• Publication publiée :29/5/2006
  • Post category:Politique / UE

Il y a un an, le TECE mourrait déjà

gateau d'anniversaireIl y a pile un an aujourd’hui, le peuple français scellait la destinée du Traité Etablissant une Constitution pour l’Europe (TECE), en le refusant à presque 55 %. On s’accordait à l’époque sur le facteur décisif qui fit basculer le vote : le ralliement des votes de gauche derrière l’étendard « anti-libéral », avec pour chef de file le très médiatisé Laurent Fabius (Parti socialiste).

La plupart des journaux ayant une rubrique internationale s’interrogent aujourd’hui sur le futur de l’organisme supra-européen : comment continuer la construction politique ? Le bilan très mitigé de l’année écoulée permet toutes les spéculations, du moment qu’elles sont pessimistes. Car la prédiction résignée a le vent en poupe, chez les analystes européens.

L’appel à la responsabilité au « peuple de gauche » (comprendre ici les sensibilités de gauche ou d’extrême gauche partisanes du « non » au TECE) n’a pas été entendu. Le spectre du « libéralisme », terme brandit comme un épouvantail dans le pays qui a presque inventé le libéralisme politique, conjointement (mais pas de concert) avec la Grande-Bretagne, était trop symbolique : pour dire non à McDonald et à la toute puissance étasunienne, il faut dire non à tout. Un peu à l’image des « neinsager » suisses, qui disent « non » par principe à toute votation, les Français sont entrés dans le cercle vicieux du « nonisme » : le non au CPE participe à la même action.

Alors évidemment, admirateur de l’histoire française et éminemment conscient de tout ce que ce pays a apporté à l’humanité (n’ayant pas peur d’une grandiloquence à la française), l’espoir inavouable et inavoué que la France nous préparait une révolution dont elle avait le secret séculaire ne m’a pas quitté une année durant. Opposition sans concession aux partisans déplumés du « non », peut-être, mais je ne réussissais pas à me départir d’une envie de les voir affûter des armes en prévision d’un combat qui tiendrait plus des Lumières que d’un romantisme très XIXe siècle. Les accusant de ne pas réfléchir sur le terme, j’espérais me tromper et les voir prendre la Bastille.

Malheureusement, au même titre que les avertissements lancés aux Etasuniens n’ont pas été écoutés, que les prévisions des Cassandre européens se sont avérées dans la géopolitique moyen-orientale, une grande partie de ce que l’on craignait s’est réalisé en Europe. Hormis le « détricotage » des institutions européennes, mais personne de sérieux n’accordait de crédit à cette crainte, bien que, il est vrai, une fenêtre d’opportunité ce soit ouverte au lendemain du 29 mai 2005.

Premièrement, l’Union européenne n’avait véritablement pas de « plan B »; à tous les démagogues qui expliquaient que les politiques mentaient, qu’ils cachaient une solution de secours comme on accusait autrefois les Juifs de cacher leur fortune sous leur matelas, le retour du boomerang pourrait être rude si la fièvre européenne n’était pas retombée. En effet, en France, on s’occupe déjà plus de savoir qui sera le prochain président de la République que de savoir si les différents candidats à la présidence ont eu raison de les pousser (ou non) à soutenir telle ou telle ligne politique. A croire que ce qui comptait le plus était de s’agiter, et non de s’agiter pour de bonnes raisons.

Deuxièmement, la France a perdu un poids dans la marche européenne qu’elle ne regagnera, sauf accident d’ampleur, jamais. Même parmi les leaders nationaux de gauche, Zappatero ou Prodi pour citer les plus influents, on lorgne vers l’Allemagne et vers la Grande-Bretagne, voire même de plus en plus la Pologne, que vers la France. Qui soutiendra la France aujourd’hui, en dehors des projets rejoignant des intérêts nationaux convergents ? Ce n’est pas qu’une question de poids démographique ou économique, mais bel et bien de crédibilité : comment un pays qui a rejeté la plus grande avancée politique depuis les Traités de Rome, pourrait-il se poser en locomotive ? Ceci pour l’aspect externe de la politique, car en interne, il va devenir très délicat de ne pas marcher sur des oeufs lorsqu’on s’adressera à ses électeurs sur le sujet européen.

Troisièmement, si les politiciens pro-TECE n’avaient pas de « plan B », on constate que les anti-TECE n’en avaient pas plus. Si l’opposition quelle qu’elle soit ne nécessite pas nécessairement un meilleur projet à proposer, le manque d’intérêt pour la construction d’une Europe « plus sociale », donc correspondant plus aux aspirations de notre peuple de gauche, est choquante. Qui donc s’est vraiment attelé à la tâche ? Qui, parmi les experts auto-proclamés de l’Union européenne, dont certains nous expliquaient que le droit à la vie du TECE pouvait mener à la remise en cause de l’avortement, ont tenté de réfléchir sur un nouveau projet ? Personne, car la réalité que suspectaient les « traîtres de gauche » (les partisans du « oui » au TECE de gauche), à savoir que tous ceux qui se réclamaient profondément europhiles et appelaient dans le même temps au refus du TECE, n’étaient que des opportunistes pour qui le TECE n’était qu’un prétexte à de la publicité bon marché, ou prétexte à une romantique opposition très kitsch. Le manque de réactivité sur la reconstruction européenne l’a démontré sans aucun doute. Ces gens-là étaient soi très naïfs, soit peu sincères : il serait bon que les électeurs français s’en souviennent dans un an.

L’Europe est aujourd’hui en panne : désorientée, il lui faudrait très certainement remplacer le Commissaire européen Barroso qui n’a toujours pas digéré les refus français et hollandais. Pour aller de l’avant, et parce qu’il faut construire des domaines aussi essentiels que l’Europe de la sécurité (et les forces d’intervention rapide), la démocratie (introduction d’un référendum) ou les droits de l’homme (il serait temps que les traités officiels contiennent les valeurs à l’origine de la construction européenne), il faut trouver des moyens innovants pour faire parler d’Europe au présent et au futur à tous les citoyens. Le temps des lamentations est révolu, et il est de la responsabilité des partisans du « oui » au TECE de proposer des solutions. La peur et l’aveuglement idéologique dont ont fait preuve le peuple de gauche français ne doivent pas démoraliser les Europhiles conscients de la magistrale avancée qu’aurait pu être le TECE.

NB : Un site tout simple, très bien fait, sur l’Union européenne, ce qu’elle est, ce qu’elle fait, avec outils pédagogiques à foison : http://europa.eu/index_fr.htm. Il faut avouer que dire que l’UE est compliquée restera toujours plus rapide que passer quelques minutes de temps à autre que de s’informer. Car les outils existent vraiment…

Cet article a 6 commentaires

  1. Tonio

    « La Ve République a vécu, et peut-être que dans moins d’une année nous allons assister à son effondrement »
    Franchement ça je l’espère, car elle a été conçu par et pour De Gaulle, qui avait une vision du pourvoir bien proprre à lui et qui quand le peuple lui a dit non il est partit, ce qui n’a pas été le cas des suivants.

    Ensuite sur les manifs, je suis bien sûr d’accord, mais parfois il faut aussi savoir faire des concessions, ce que les frouz n’ont pas l’air d’être prêt à faire.
    Et pour burke t’es un tordu, je ne veux discrediter toute opposition, seulement te montrer que l’opposition (toujours necessaire) est parfois conservatrice.

    et sur les énarques, ma critique est simplement qu’en apprenant tout le temps que le système dans lequel on vit est bon et beau et bien on cherche pas de nouvel idée, ensuite je ne parle pas seulement de ceux qui gouverne mais tous ceux qui ont des fonctions importante, ils sortent tous du même endroit, donc on vachement tendance à analyser les problème de la même façon … et je suis sûr que nous on fait pareil, notre manière d’analyser dépend beaucoup de notre formation, je le vois tous les jour à l’uni, j’aborde pas le problème comme les autres qui sortent tous ou presque du même système.
    Hei nous a formaté, je ne dis pas que c’est bien ou mal je dis simplement que si on se mettais tous à gouverner la suisse on aurait les mêmes lunettes pour voir le monde.
    et comme disait Arendt le conformisme a une tendance au totalitarisme …

    Quant à ton a-culturation politique moi je ne suis pas convaincu, faudrait mettre un permis de vote pour pouvoir analyser ce problème.

    (je suis ravi que tu aies changé le sondage, j’imagine que tu t’es rendu compte que tu ne pourrai jamais gagner…)

  2. jcv

    (Tiens, je fais face aux mêmes problèmes de spam que ceux que j’ai dû régler sur ton blog… j’ai tenté une ou deux modifs, mais si ça ne marche pas, je vais aussi devoir changer d’anti-spam)

    Burke n’était pas seulement contestataire, mais carrément réactionnaire. Cela dit, tu poses le problème de la suspicion de toute contestation : en invoquant l’exemple de Burke à la rescousse, tu désires discréditer toute opposition ? Et je vois très mal Burke ou ses suiveurs manifester dans la rue.

    La manifestation, l’opposition est, dans ma vision du monde, absoluement nécessaire. Dans le doute, on l’accepte. Donc si les Français passent leur temps, dépensent l’argent du contribuable et de la nation à revendiquer n’importe quelle imbécilité, est bien tant pis. Le prix à payer est faible en face du totalitarisme dominant.

    Ce qu’il manque à la France, c’est un moyen d’expression à la Suisse, avec référendum et initiative populaire à l’appui. C’est faisable, et ça coûterait beaucoup moins à l’économie française que les macro-grèves et micro-grèves à répétition.

    Sur l’attaque des énarques, toujours aussi en vogue, tu peux regarder ce qu’ont fait les non-énarques lorsqu’ils étaient au pouvoir; pour moi, c’est du kif-kif. Le problème n’est pas d’où sont issus les hommes politiques, mais quelles sont leurs idées. T’as l’impression qu’à HEI, hormis un patrimoine commun (croyance dans le multiculturalisme, curiosité intellectuelle) on se ressemblait tant que ça ?

    Le « non » au TECE dénote assurément d’une quantité de problèmes démocratiques en France. Mais l’âge des hommes politiques, le milieu dont ils sont issus, ou un certain conservatisme populaire sont des explications qui ne me convainquent pas. L’a-culturation politique et le système démocratique sont à mon sens beaucoup plus pertinants. La Ve République a vécu, et peut-être que dans moins d’une année nous allons assister à son effondrement.

    Dans de bonnes conditions, je l’espère…

  3. Tonio

    « Je sais que tu trouves les Français conservateurs, mais moi je les trouve surtout contestataires. »
    Burke était aussi contestataire, mais avant tout conservateur, l’un et l’autre peuvent aller de pair, comme lorsqu’on consteste toutes possibilités de changement… ce que sont en train de faire mes compatriotes (c’est pour m’autoconvaincre). Et je crois que si plus de 2 millions d’universitaires français ont quitté le pays ce n’est pas pour rien non plus.
    Les idées fraîches sont rejettées ou formatées par des écoles (style ENA) qui conservent une vision du monde des années 50-60 … De Gaulle a été une cata pour la France en terme de « formatation » d’un idéal français.

  4. jcv

    Fabius proposait récemment d’écrire une nouvelle constitution (plus courte, il me semble), mais sans RIEN proposer de précis.

    VGE, mais on peut l’imaginer partial car vexé par l’assassinat hexagonal de « sa » constitution, a parlé d’UE totalement « en panne ».

    Il faut être honnête, et avouer qu’une seule année pour établir un bilan, est un laps de temps très court. Cependant, il faut être tout aussi honnête et reconnaître que si durant cette période, rien de neuf n’est sorti, c’est qu’à 25, la négociation s’annonce incroyablement difficile. Que la défiance franco-néerlandaise (et polonaise, car ce pays s’est empressé d’annuler la ratification après les non) a refroidi tous les politiques qui doivent défendre le projet européen chez eux. Que l’axe franco-allemand est – temporairement ? – mort, mais que l’influence française s’est définitivement réduite en Europe.

    En somme, le bilan après l’année écoulée me semble aux antipodes des promesses référendaires. Les moyens dont disposent les français pour faire entrer du « social dans la constitution » (c’est absurde !) se sont réduits. La construction politique de l’UE ne se fait plus que par inertie, il n’y a plus aucune proactivité. Les buts recherchés dans l’UE sont plus flous que jamais. Et comme tu le dis, les échanges commerciaux se portent à merveille, puisqu’ils sont déjà parfaitement encadrés par les règlements européens.

    Je sais que tu trouves les Français conservateurs, mais moi je les trouve surtout contestataires. Et la contestation a une telle valeur d’exemple… il fallait voir comment est-ce qu’une partie de l’Europe attendait que les manifestations contre le CPE contamine les voisins de l’Hexagone. Les yeux européens étaient braqués sur les manifestants, souhaitant les voir exporter leur révolution, comme tant et tant d’autres fois. Les espérances sont réelles, et ces espérances dénotent que bien des choses restent à modifier dans l’UE.

    Je reste toutefois persuadé que ces modifs pouvaient beaucoup mieux se réaliser une fois le TECE accepté. Ne serait-ce QUE grâce à la nouvelle pondération des votes aux Conseils.

  5. Tonio

    « admirateur de l’histoire française et éminemment conscient de tout ce que ce pays a apporté à l’humanité »

    c’est là le problème, les français font pareil, ils admire leurs ancêtres en oubliant de vivre le présent. La France vit encore dans le 17e siècle, pensant que c’est le centre du monde. Cette époque est bien heureusement passée mais Les français continue à se prendre pour une grande puissance. Oui il ont écrit les droits de l’homme (quoique les us aussi, et avant), oui il ont fait la révo, etc mais maintenant ils sont conservateur, ne respectent pas les droit de l’homme plus que les autres et le peu de pouvoir qu’il leur reste au niveau international est du a une erreur historique…
    Quand à l’Europe c’est vraiment malheureux pour la France mais effectivement elle a perdu le rôle qu’elle pouvait jouer, les allemands étaient bien gentil de la soutenir et de lui faire croire qu’elle avait de l’importance, mais après un pareil coup il est normal que l’Allemagne continue son chemin sans attendre les conservateurs…
    Quant à la gauche elle commence à peine à se rendre compte de son erreur, de se rendre compte qu’au niveau économique cela continue à fonctionner avec le traité de Nice (qui est une merde) mais par contre au niveau social il y a toujour rien… c’est étrange non?
    ben non l’économie n’a pas besoin de constitution pour fonctionner… elle se porte très bien, elle échange et est très contente avec le minimum de règle, par contre le social ne se fait pas (encore?) tout seul. Alors la gauche dogmatique vous êtes content????

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