• Publication publiée :4/2/2006
  • Post category:ONU / Politique

Iran et Irak, deux pays, deux destins

L’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) a rendu aujourd’hui sa décision : renvoi du dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité de l’ONU (CS). Compromis obtenu entre les membres de l’AIEA par la promesse que le CS ne prendra de sanction coercitive avant le mois de mars 2006. Après trois ans d’inspections répétés, il semble que l’équipe d’ElBaradei se soit lassée des promesses vides de Mahmoud Ahmadinejad, le dernier président iranien. A ce propos, à tous ceux qui voyaient dans le poste de président de la république iranien un titre honorifique, sans réel pouvoir et inféodé aux Gardiens de la révolution, quelle contre-démonstration !

Contre-démonstration également au sujet d’ElBaradei, pour qui les Etasuniens n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier son comportement lors des inspections en Irak, qui aurait été lâche, vendu, en un mot : « vieil-européen ». C’est à se demander si les dirigeants US et britanniques n’ont pas sciemment menti en 2002 et 2003, lorsqu’ils affirmaient posséder des informations sur les armes de destructions massives en Irak : à ce moment, ElBaradei demandait plus de temps, car son équipe ne trouvait rien.

La situation est radicalement différente aujourd’hui : l’Iran refuse de coopérer, et les informations à disposition de l’AIEA sont suffisament solides pour demander un report du dossier devant le CS. Parce qu’ils sont arrivés au bout de ce type de diplomatie, il faut enchaîner avec la diplomatie du CS. Troisième contre-démonstration : le CS fait peur aux pays, et peut fonctionner. L’Iran a menacé aussi violemment qu’il le pouvait qu’en cas de saisine du dossier par le CS, les Perses reprendraient massivement leurs activités d’enrichissement. Un chantage pour éviter le Conseil de sécurité : voilà qui démontre, si besoin était, que le CS est perçu comme organe ayant du pouvoir, puisque poussant à la menace l’Iran. Peut-être qu’après tout, l’intervention en Irak n’a pas définitivement enterré la légitimité et la puissance du CS.

La crise qui secoue le Moyen-Orient aujourd’hui est toutefois grave. L’Iran se sent plus fort que jamais, s’affirmant progressivement comme le chef de fil de l’extrémisme islamique. Il n’hésite pas ces derniers jours à appeler à la rupture des relations diplomatiques entre les pays islamiques et l’Europe. Cela va avoir pour conséquence de légitimer la radicalisation arabo-musulmane, et d’éloigner les Européens du Moyen-Orient, alors que ceux-ci c’étaient toujours montrés plus conciliants. Cette deuxième conséquence, si la vindicte populaire ne s’atténue pas au Moyen-Orient, risque d’être la plus dangereuse : fini de jouer au « gentil flic » pour l’Europe, aux côtés du « méchant flic » qu’assumait jusque-là les USA. Une Redistribution fondamentale de la politique au Moyen-Orient semble se profiler.

Les inconnues restent les positions chinoises et russes. Ces derniers ont fait des pieds et des mains pour s’entendre avec la république islamique, sans succès. Les Chinois, d’un autre côté, pourraient aujourd’hui démontrer que, en plus d’être un géant démographique et économique, ils peuvent être un géant politique. Il suffirait de faire plier les Iraniens : autant dire mission impossible. Surtout que les deux pays partagent une vision commune des libertés.

Cette crise va enfin avoir pour enceinte un lieu de discussion multilatéral, et le plus légitime jamais réalisé de mémoire d’homme. Bien qu’imparfait, peu démocratique, le CS reste l’outil diplomatique le plus élaboré à ce jour : espérons qu’il soit l’enceinte d’une discussion avancée sur la puissance nucléaire. Mais pour obtenir un consentement iranien, il faudra laisser à la république islamique une porte de sortie. Et vu la radicalisation déjà mentionnée de l’Iran, on ne voit pas comment Ahmadinejad pourrait s’en sortir sans perdre la face. L’ambiance est électrique, les esprits échauffés, la raison émergera-t-elle de la passion ?

Espérons-le, car on parle de nucléaire, tout de même… et que les USA ne pourront jamais se permettre avec l’Iran ce qu’ils se sont permis avec l’Irak. Ahmadinejad use et abuse de la peur, comme George W. Bush hier; la différence à ce jeu, c’est que les USA sont une démocratie avec poids et contrepoids, au contraire de l’Iran.

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