Une face méconnue du nucléaire

Le débat autour du nucléaire bat son plein : le réchauffement climatique annoncé amène des pays autrefois peu enthousiastes vis-à-vis du nucléaire, à l’envisager à tout crin, comme la solution idéale à tous les défis que posent le réchauffement climatique et l’augmentation de la demande énergétique. Dans une vingtaine d’années, le nombre de centrales nucléaires devrait doubler. Si certains aspects de la production nucléaire sont abondamment discutés, d’autres le sont beaucoup moins, comme les conditions dans lesquelles sont extraites les ressources nucléaires.

Les aspects les plus connus du nucléaire : déchets radioactifs pour des millénaires

centrale nucléaire temelin en franceLe nucléaire serait devenu une énergie durable, à en croire un lobby du nucléaire ( « Selon des études des deux Ecoles polytechniques fédérales et de l’Institut Paul-Scherrer, l’énergie nucléaire remplit les critères du développement durable », explique le service de communication de la centrale nucléaire de Gösgen en Suisse). La quantité d’uranium (matière première de la fission nucléaire) est limitée, les déchets très actifs sont trimballés vers des sites de retraitement pour ne devenir « que » actifs, et finir enfouis dans nos sols, et l’on ose parler de développement durable ? Sans parler, bien sûr, des risques d’explosions nucléaire, qu’on ne peut jamais totalement évacuer de nos consciences; le développement durable, c’est pouvoir mettre en oeuvre une politique capable de dépasser le temps de validité des mandats électoraux, et ne pas devoir tout remettre en cause (par exemple) parce que des fuites sont constatées dans une rivière, ou que des tremblements de terre font ressortir des fragments des déchets enfouis, ou qu’un train les transportant se renverse; l’énumération pourrait être longue.

Lorsqu’on se penche sur le sujet, l’hypocrisie du débat, que les lobbies du nucléaire voudraient pouvoir réduire aux tenants « d’un discours passéiste » aux « gens qui vivent avec leur temps », a de quoi étonner par son ampleur. En Suisse, le 18 mai 2003, le peuple souverain rejetait en votation populaire un nouveau moratoire de 10 ans sur la construction de toute nouvelle centrale atomique. Un signal fort, accentué par le caractère massif du refus (presque 60%), envers les lobbies et les pouvoirs publics : les Helvètes veulent cette énergie vantée « bon marché, peu polluante et sans risques ». Les politiques en ont pris acte, et prennent les mesures en conséquences : chercher à stocker les tonnes de déchets de cette énergie « peu polluante », produite déjà par 5 centrales nucléaires (Beznau I et II, Leibstadt, Gösgen et Mühleberg) dans notre montagneux pays.

C’est là que le double discours agace : le nucléaire, c’est très bien, tant que les déchets vont chez les autres. La panique de Tchernobyl semble être passée, mais pas celle de La Hague. La France est au coeur de scandales liés aux trains transportant des quantités invraisemblables de déchets issus de la fission nucléaire, puisqu’elle envoie aux quatre coins de la planète ses polluants détritus, les important, les retraitant et les exportant. Sans parler des déchets qu’elle préfère faire retraiter pour moins cher, comme les portes-avions à l’amiante. Ces décisions, prises par les hauts fonctionnaires, ont été fortement critiqués par les médias et la population hexagonale. En Suisse, les communes, les unes après les autres, refusent d’accueillir sur leur terrain les déchets. Car lorsqu’il s’agit de faire face aux conséquences directes de la production énergétique atomique, en France comme en Suisse, tout le monde préfère pousser sous le tapis les déchets – pour autant qu’il s’agisse du tapis des autres. Ainsi les communes d’Ollon (VD) et surtout Wellenberg (NW) avaient refusé par voie populaire d’accueillir tout ou une partie des 81 000 kg de déchets annuels suisses. Apportons quelques précisions dans le cas de cette dernière commune : les citoyens du canton, qui refuseront par la suite le moratoire à hauteur de 64.2% d’opinions défavorables, s’étaient prononcés le 22 septembre 2002 à 57,5% contre l’idée de devenir la poubelle nucléaire de la Suisse – et ce, pour la deuxième fois. En somme, le canton veut du nucléaire, mais pas faire face à ses conséquences; pratique comme position, mais pas évidente à défendre.

Indiquons aussi que ces angoisse ont de quoi être alimentées par l’amateurisme des réponses données par la NAGRA (l’organisme suisse chargé des déchets nucléaires, une fois passés par les centres de retraitement), qui veut enfouir les déchets au plus profond des sols helvétiques. Le problème, c’est que les sols ne sont pas stables, que les forces qui l’agitent peuvent briser les maigres protections installées autour des déchets encore radioactifs, et que comme l’explique la géologue Catherine Martinson, car quand bien même des sites sûrs seraient trouvés, « les entrepôts [de stockage de déchets nucléaires] finissent par se dégrader, les eaux [par s]’infiltrer, le béton [par] se désagréger ».

Les déchets c’est pas dangereux (selon les lobbies nucléaires), mais on ne les veut pas chez nous (selon la population); soit, ce sujet a déjà amplement été débattu en Helvétie, pas assez en France, et fera l’objet d’une intense polémique ces prochaines années un peu partout dans le monde. Mais si la dangerosité de ce qui est en aval de la centrale est l’aspect le plus abordé du thème, l’amont en est quelque peu négligé; qu’en est-il de l’approvisionnement en uranium ? Où sont les ressources en matériaux fissibles, dans quelles conditions sont extraites les matières premières ?

Les aspects moins connus du nucléaire : les Noirs, ça ne compte pas vraiment

Les dirigeants d’Areva, la plus grande entreprise au monde travaillant pour l’énergie nucléaire, ne reculent devant rien pour vanter la propreté de leur production énergétique; le problème, c’est qu’ils ne reculent devant rien non plus pour produire cette énergie. Un pdf filerapport sur l’extraction d’uranium au Niger et au Gabon de l’équipe de juriste Sherpa (en collaboration avec Médecins du monde et Criirad) est à ce titre édifiant : n’hésitant pas à laisser les mineurs travailler sans aucune protection, leur mentant par omission sur les risques encourus, ou encore trafiquant les rapports, les procédés utilisés rappellent ceux de n’importe quel petit groupe mafieux local. Selon l’enquête, 283 travailleurs du site de Mounana font actuellement état de problèmes pulmonaires, soit plus de 50% des salariés. Ce rapport, qui fait suite à une enquête similaire menée en 2005 à Arlit, au Niger, dénonce « de graves manquements aux obligations élémentaires de l’entreprise en matière de formation et de prévention des risques propres à l’exploitation de l’uranium ».

L’association Sherpa dit à présent disposer de tous les éléments nécessaires pour engager une action en justice contre AREVA. David contre Goliath, reste à voir si le dénouement heureux se répètera. Mais sans augurer de l’épilogue, cette affaire a le mérite de faire la lumière sur la part méconnue de la production d’uranium. Car si sont abordées dans les médias les conséquences de l’atome sous nos latitudes, il serait bon de tenir compte de l’ensemble du processus lorsqu’on se penche sur le sujet, et pas seulement de ce qu’il se passe sur notre territoire.

Conclusion

Le réchauffement climatique est confirmé par des milliers de scientifiques depuis quelques mois. Voilà trente ans que les écologistes alertent les populations sur ces risques, et il aura fallu tout ce temps pour qu’on accepte leurs thèses comme étant valables. Est-ce que devant l’urgence de prendre des mesures, nos sociétés qui autrefois n’écoutaient pas les chercheurs écologistes, vont commettre l’erreur de n’écouter que la moitié du discours ? Et faudra-t-il attendre 30 autres années pour faire passer l’autre moitié des mises en garde ?

Le nucléaire produit des rejets de CO2, bien que moins qu’une centrale à charbon classique. Mais il en produit quand même. Et si l’on n’est pas sensible au risque d’explosion des centrales (souvent parce qu’on en habite bien loin), le problème des déchets est sans solution à ce jour. Ajoutons à cela que, après avoir enfouis dans l’eau la pollution issue des centrales, on veut aujourd’hui l’enterrer, avec la quantité de risques que cela représente. Ce à quoi il faut de compléter par les dramatiques conditions d’extraction de la matière première des centrales : voulons-nous vraiment nous chauffer au sang des populations africaines ?

Les acteurs de l’énergie nucléaire ne sont ni étouffés par la vérité (une énergie durable ?), ni par les scrupules (conditions de travail des travailleurs). La moralité des professionnels de l’atome est aussi inexistante qu’une solution crédible aux déchets nucléaires. C’est ainsi que le forum nucléaire suisse, chargé de la promotion de l’énergie la moins durable qui soit, a ses bureaux dans une filiale de Burson-Marsteller. Cette entreprise a travaillé à redorer l’image des dictateurs, à celles des troupes étasuniennes en Irak, et autrefois… au dénigrement des tenants du réchauffement climatique [1]. Que ces mêmes individus à la morale douteuse vantent les mérites de l’énergie nucléaire pour combattre le réchauffement climatique, voilà qui en dit assez sur l’état du secteur énergétique nucléaire et sur la fiabilité, la rigueur et l’objectivité de ses arguments.

Parce que l’écologie, c’est réfléchir de manière globale, il serait bon de ne pas se croire au supermarché, et de choisir seulement les produits selon que l’emballage nous plaise ou non.

Références

  1. Susan Boos, Les tristes légendes du lobby nucléaire ressurgissent in « greenpeace suisse », janvier 2007, pp. 4-6. Mme Boos est rédactrice à la « Wochenzeitung » et spécialiste de la politique de l’énergie []

Cet article a 8 commentaires

  1. Mimosa

    Un très bon dossier à lire ici :
    Pénurie et fin progressive de l’uranium

    Cela montre bien que le nucléaire n’a pas beaucoup d’avenir.

    Et le nombre de centrales nucléaires ne risque pas de doubler en 20 ans. C’est impossible pour deux raisons :
    – délai de construction d’un réacteur, capacité industrielle, personnel compétent … vous voyez construire 22 réacteurs chaque année dans le monde, sans compter les anciens à remplacer,
    – pas assez d’uranium disponible, manque de capacité de production des mines.

    Même l’Agenge de l’énergie atomique, pourtant très favorable au nucléaire (c’est son gagne pain) prévoit seulement une puissance installée de 449.000 à 533.000 MWe (Méga Watts électriques nets) en 2025, contre 372.000 en 2005

    Cela ne fait que 20% ou 43% de plus selon les hypothèses … et dans le passé, les projections de l’AEN ont toujours été démenties par les fait car irréalisables.

    Avec les réacteurs arrivant en fin de vie, la puissance installée serait plutôt en diminution dans 20 ans.

  2. Rachel

    Pour la tromperie des agro-carburants, lire : La fin progressive du pétrole

    A partir de l’année prochaine, la production mondiale de pétrole va décroître à un rythme de plus en plus élevé.

    Une estimation très optimiste prévoit une décroissance de la production de 2 % par an, conduisant à une production réduite de moitié dans 35 ans. Mais la réalité semble devoir être bien différente.

    Nous aurions une production de pétrole limitée à 80 % dans 12 ans et à 50 % dans 20 ans de celle d’aujourd’hui.

    Les réserves de pétrole ont été surestimées, le volume des nouvelles découvertes est depuis longtemps inférieur à celui de la production, la décroissance de la production peut être très rapide comme le montre la Norvège, la Grande-Bretagne, l’Australie.

    Le nucléaire, les piles à combustible et les biocarburants sont des solutions illusoires.

  3. Rachel

    Voir « Fin de l’uranium, fin du nucléaire » (débat) ici :

    http://www.actuchomage.org/index.php?name=PNphpBB2&file=viewtopic&t=5207

    L’uranium est une ressource limitée dont le maximum de production mondiale se situe vers 2020 (hypothèse la plus probable) ou 2025-2030. C’est comme le « peak oil » pour le pétrole vers 2010 (ou un plateau de 2006 à 2010) avant une diminution de la production.

    De même pour le gaz naturel et le charbon (2030-2040).

    Même les travaux officiels de prospective énergétique indiquent un maximum de la production d’électricité nucléaire vers 2020 en France, puis une diminution à partir de 2030.

    Les anciennes centrales vont être arrêtées à partir de 2015-2020 et la puissance totale des nouvelles centrales prévues sera inférieure à celles arrêtées (si ces nouvelles centrales sont construites, ce qui n’est pas certain).

  4. jcv

    Bon, reste plus qu’à convaincre Spielberg de nous recréer des dinosaures, et pas seulement un petit parc.

  5. ernestine

    😉
    N’en déplaise à Lula ou à George Daboliou, l’éthanol ne peut être qu’une solution partielle à la lutte contre le réchauffement planétaire. S’il fournit de l’énergie, il prive en même temps certaines populations d’une source de nourriture indispensable.
    Une solution innovante et quelque peu iconoclaste est développée sur le blog http://www.thedino.org dans un billet intitulé “ETHANOL”.
    Bonne lecture et bisous 🙂

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