L’histoire de la destruction des géoglyphes de Santo Domingo au Pérou

Géoglyphe simple spirale Santo DomingoParfois, notre histoire s’allonge. Nous découvrons un tesson de céramique qui remet en perspective ce que nous pensions connaître des relations entre civilisations. C’est un moment de débats, de contradictions, et d’enthousiasme. Les recherches aboutissent sur de nouvelles théories et l’appropriation de notre passé. Quoi de plus terrible que d’assister impuissant à l’effacement de notre histoire. Lorsque des géoglyphes, une méthode d’expression relativement méconnue (les plus fameux sont certainement ceux de Nasca), sont réduits en poussière, notre histoire se raccourci. Nous devenons plus pauvres dans notre quête de la connaissance de nous-mêmes. Dans la Quebrada (Gorge) de Santo Domingo, à plus d’une vingtaine de kilomètres de Trujillo, la destruction de notre passé au profit d’un développement arrogant nous a appauvrit. Une partie de notre mémoire nous a été ablaté, sans espoir de récupération.

La redécouverte des géoglyphes de Santo Domingo

La redécouverte des géoglyphes situés dans Quebrada de Santo Domingo a été le fait d’un homme plutôt austère, Víctor Corcuera Cueva, en l’an 2000. Guide touristique, au détour d’une exploration de la Quebrada qui le fait passer par une dune de sable géante, il a la surprise de découvrir des lits de rivières asséchées et un désert de pierres de toute beauté. Avec des amis, il décide de pousser la reconnaissance. Bien lui en pris puisqu’il découvre, chose rare au nord du Pérou, un géoglyphe. Un amoncellement de pierres représentant une figure difficile à comprendre, mais dont la forme régulière ne doit rien au hasard. Le moment d’excitation passé, il utilisera l’aide de ses amis pour systématiquement répertorier tous les géoglyphes. Il y a en a des dizaines. Il fait appel à des spécialistes, se met lui-même à écrire et analyser, et établit que le lieu était occupé par la civilisation Chimú (900-1470 de notre ère).

La mort des géoglyphes: Plus de mille d’existence, deux décennies pour disparaître

Son travail d’enquête s’étale sur des années, et au fil du temps Víctor voit les constructions humaines du hameau de Santo Domingo (appartenant au district autonome de Laredo) grignoter toujours un peu plus sur le désert, le dernier rempart des géoglyphes contre les activités humaines. Le guide péruvien crée une association pour les protéger, écrit quantité d’articles dans les plus grands journaux du pays, appelle à la rescousse l’Institut National de la Culture (devenu ministère en 2010) qui dans la foulée classe le site, implique les affaires étrangères françaises… mais rien n’y fait. Les déprédations agricoles et les canaux d’irrigation du projet Chavimochic phagocytent le désert, tracent une ligne pour les camions entre les dunes, et… atteignent le désert de pierre de la gorge, précisément là où reposent depuis au moins un millénaire les géoglyphes, qui ont survécu aux crues et vent mais semblent devoir succomber à l’homme moderne. Víctor s’agite autant qu’il le peut, remue les réseaux sociaux, mais il semble condamné à perdre la bataille. En 2015, il annonce que le géoglyphe le plus emblématique de tous, celui de la triple spirale, a été détruit. Dans l’indifférence totale, personne n’est condamné pour le terrible geste. Au contraire, les atrocités continuent et, en 2019, Víctor se demande si c’est la fin du site archéologique, pourtant protégé par le Ministère de la culture péruvienne.

Je suis allé constater par mes propres soins les dégâts. Ils font froid dans le dos. A vrai dire, je n’ai été en mesure de détecter qu’un seul géoglyphe. Toute la zone est parcourue de rigoles artificielles, dont l’utilité serait difficile à justifier. Des traces de tracteurs couvrent le secteur, sans que l’on ne comprenne ce que ces machines sont venues faire là. Des tentatives infructueuses de reforestation (nous sommes dans le désert) parsèment la région. Des trous et des arbrisseaux morts pullulent. Tout cela… à l’endroit où les géoglyphes se trouvaient. Notre patrimoine universel est parti a été oblitéré de la surface de la terre, certainement détruit à propos pour ôter toute opposition aux travaux réalisés plus bas, à l’entrée de la gorge. Dans ce lieu enchanteur de la gorge de Santo Domingo, l’histoire humaine s’est arrêtée.

Préserver la culture à tout prix?

Alors bien sûr, il est naturel de se poser la question du développement dans un pays aussi riche en culture antique que le Pérou. On serait tenté de mettre en opposition la croissance économique et la recherche archéologique, arguant que les archéologues ne nourrissent pas les ventres affamés. Quand bien même il y aurait fort à dire à ce sujet, ce n’est pas l’angle correct du débat. Il n’y a aucune raison à ces déprédations. Ces rigoles sont sèches, et sont destinées (j’ai suivi leur parcours sur des centaines de mètres) à se jeter dans le lit d’une rivière. Ces expériences de pousse d’arbrisseaux, qui recouvrent littéralement la gorge, n’ont rien donné hier, et ne donnent rien en dehors de plantes mortes aujourd’hui. Etait-il nécessaire de planter systématiquement une telle quantité de végétaux pour le comprendre ? Enfin, quelles sont les raisons des déprédations de chenilles de machines ou des sillons agricoles ? Personne n’a voulu voir les géoglyphes en dessous des activités qui n’ont aucun sens, car on voulait les voir disparaître. Il semble évident que l’effacement des géoglyphes de Santo Domingo est intentionnel. Des panneaux mentionnant les géoglyphes figurent à l’entrée de la gorge, et j’en ai même trouvé un artisanal à l’intérieur de la gorge.

Aujourd’hui, il ne nous reste plus que quelques géoglyphes qui ont eu la chance de ne pas avoir été remarqués par les déprédateurs, un article avec les dessins des géoglyphes aujourd’hui disparus et les photos de Víctor. L’humanité a été amputée d’un passé qu’elle avait retrouvé, sans raison aucune.

Une expérience traumatique dont nous ne remettrons pas.

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