Iran, Chine, des compréhensions de la liberté d’expression convergentes

La journée d’hier a été la démonstration de différentes compréhensions de ce qu’est la liberté d’expression. En Iran, on estime que les nouvelles de la BBC sont trop subversives pour être lâchées en pâture à la population. En Chine, c’est le moteur de recherche Google (www.google.cn) qui collabore avec le gouvernement de Beijing à l’auto-censure.

Dans cette deuxième affaire, il convient de faire un rappel : l’article 35 de la Constitution chinoise [1] stipule que

Article 35
Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté d’expression, de la presse, de réunion, d’association, de défiler et de manifestation.

Très bel article, on le croirait issu d’une constitution occidentale. Le problème, c’est que l’article 51 prévoit ceci :

Article 51 [Intérêts de l’Etat]
Les citoyens de la République populaire de Chine ne doivent pas, dans l’exercice de leurs libertés et de leurs droits, porter atteinte aux intérêts de l’État, de la société et de la collectivité, ainsi qu’aux libertés et droits des autres citoyens, prévus par la loi.

Beijing estime donc en ce moment que toute information inofficielle relative aux massacres de Tiananmen, au Tibet, à Taiwan (pour ne citer que les plus évidents d’entre eux) peut porter atteinte aux intérêts de l’Etat. Cet article est utilisé, on le comprendra, dans tous les cas de censures décidées unilatéralement par l’exécutif chinois.

Reporter sans frontières est monté au crénau, dénonçant immédiatement « un jour noir pour la liberté d’expression en Chine. » Bien évidemment, du côté de Google, on justifie la collaboration avec les censures sur l’impact à long terme. L’éternel argument qu’il vaut mieux s’infiltrer et fermer sa gueule, plutôt que rester en dehors et crier vainement. RSF ne s’y trompe pas : « […] l’Internet chinois s’isole de plus en plus du reste du monde, et la liberté d’expression y est de plus en plus réduite. Les prophéties de ces entreprises sur l’avenir d’un Réseau libre et sans frontières servent à dissimuler des fourvoiements éthiques inacceptable. » J’ajouterai encore à cela que la Chine est un marché potentiel de 1,3 milliard d’individus. Google, entreprise monopolistique à horizon de déploiement mondial, n’acceptera jamais de ne pouvoir « servir » un cinquième de l’humanité. « Tout se passe en Chine », crie-t-on en ce moment à Davos, alors ce n’est pas l’hégémonique Google qui va faire passer des valeurs avant des profits.

Selon une étude étasunienne, 10% du web serait censuré. En ajoutant la nouvelle collaboration du moteur de recherche Google, c’est une manne d’informations énorme que l’on retire du champs de perspective des Chinois curieux de leur histoire.

Ce qui est particulièrement grave, c’est que l’on a souvent le réflexe hâtif du « si ce n’est pas sur internet, c’est que ça n’existe pas ». En réalité, cela se résume à une simple recherche via Google, tant cet outil a simplifié la recherche sur le web, donnant cette fausse impression de sécurité et d’exhaustivité des investigations numériques. Censurer ce type d’outil devient dès lors catastrophique… combien de Chinois vont vraiment pouvoir connaître la réalité désastreuse sur le plan des droits de l’homme dans leur pays ? Que des massacres de paysans armés de bâtons s’opèrent encore dans leur pays ? Que l’esprit de Tiananmen a effectivement survécu, mais surtout de l’exécutif et de son approche répressive de toute vélléité d’en appeler aux droits de l’homme inscrits dans la Constitution chinoise ?

Le deuxième cas de censure reporté hier porte cette fois-ci sur le site iranien de la BBC. En effet, rapporte la BBC, les autorités de Téhéran ont unilatéralement décidé de filtrer l’accès au site web du quotidien britannique. La BBC est certainement l’un (le ?) média le plus indépendant au monde. La liberté d’expression n’est valable pour ce journal que si elle est accompagnée le plus étroitement possible par une objectivité maximum; c’est peut-être ce qui dérange au plus haut point les sphères dirigeantes perses.

Encore plus étonnant vis-à-vis de ces deux actes de censures inacceptables, c’est la collaboration entre Beijing et Téhéran dans le dossier nucléaire, où le négociateur iranien déclarait aujourd’hui que « […] China and Iran held « similar views » on the nuclear issue. » (en français : La Chine et l’Iran partages des vues similaires dans le dossier nucléaire). On peut ajouter encore ici une chose : il semble que plus que le dossier nucléaire, c’est toute l’approche de la liberté que semblent partager ces deux pays censeurs.

L’un des bienfaits majeurs de la mondialisation, c’est qu’elle touche le domaine de l’information. Vouloir fermer son pays à l’information libre est combat perdu d’avance, et d’arrière-garde. Les ressortissants de ces deux pays peuvent (pour l’instant du moins) voyager, découvrir ce qu’on leur cache. Mais qu’on ne s’y trompe pas : censurer l’information, c’est vouloir exercer un contrôle accru sur sa population. Et c’est le propre de tout gouvernement totalitaire, qui n’hésitera pas à continuer son oeuvre de propagande interne, qu’elle se fasse par le biais de la politique pure (Chine) ou religieuse (Iran). Pour maintenir la censure dans un pays aussi mondialisé que la Chine, l’appareil législatif répressif et censeur devra continuer à être développé… et même un pays aussi fermé que l’Iran devra suivre cette logique. On a pas fini d’en entendre parler.

Références

  1. Voir la 4ème Constitution chinoise sur le site web de l’université de Perpignan, qui contient les 3 amendements de l’Assemblée populaire nationale. Ne contient toutefois pas le 4ème amendement voté en 2004. Une version de la dernière Constitution contenant les 4 amendements peut être consultée en anglais. Il n’y a pas de différence relative aux articles utilisés ici.[]

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