décliné, rejetant toute mercantilisation de son travail ». Le prophète restait fidèle à ses principes : la paix universelle, symbole de son étoile, ne s’achète pas.
Soudainement, Werner disparaît. En septembre 2013, l’homme à la longue barbe et au bâton n’est plus vu dans le village. Son absence fait suite à un emprisonnement pour vol de touristes uruguayens, qui accusent le prophète de leur avoir subtilisé un sac. « Peu après son départ, les bandes vidéos ont démontré que Jaisli disait vrai : il a simplement retrouvé un sac, qu’il a remis au patron d’un bar. Les accusations qu’il aurait caché les affaires des touristes étaient fausses », éclaircit David Zuleta, de l’office du tourisme de Cachi. Au fil du temps, d’autres rumeurs éclosent : « Certains disaient qu’il était mort, ou enlevé par les extraterrestres », me confie Domy. « Il est parti en Bolivie parce qu’il avait des affaires à mener », tente Samuel l’agriculteur. « En Bolivie, on lui aurait offert de construire une réplique de l’OVNIport, dans la ville d’Oruro », affirme Jorge son ancien collaborateur.
Réapparaître pour mieux disparaître
Le Suisse est un habitué des départs à l’improviste. Il aurait procédé de la même manière dans des villages suisses, où il aurait séjourné à plusieurs reprises dans sa vie. Faisant des graffitis d’étoiles sur les murs, il prenait la poudre d’escampette sans aviser les autorités. Avec une liberté souveraine, il semble avoir suivi ses envies du moment, ou peut-être ses appels d’outre-monde, qui sait.
Walter retourne une dernière fois à Cachi, en 2019. Alors que les habitants le pensent mort, parti en Bolivie – ou enlevé -, il est là, lors d’une belle matinée ensoleillée, le plus naturellement du monde assis à prendre un café. Une apparition aussi discrète que le veut la personnalité du Suisse, sans fanfare ni flûte de pan andine. Il est simplement assis là, à dévisager les passants et peut-être écrivant des poèmes. “Je n’en croyais pas mes yeux lorsque je l’ai revu. Je le croyais mort”, fait Samuel.
Malgré sa disparition, son étoile est intacte. David Zuleta reçoit des remerciements du prophète réapparu : « Il a été satisfait que l’on ait pris soin de son oeuvre lors de son départ », relate-t-il. « Après son départ, nous avons réfléchi avec un collègue sur comment protéger l’OVNIport. Le travail de Werner étant une manne touristique, il m’a semblé important de le conserver en bon état. Nous avons cherché à obtenir des fonds du gouvernement provincial pour le restaurer, que nous avons obtenus », se souvient-il avec le sentiment du devoir accompli.
La légende du prophète suisse est achevée. Son départ, quelque mois plus tard peu avant la pandémie du COVID-19, ne surprend plus personne. Aussi, lorsqu’en décembre 2021, les journaux argentins titrent que Werner est décédé en Suisse, l’incrédulité est au rendez-vous. Tel Jorge qui, portant son regard intensément dans le mien, m’interroge : « Êtes-vous bien certain qu’il soit mort ? » Je m’attends presque à ce qu’il me demande si j’ai bien vu son cadavre. « Peut-on se fier à ce qui est paru dans les journaux ? », surenchérit le fils d’une propriétaire qui l’hébergeât. Le propre des légendes, c’est qu’elles ne meurent jamais ; qui suis-je pour déclarer la mort d’une légende ?
La concurrence entre amateurs d’autres mondes
Un déplacement à Cachi resterait incomplet sans rencontrer l’autre phénomène du village : Antonio Zuleta, ufologue professionnel. Depuis 37 ans, il observe les OVNI dans la région de Salta, qui semble-t-il n’a rien à envier au Nevada étasunien en termes de fréquence de rencontres. Les observations d’engins lumineux sont récurrentes, et les journaux locaux font leurs choux gras des déclarations stupéfaites d’habitants qui prétendent avoir observés de tels phénomènes.
Je rencontre Antonio, un octogénaire obsédé par le paranormal, dans sa maison aux murs tapissés par des coupures de presses : on se croirait convié à la réunion des trois Lone Gunmen de la série X-files . Peu après mon arrivée, le vieil homme me tend un caillou mandarine, orné de deux petites taches obscures : “Ceci est la preuve qu’il existait des civilisations il y a trois cents millions d’années sur la Terre. C’est le temps nécessaire pour que la matière organique se transforme en quartz.” Incrédule, je lui demande qu’est-ce que je tiens dans les mains. « La tête d’un être qui a vécu il y a longtemps », me fait-il fièrement. Je retourne dans mes mains le caillou, guère plus grand qu’une dizaine de centimètres de diamètre, et cherche dans les recoins de mon imagination à me représenter la taille d’un tel être : 80 centimètres de hauteur, j’en suis presque formel.
« Je suis également en cours d’homologation d’un dispositif antisismique pour éviter l’effondrement de bâtiments lors de tremblements de terre. Le plan m’a été transmis par « canalisation » – lors d’un rêve -, comme on dit dans notre milieu. Un architecte de Buenos Aires a reconnu que c’était la première fois qu’une invention permettait de parer les quatre mouvements destructeurs des tremblements de terre. » Il me tend avec assurance une maquette faite de ressorts et de billes, me défiant du regard de le contredire. Je regarde l’objet avec respect, joue par politesse avec les ressorts, et lui rend la maquette.
Je lui fais remarquer pour la troisième fois que je voudrais en savoir plus sur Werner. « Il ne parlait pas beaucoup, je ne le connaissais pas très bien », ronchonne-t-il en cherchant dans ses papiers les preuves de l’homologation en cours de son engin révolutionnaire. « J’ai peine à le croire », je poursuis, « les personnes avec qui parler de soucoupes volantes dans un village de 2000 habitants doivent être plutôt réduites. Vous n’avez pas sauté sur l’occasion pour échanger vos expériences avec Bernard, une des rares personnes qui n’allait pas vous juger ? » Il me regarde dans les yeux, pensif et au regard fuyant : « Cela ne s’est jamais fait, voilà tout. Il m’a apostrophé une fois à Salta, avant de venir habiter à Cachi, me demandant si j’étais le fameux Zuleta. Nous avons alors discuté dans un café. Mais lorsqu’il s’est établi à Cachi, je lui demandais parfois lorsque nous nous croisions dans la rue comment avançait l’oeuvre, pas beaucoup plus. » Il réfléchit quelques instants, puis m’apostrophe comme si nous venions de faire connaissance : « Savez-vous qu’un réalisateur a fait un film sur moi ? Al centro de la Tierra . »
L’homme n’est pas clair, et après avoir pris congé en lui remettant le fatras de papiers confidentiels que j’ai dans mes mains, je pense à revoir son fils, David. Lorsque je m’ouvre auprès de ce dernier sur mes doutes relatifs à la sincérité de son père, il avance que la jalousie pourrait expliquer son comportement : « Mon papa a passé toute sa vie à parler d’OVNI, donner des interviews, mais sa visibilité est restée très localisée. Lorsque Bernard est venu habiter à Cachi, il a construit en quelques années non seulement l’OVNIport, mais une réputation internationale. On vient du monde entier pour connaître son oeuvre d’art. » Ainsi, Antonio le chasseur d’OVNI, qui a voué sa vie entière à son obsession, n’aurait pas supporté se voir voler la vedette. Plus tard, deux autres amis de Werner m’avouent que le prophète n’appréciait guère Antonio, qu’il jugeait menteur et égocentrique. Malgré leur passion peu commune en commun, les deux hommes ne s’aimaient pas. L’un des rares mystères que je sois parvenu à élucider.
Lors de notre entretien, Antonio m’avait également confié que deux dames, venues profiter de sa présence il y a quelques mois dans son capharnaüm, lui ont déclaré avoir détecté des formes de vie avancées logées dans les profondeurs souterraines de Cachi. J’ai pensé, fugacement, que si elles venaient à être réelles, elles auraient la lourde tâche de cohabiter avec quantité d’émotions humaines. Car sous chaque pierre du village de Cachi, la terre se gorge de l’intensité des passions notre espèce, avancée ou non.
Et, songeur devant la place centrale, je réalise qu’il serait malvenu de lancer la pierre aux habitants du village, dont les personnalités si fortes et si folles m’ont assurément transmis une énergie sacrée.
Les legs de Werner Jaisli: paix, amour, et tourisme
« C’était un libre-penseur, c’est pour cela que je l’aimais », se confie Fabio Ortiz, l’ancien patron d’un café où Werner avait ses habitudes matinales. « Il écrivait toute la matinée, dans de grands cahiers, tout en buvant son café ». Le Suisse écrivait beaucoup. Jorge m’a montré quelques feuillets imprimés en allemand avec des photos, que le Suisse lui a envoyé par la poste il y a des années : « Je trouverai bien quelqu’un pour me le traduire ». Je reconnais quelques mots au passage, tel que « nuages », « OVNI », « les Argentins », et malgré mes lacunes dans la langue de Goethe, je parviens à lui expliquer qu’il s’agit là de poésie. Des feuillets identiques ont été envoyés à plusieurs habitants du village, certainement les personnes que Werner aimait le plus.
Durant ma chasse à l’ombre, j’ai été frappé de découvrir combien un homme si discret, si méconnu car presque personne ne savait rien de sa vie personnelle, a pu toucher les habitants de la mystérieuse Cachi. Quantité de ses habitants, de caractère peu enclin à montrer leurs émotions, ont craqué lorsqu’ils m’ont parlé du prophète des OVNI. Les larmes agrémentaient les descriptions lapidaires de leur ancien ami, qu’ils connaissaient bien peu en fin de compte. C’est comme si l’amour que l’homme pouvait dégager transcendait son espagnol syncopé, ou que sa discrétion sur son passé ne comptait guère dans l’intensité du présent.
L’héritage de Werner Jaisli dépassera pourtant les seules amitiés nombreuses qu’il a pu tisser au fil des années à Cachi. Son travail d’homme scrutant le ciel n’est pas si différent de ces hommes d’autrefois qui, levant les yeux tout comme lui, gravaient les pierres ou dessinaient les parois ce qu’ils voyaient. Cherchera-t-on à l’avenir de comprendre le passé avec le travail d’un prophète oublié ?
Sans nous projeter dans le futur, il est certain que Werner inspirera les locaux dans le présent. L’OVNIport est devenu un centre touristique principal pour le village, et l’office du tourisme le promeut auprès des agences de voyages. Je me prends à rêver que, un jour pas si lointain, il personnifiera dans les feuillets touristiques du village.
Cette marche d’appropriation a d’ailleurs déjà commencé. Il y a quelques années, des voyageurs hippies sans le sou, vendant leur travail en échange de quelques repas chauds et d’un lit confortable, ont peint un mural aux formes de l’étoile de l’espérance et d’extraterrestres. Ajoutons à cela qu’aujourd’hui, l’OVNIport est reconnu comme patrimoine provincial de Salta.
Werner Jaisli dit « Bernard », un Suisse farouchement amoureux de sa liberté aura vécu une vie d’ombres et de mystères, mais une vie pleine et entière. Son oeuvre maîtresse, piste d’atterrissage pour des petits gris et symbole de la paix universelle, continuera à interroger et inspirer bien après que les derniers de ses amis auront disparus. Les légendes naissent dans les rigoles de l’inconnu, et le ruisseau d’ombres poursuivra sa course dans le désert de l’Altiplano, où les hommes et femmes continueront à rêver d’autres mondes perdus dans les étoiles.
La journaliste argentine Carmen Ochoa, demanda en 2012 à Werner, avant qu’il ne disparaisse une première fois, qu’est-ce que le Suisse ferait quand les OVNI atterriraient sur son étoile. Le prophète lui répondit : « Je leur demanderais si je peux partir avec eux. J’aimerais qu’ils m’emmènent et ainsi m’éloigner un peu des êtres humains, pour voir d’autres choses et comprendre plus du cosmos, parce qu’il y a beaucoup de choses et de vies dont nous ne savons rien. Nous croyons être uniques… mais nous sommes si petits dans l’univers ! »
Compléments
Les poèmes de Werner Jaisli en allemand, et deux poèmes traduits vers le français.