L’anti-sionisme : lorsque l’ennemi, c’est soi-même

Quel bonheur que de pouvoir rencontrer des juifs des 4 coins de la planète, à l’origine de divers mouvements anti-sionistes. Des juifs qui ne défendent pas la politique d’Israël, dans des fonctions de pouvoir, c’est peu courant. Voilà de quoi débattre, dépasser les clichés, aller au fond des choses. Refuser l’instrumentalisation de la Shoah telle que pratiquée par le gouvernement israélien, qui en use et abuse, et se l’entendre dire par un survivant des camps de la mort. Il y a pire, comme programme, que celui offert en ce jeudi : « Génocide, mémoire de génocide et racisme aujourd’hui« , avec pour intervenants : Dr. Claire Auzias, docteur en histoire contemporaine; Karl Grünberg, secrétaire général d’ACOR SOS Racisme; le Dr. Haidar Eid réfugié palestinien, membre du comité directeur de la Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël (PACBI); le Dr. Hajo Meyer, qui en 1944, après une année dans la résistance contre les Nazis, fut arrêté et passa dix mois dans le camp d’Auschwitz; ce dernier représentait notamment le Réseau international juif anti-sionisiste. Des intellectuels et des personnes engagées, qui connaissent la réalité du terrain.

Et pourtant. Quelle ne fût pas ma surprise d’être pris pour un juif, en raison de mon refus de la doxa décrétée du soir – Israël reproduit à son tour ce que le IIIe Reich fit subir aux juifs – tirer à vue sur l’Etat d’Israël. Israël, c’est le mal sioniste. Le sionisme serait l’opposé du judaïsme, ce dernier prônant des valeurs d’humanisme, d’universalisme et tant de bonnes choses. Le sionisme, tout au contraire, fait l’apologie de la haine, du nationalisme, du colonialisme. Toute une foule convaincue de la justesse de cette thèse opine du chef 2 heures durant, acquise à l’idée que Israël n’est rien d’autre que le prolongement historique du régime nazi. Que la politique actuelle ressemble à s’y méprendre à l’Allemagne des années 30. La foule est aux anges, atteint le paroxysme de son plaisir, on la brosse dans le sens qu’elle aime. Sans retenue.

C’est donc bien naturellement qu’il fallait remettre la synagogue au milieu du kibboutz. Inconscient du danger, je m’en suis même pris sans état d’âme au survivant, un vrai, un pur, qui n’est jamais sorti primé d’une émission de télé-réalité mais d’Auschwitz. Est-ce qu’avoir été à Auschwitz donne une supériorité morale ? Certes non. Est-ce que le fait d’être un goy m’interdit de m’interroger sur la légitimité de l’anti-sionisme ? Encore moins. Et pourtant, la foule est refroidie, les intervenants offusqués, mon intervention m’a valu une sèche réprimande : ce n’était pas le lieu pour réfléchir, mais celui pour acquiescer.

Car il me semble que si l’on souhaite s’en prendre à l’instrumentalisation nauséabonde de la Shoah, telle que pratiquée par Israël lui-même, cela a pour corolaire impératif le refus de tout lien simpliste entre la Shoah et les exactions illégales de l’Etat hébreux. La Deuxième Guerre Mondiale avait son propre contexte, et devoir expliquer cela à un juif, intellectuel, et rescapé d’Auschwitz est, avec le recul, étouffant.

Personne n’a vraiment compris la raison de mon intervention. La foule était venue pour voir couler le sang du sioniste, qu’il soit juif ou non. J’ai un peu gâché le plaisir, retiré un pan du voile qui cachait l’objet de la source du plaisir. Résultat, j’ai été pris pour un juif à la solde d’Israël par un survivant d’Auschwitz, et également par un ancien résistant français. Je respecte leur douleur passée, je respecte leur engagement présent et la cause qu’ils défendent. Mais je hais leurs moyens : ils refusent toute interrogation à contre-courant, toute nouveauté dans leur univers manichéen peuplé de bons et de méchants. J’ai été catégorisé, rangé dans le tiroir de ces derniers : ils m’ont alors refusé le respect. Au final, leurs moyens, finances mises à part, ne puisent-ils pas aux mêmes sources de peur et de facilité que leurs ennemis ? La haine d’Israël est profonde dans l’opinion publique européenne; n’y a-t-il pas là un questionnement à avoir, peut-on sereinement accepter l’anti-sémitisme latent en Europe, qui s’exprime de manière tellement débridée depuis une vingtaine d’année ? Les démons européens sont toujours présents, et si de l’histoire européenne on doit tirer un enseignement, c’est que jouer avec le feu brûle toujours. Afficher son soutient au peuple palestinien, qui y trouverait quelque chose à redire ? Mais est-ce que pour cela doit-on accepter la réécriture de la Shoah, et mener un combat avec les mêmes armes que ses ennemis, usant des mêmes symboles surannés ?

La liberté, ce n’est pas seulement celle de se mouvoir. C’est aussi celle d’être libre de dogme, libre de besoin de catégoriser/simplifier l’autre, libre de devoir ridiculiser un contradicteur parce que celui-ci n’est pas de votre avis. L’intolérance n’est pas fruit d’un manque d’éducation ou de la pauvreté : elle s’exprime parce que les individus ne sont pas libres. Ils n’ont pas appris à aimer ce qu’ils sont, et à accepter les idées librement exposées par autrui. La tolérance ainsi ne surgit pas ex nihilo, elle découle naturellement de la liberté de penser. C’est le manque de liberté de pensée qui amène l’autoritarisme, et pas l’inverse; c’est le peuple, à tendance libertophobe, qui appelle de ses voeux les liberticides. Comment expliquer à un survivant d’Auschwitz qu’il est toujours dans une prison mentale ? Peine perdue, la foule ne fit qu’une bouchée de mon appel à l’air. Condamné dès ses premiers mots qui n’étaient pas une congratulation toute convenue, le traître juif à la solde d’Israël s’enfuit, rêvant à des « débats » plus apaisés.

Cet article a 3 commentaires

  1. jcv

    Bonjour,

    Je conçois que lorsqu’on est d’un côté ou de l’autre de la salle (sur le podium ou dans l’assistance) la perception qu’on puisse avoir de la soirée soit différente. Soit. Mais vous m’accorderez tout de même qu’en dehors de mon intervention, les personnes qui ont pris la parole ont congratulé le courage des participants, louant leur « courage ». Ainsi, la seule note discordante, la seule remise en question fût de mon fait; pour preuve, vous vous en souvenez, alors qu’elle ne dura que quelques instants.

    Mais tout de même : je me suis entretenu M. Meyer, souhaitant laisser le bénéfice du doute, n’ayant pour principe que de juger sur pièce, et non sur quelques impressions basées sur une salle hostile. J’ai eu à cette occasion de développer un peu plus en avant ma pensée, et faire part au Dr Meyer de mon problème fondamental à voir Israël être assimilée à des Nazis. J’ai constaté qu’il m’avait correctement compris précédemment, et c’est à ce moment là qu’il m’a traité de juif à la solde d’Israël. Nous nous sommes biens compris, mais la tournure que la discussion a prise était quelque peu… surréaliste.

    Résultat des courses : je suis toujours aussi emprunté sur la pertinence de se déclarer ouvertement juif, et dans le même élan être anti-sioniste. J’ai toujours autant de difficulté à comprendre l’intérêt qu’il peut y avoir à lutter contre le sionisme, plutôt que contre la politique israélienne, qui n’est pas que sioniste, dont le sionisme n’est quelque part que du nationalisme sous un autre nom. Non, les terribles évènements de ces derniers jours dans les eaux de la Méditerranée démontrent des mécanismes psychologique et politique qui ne sauraient se réduire à un simple nationalisme. Réduire Israël à « l’Etat sioniste », c’est un moyen de faire le lit de l’extrême-droite. Je m’y refuse.

    Cela dit, il est vrai que *toutes* les interventions de la soirée n’étaient pas anti-sioniste. Il y avait la vôtre, qui brossait si je me souviens bien un histoire du racisme – avec beaucoup d’admiration pour Ruth Dreyfuss, si j’ai bonne mémoire. Mais hormis la vôtre, qui sortait du schème de la soirée, je crois que l’on soit sur le podium ou dans l’assistance, il était vraiment unanime.

    Merci de votre intervention !

    Jean-Claude Vignoli

    1. Karl Grünberg

      Bonjour,

      Décidément je vous lis toujours avec retard. Je ne me dis pas antisioniste mais anticolonialiste. Lorsqu’émerge la « question juive » dans un double mouvement rythmé par l’antésémitisme, d’une part, et par la sécularisation du monde juif de l’autre, la question de l’avenir juif est très débattue parmi les Juifs. Certains sont sionistes, d’autre pas ou anti. Par religion, par refus du colonialisme, par engagement socialiste.

      Après la Shoah, la création d’Israël a réglé la question: Israël existe. Etune autre question se pose celle de la Palestine, qui doit exister, contre la politique de l’Israël réellement existant.

      Le drame, ou la douleur vient de là: et si cet Israël-là ne veut pas lâcher prise? A mes yeux, pour la Palestine et pour Israël il doit lâcher prise. Il faut donc cntribuer à cet objectif.

      Karl Grünberg

  2. Karl Grünberg

    N’ayant pas l’habitude des pseudos je vous écris à « visage découvert ». Encore que, moi, je ne sache pas qui vous êtes. J’ai toutefois le souvenir de votre intervention le 26 novembre à l’occasion de cette rencontre que vous évoquez. Mal. Votre intervention a été mal comprise plutôt qu’unanimement rejetée. D’autre part, le débat n’avait pas la tenue que vous caricaturez. Pour ma part, je me suis intéressé à la permanence du racisme au sein des sociétés démocratiques, avant le nazisme et après. J’ai pris l’exemple de la Suise et invité à une réflexion approfondie sur cette question. Je vous écris avec retard ayant par hasard et aujourd’hui seulement découvert votre commentaire .
    Karl Grünberg

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