Requiem for a dream

Hallucinant. C’est le meilleur terme pour définir le deuxième long-métrage de Darren Aronofsky, réalisateur de Pi et The fountain . Un film laboratoire, où toute une palette d’effets de raccords, d’esthétiques visuelles, de mises en scènes sont expérimentées. On aurait pu avoir du Godard, mais au final on a du Lynch. Aussi torturé, fantasmagorique et artistique que ce dernier : un régal pour les sens, mis à mal par un simple film.

Si Requiem for a dream est aussi réussi, c’est parce que son assemblage combine le meilleur du monde onirico-cinématographique. Une musique prenante, une scénario haletant, un montage ravagé, des acteurs au goût d’opiacés. Tout dans le film est construit autour du rêve de la vie, un rêve que l’on mène de bout en bout les yeux ouverts. Bien que Requiem for a dream traite des individus qui choisissent de fermer les yeux sur ce rêve, se réfugiant soit dans un futur impossible, soit dans un passé rassurant.

Mettant sur le même plan l’addiction à la l’héroïne et à la télévision, Aronofsky n’y va pas par quatre chemin : nous voilà embarqués dans une société aux éléments qui fuient la morne réalité qu’elle a à leur offrir. Le fils, Harry Goldfarb, croulant sous le poids du devoir (ne pas décevoir sa mère, remplacer son père, épater son amie), va se lancer dans le trafic de stupéfiants. Quant à la mère, Sara, elle explique dans une scène – malheureusement trop didactique – combien elle se sent seule, combien la vie n’a plus rien à lui offrir. Tous les deux feront le choix, par des chemins a priori diamétralement opposés – le conventionnalisme télévisuel, le révolutionnisme opiacé – d’oublier leur triste existence, dénuée de tout but.

Harry, le junky, est en décalage avec le monde qui l’entoure. Un look à la James Dean des temps nouveaux, voulant vivre à 100 à l’heure, il expérimente tout ce qui lui passe à portée de veine, de bouche ou de nez. Il aime les sensations fortes, et s’envoie en l’air par le sexe et par les drogues. Conscient qu’il ne peut passer sa vie sans travailler, il choisit de se lancer dans la vente d’héroïne, imaginant pouvoir faire fortune rapidement. De bout en bout, il sera dans un rêve, dans son rêve, où les choses sont simples : il suffit d’avoir le courage de se lancer, la chance sourit aux audacieux. Est-ce que c’est le rêve américain ? Certainement, mais il contient toutes ses déconvenues, avec l’emprisonnement, l’amputation, la perte de tous ses proches. La gueule de bois est insupportable, avec un réveil en hôpital, sans avenir ni bras gauche; la gangrène à attaqué le corps d’Harry comme elle a détruit sa vie.

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Sara, la télévore, contrairement à sa progéniture, a fait une croix sur tous ses rêves. Son époux est décédé, son fils a quitté la maison, elle n’attend plus rien. Le tube cathodique, qu’elle s’injecte quotidiennement, lui permet d’oublier la fatuité de son existence. Rivée sur le poste de télé, elle oublie le goût des sensations fortes. Le petit écran lui ouvre tout grand les abîmes de la non-existence; en oubliant de vivre, elle oublie qu’elle ne vit pas. Pourtant, sa routine prend fin avec l’arrivée d’une invitation pour participer à une émission télévisuelle; elle en devient obsédée, et décide de perdre du poids, afin de rentrer à nouveau dans une robe rouge, un habit lourd de sens chez elle. C’était la parure dont elle s’ornait lorsque son mari était en vie, lorsque son fils réussissait ses études. Lorsqu’elle n’était pas seule, lorsque s’occuper de sa famille lui donnait une raison. L’invitation devient un prétexte pour se replonger dans le passer, un jadis où elle était heureuse. Pour quelques kilos, elle va mettre sa vie en danger, enchaînant amphétamines sur amphétamines, consciente des risques encourus mais encore plus consciente qu’elle n’a rien à perdre. Son réveil à elle ne s’opérera jamais, elle est resté scotchée dans un autre univers. Son sort est pire que celui de Harry.

Mère et fils ont progressivement plongé dans une stupéfiante descente aux enfers. Perdus tous deux dans leurs rêves cotonneux, ils explorent les recoins de leur inconscient au fil de scènes de plus en plus déjantées. Le film est d’ailleurs une expérience rare, se faisant de plus en plus expérimentale au fil des scènes : splits screens, caméra subjective ou haut placée, couleurs changeantes, scènes imagées déconnectées du fil de l’histoire, Aronofsky s’essaie à tout. Les protagonistes secondaires, Marion Silver (l’amie de Harry) et Tyrone C. Love (le copain avec qui Harry s’essaie au deal de masse) plongent également dans leurs rêves, se rappelant leur enfance et les espoirs qui les habitaient alors. Que d’occasions gâchées ? Qu’est-ce qu’il est difficile de grandir, et voir ces rêves et sensations si simples s’évanouir ? Un peu des deux, semble expliquer Aronofsky.

Requiem for a dream rappelle avec force les oeuvres de David Lynch : un monde non verbal, difficile à exprimer autrement que par l’image et le son, où les deux composants s’emmêlent dans un spectacle qui n’est pas sans ressembler à l’incohérence de l’inconscience de nos propres songes. On évolue avec une combinaison lunaire, sans apesanteur, à la découverte de cet univers inconnu. L’Aronofskynaute retrouve bien quelques repères, communs à toutes les songes. La sensation de planer, de pouvoir tout réussir, d’autant plus étranges que Requiem for a dream s’apparente à un cauchemar. Mais le film est suffisamment éthéré pour ne pas lasser de goût amer au réveil, seul le plaisir d’avoir participé à une expérience du troisième type – la rencontre avec Aronofsky – reste.

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Avec au moins autant de talent que Lynch, Aronofsky suit des pistes balisées par nos hallucinations, qu’il reproduit avec classe sur pellicule. On se demande, en regardant le film, si la réalité n’est pas dans l’écran, et si nous n’avons pas été éjectés de notre confortable divan pour subir les affres d’une vie plus réelle encore. En apnée, Aronofsky présente froidement les dérives de l’évasion, et ses conséquences désastreuses. Impossible de reprendre son souffle, tout le long du film le spectateur prend le train à pleine vitesse dans la figure, sans échappatoire possible.

Aronofsky est pleinement conscient, dans son film, des méfaits des drogues telles qu’utilisées dans nos sociétés modernes; elles coupent l’individu de son milieu, l’affaiblissent, en font un parasite sans espoir. Mais dans sa lancée, il démontre que d’autres drogues, pas interdites pour un sou, produisent le même effet à tout point de vue : la télévision n’a rien à envier à l’héroïne, ni sur le plan de l’addiction, ni sur le plan du ramollissement. Ces deux types d’assommoirs modernes sont aussi nocifs l’un que l’autre, et enchaînent l’homme à des rêves inatteignables. Ils nous refusent notre liberté, et que nous nous enchaînions de notre plein gré n’y change rien.

C’est aussi la force du film d’Aronofsky; le rêve est un cathartique fantastique, mais à trop s’y plonger on perd pied. Requiem for a dream, conçu sous forme onirique, ne doit par conséquent pas remplacer notre propre volonté de vivre. Il faut savoir sortir du film-rêve d’Aranofsky, qui doit être un simple prétexte à la réalisation de nos propres rêves.

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