La peur de l’Occident se cristallise – murs de séparations

La Chambre des Représentants US a voté le jeudi 15 décembre au soir une loi autorisant la construction d’un mur – ou plutôt de cinq portions de murs – séparant les USA de leur voisin mexicain. Cela, officiellement pour des raisons de sécurité, mais l’interprétation du Figaro qui y verrait des raisons identitaires n’est pas à négliger. A ne pas négliger non plus : cette loi, à confirmer encore par le Sénat pour être définitivement adoptée, est la première à criminaliser l’immigration illégale. Dans un pays où mixité culturelle et terre d’accueil sont des mythes fondateurs, le changement de cap est d’importance.

Les métaphores appropriées au premier abord sont multiples, avec au premier chef le Mur de Berlin. Mais celui-ci n’a pas beaucoup de rapport avec ce nouveau type de mur, car Berlin était une ville où deux puissances de force équivalente s’affrontaient. Non, il faudrait plutôt comparer le futur (?) mur étasuno-mexicain avec le mur israelo-palestinien (déclaré illégal par la Cour Internationale de Justice), destiné officiellement à protéger l’Etat d’Israël du terrorisme palestinien, et destiné officieusement à enterriner des frontières tracées unilatéralement par le premier ministre Ariel Sharon. Au Proche-Orient, nous retrouvons la même asymétrie économico-politique qui sépare les deux voisins nord-américains. A noter toutefois qu’au Proche-Orient, le gouvernement et le parlement faisaient cause commune; dans l’affaire étasunienne, le président George W. Bush s’est opposé – vainement – au vote de cette loi. Encore un pied de nez, soit dit en passant, à tous ceux qui taxaient de racisme le chef de l’Etat US.

Si les métaphores ancrées dans le passé sont possible, mais mènent rapidement à une découverte somme toute assez pauvre – les grandes puissances font ce qu’elles veulent ? – une métaphore avec le futur est bien plus excitante. Car à la lecture de cette loi, c’est avant tout l’image d’un Occident qui se fermerait autour de sa propre bulle, plus encore que les deux murs précédemment cités, qui s’est imposé à mon esprit : celle de Wang, de Pierre Bordage. Oh, que les fans de SF se rassurent, je suis bien conscient que Wang n’est pas la première anticipation à imaginer une séparation. Riches-pauvres, Nord-Sud, Occident-Reste du monde, les romans décrivant un tel mur, concret ou imaginaire, sont légions. Mais la version projetée par Pierre Bordage est celle qui m’a le plus frappée, qui s’est le plus durablement inscrite dans mon inconscient.

Pourquoi ? Parce que ce mur est avant tout la cristallisation de la Peur. Que passant de l’imaginaire terrifié individuel, on fait enter dans la réalité des briques lourdes d’angoisses. On a coutume de parler de l’Europe comme d’une « forteresse » : dans le continent qui a connu les miradors nazis, il ne faut pas oublier qu’à l’époque on empêchait de sortir, et non pas d’entrer. Mais se protéger du barbare – l’étranger – qui tente d’entrer à tout prix, voilà ce qu’ont en commun Israël, USA et Europe. Bien que seuls ces deux premiers aient matérialisés leurs peurs, et que je veuille croire que jamais on ne puisse assister à une telle construction séparatiste en Europe.

Construire un mur, c’est ne plus voir l’autre. C’est cacher à la vision un voisin dont la présence est devenue politiquement insupportable. Nier l’autre, faire comme s’il n’existait plus. Il va s’en dire que jamais ce type d’action ne peut résoudre un problème, bien qu’ayant l’attrayant résultat de faire baisser – passagèrement – les courbes statistiques : moins d’attentats en Israël, moins d’immigration aux USA. Cela, jusqu’à ce que les terroristes ou les immigrés trouvent des chemins de contournement; on repousse le problème, ce seront d’autres politiciens qui hériteront de l’épineuse question. Par la même occasion, on nie que la politique s’inscrive dans le long terme, pas dans l’immédiat.

En d’autres termes, nier son voisin, c’est nier la politique. La construction de ces murs, c’est se rassurer provisoirement, sans rien faire pour le long terme. Bien que dans le cas israélien, c’est aussi fixer des frontières pour le futur…

Le symbole phobique attenant à la construction d’un mur de séparation est d’autant renforcé qu’il émane des USA, hyperpuissance mondiale. Le pays le plus puissant du monde est aussi l’un des plus terrifié : et terrifié par… le Mexique. Qu’il ait peur pour sa sécurité, pour son identité, peu importe : la politique d’immigration historique des USA est conditionnée aujourd’hui par son minuscule voisin.

Sur les plans intérieurs et géo-stratégiques, deux conséquences d’importance sont déductibles. La première risque de se traduire, sur le plan intérieur, par la perte d’une majorité de l’électorat hispanique. Celui-ci, traditionnellement républicain, ayant voté principalement pour George W. Bush aux dernières élections, risque de se détourner d’un parti qui empêche leurs familles de les rejoindre. La seconde est afférente aux relations continentales. Le Mexique est, avec le Canada, le meilleur allié des USA sur le continent américain. La fronde organisée socialiste du Sud, qui s’amplifie un peu plus chaque jour, risque de trouver là une opportunité non négligeable de tisser des liens avec le président mexicain Vincent Fox, occasion offerte sur un plateau d’argent par les républicains étasuniens. Une aubaine d’alimenter la propagande anti-étasunienne en plein essor dans le continent sud-américain, qui ne demanderait que de pouvoir s’implanter durablement auprès des hautes sphères centre-américaines.

Le président US ne s’y est pas trompé, il a essayé de s’opposer à cette loi. Trop affaiblit selon les analystes, les représentants républicains ne l’ont pas suivit, et sont passé outre les recommandations de leur président. Un chef de l’Etat pour le moins embarrassé par cette loi, qui complique sa politique continentale.

Que ce soit au niveau philosophique ou politique, c’est une aberration qui s’est votée aux USA en ce mois de décembre 2005. Si elle est confirmée par le Sénat (et que le président n’use pas de son droit de veto), ce sera une erreur que l’histoire jugera durement, à n’en pas douter. Mais qu’est-ce que l’histoire, lorsqu’on a peur ? Le cerveau engourdit, seul l’immédiat semble compter, aujourd’hui.

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