La concurrence fiscale bat son plein de la petite Helvétie : après les cantons – subdivision administrative suisse – de Schaffhouse, Schwytz et Nidwald lors de ces deux dernières années, Obwald au mois de janvier 2006 et peut-être prochainement Lucerne et Zoug, l’est suisse s’est lancé dans une concurrence effrénée dans la baisse d’imposition.
Pourquoi choisir le terme “sauvage” pour décrire la concurrence fiscale que se livre les différents cantons suisses ? Parce qu’il reste toujours aussi étonnant qu’une majorité – fluctuante – de Suisses, fuyant toute idée d’adhésion à l’Union européenne, accepte et plébiscite même la concurrence fiscale que se livrent les régions. Placidement, le Suisse moyen accepte la contradiction; peut-être que le sentiment d’appartenance identitaire comble-t-il la peur de la concurrence. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce que vit la Suisse en interne, c’est exactement ce qu’elle a si peur de vivre avec ses collègues européens. L’Helvète craint une compétition sauvage européenne, sans voir qu’elle se déroule déjà sous son nez.
Au-delà de cette cécité dans le Suisse est friand, la concurrence fiscale telle que pratiquée en Suisse est contreproductive. Le canton de Schaffhouse fût le premier à inaugurer en 2004 l’impôt dégressif. En d’autres termes, gagner plus pour un individu permet de payer moins d’impôts en valeur absolue et, nouveauté, en termes relatifs. Plus le revenu est élevé, et plus le barème d’imposition diminue. Un tabou était ainsi tombé en 2004 en Helvétie; malheureusement, une telle voie est sans issue tant dans une approche morale, qu’économique.
Dans un premier temps, sur le plan moral, on peut rappeler que toute démocratie se fonde sur l’idée d’égalité; de l’extrême étasunien du flat tax [1] (égalité formelle, impôt proportionnel) à l’extrême français (égalité matérielle, impôt fortement progressif), sa conception peut cependant prêter à discussion. Toutefois, sans même avoir à se lancer dans cette controverse, on peut affirmer sans prendre trop de risque que des citoyens à revenus importants, “prenant” plus que d’autres à la société, réussissant grâce à elle mieux que les autres, devraient avoir à contribuer plus que les autres : c’est ainsi qu’est née l’idée de l’impôt progressif. Plus un contribuable gagne, plus sa contribution est élevée; le fisc établit des paliers d’imposition, où la progression vers les niveaux supérieurs a pour conséquence l’augmentation du pourcentage de la redevance. C’est aussi le signe d’une participation plus étroite, de liens plus épais, entre les citoyens aisés et l’Etat.
Telle est l’origine de l’impôt progressif : une certaine vision de la justice sociale. 10% de taxe sur le revenu d’un millionnaire est moins difficile à supporter que 7% de taxes sur un salaire de classe moyenne. Le niveau de la progressivité est hautement adaptable, mais le principe semble acquis dans la plupart des pays démocratiques. Si on ne peut nier qu’il soit contesté de part et d’autre, cet impôt ne peut pas être attaqué sur le plan moral; cependant, sur le plan économique, c’est autre chose.
Dans un second temps, aborder sous l’angle économique l’impôt progressif requiert de tordre le cou à de nombreux présupposés, tant le “sens commun” qu’on lit ou qu’on entend est éloigné de la réalité fiscale.
La première de ces idées reçues concerne une prétendue augmentation de la croissance économique. On entend parfois les supporters des baisses d’impôts défendre que le montant d’impôt direct qui n’est plus perçu par l’Etat est réinvesti dans l’économie; plus encore, l’argent qui est perçu par l’Etat crée moins de richesse que l’argent librement investi dans le privé. Cette idée est à l’origine des baisses d’impôts promises et appliquées aux USA par le président Bush, mais aussi à l’origine des promesses électorales du Président Chirac pour l’année 2002 (qui n’ont que partiellement été appliquées).
Il est vrai que ce dernier argument est un concept de base de la théorie économique : les impôts diminuent la création de richesse. Mais ce que semblent bien aisément oublier les défenseurs de l’impôt proportionnel, c’est que les baisses d’impôts ne sont pas réinvesties, mais épargnées. Ce qui ne saurait doper la consommation nationale; quitte à utiliser les préceptes de la science économique, autant les appliquer en intégralité.
Autre idée reçue, la fuite des capitaux. Peut-être cette thèse ne devrait-elle pas figurer dans les idées reçues : il est vrai que la France connaît une grande fuite de capitaux et d’entreprise, dont ne cessent de se plaindre les politiques. Dernier avatar en date, très médiatisé par ailleurs, le rocker Johnny Hallyday décida pour des “raisons personnelles” de s’expatrier en Belgique; dans la foulée, plus d’ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune) ainsi qu’un cadeau fiscal belge. La concurrence fiscale joue pleinement son rôle avec les pays frontaliers de la France, et les déménagements en Espagne et Grande-Bretagne défraient souvent la chronique.
Si la fuite pour éviter l’impôt sur le revenu commence à être bien connue, il faut relativiser son impact : on ne parle que de quelques – tout au plus – dizaines de millionnaires par an, ce qui traduit en terme d’impôt n’est pas très important à l’échelon national; cependant, l’argent hors impôt, qui n’est plus investi dans le pays lui non plus, peut avoir de plus lourdes conséquences. Le vrai manque à gagner, néanmoins, concerne l’impôt perçu sur les entreprises, qui se chiffre à des montants proportionnellement incomparables. Des dizaines de millionnaires peuvent partir sans qu’une économie nationale ne le ressente; avec la délocalisation de quelques multinationales, et c’est immédiatement des gens sans emploi, et des millions qui ne sont plus encaissés par l’Etat.
Cette thèse, pour solide qu’elle soit, n’est qu’une variable parmi d’autres dans la concurrence entre les pays. En effet, il est de mauvaise foi d’attribuer les délocalisations au seul facteur fiscal; l’éducation, le coût de la main d’oeuvre, le prix des matières premiers, le coût des transports, voici quelques uns des très nombreux paramètres dont tient compte une entreprise dans ses choix de localisation. Et à dire vrai, le coût de la main d’oeuvre est plus décisif que la fiscalité.
Ce qui fini par nous amener au coeur du non sens des impôts directs sur le revenu dégressifs : en pleine mondialisation, il est aberrant de voir des pays développés se faire la concurrence sur le plan fiscal. Au mieux, on réussit à retenir dans le pays/canton quelques années supplémentaires quelques individus, ou l’on en attire quelques uns dans le cas de Schaffhouse; mais la conséquence sur le long terme est immanquablement une baisse en valeur absolue de la recette fiscale. Pourquoi ? Parce que d’autres pays/cantons vont suivre le mouvement et accélérer ce type de cadeaux fiscaux; avant même de se rendre compte que l’on est passé en dessous d’un seuil de rentabilité étatique minimum, le gouffre financier est creusé et la dette répartie entre les citoyens qui n’ont pas les moyens de partir – contrairement aux anciens bénéficiaires de l’impôt dégressif.
La concurrence fiscale entre pays développés est nuisible à la fois aux pays en voie de développement (PVD) et à la fois aux pays développés (PD); ces derniers s’engagent dans une voie sans issue, se battant avec des armes peu éthiques, et peu rentables sur le long terme. La concurrence doit se faire sur le terrain de l’éducation, des soins, de la qualité de vie en général, plutôt que suivre le cercle vicieux de la concurrence fiscale.
Que les PVD utilisent leurs avantages comparatifs pour concurrencer les PD est une chose; mais ce ne serait pas faire honneur aux cantons helvétiques que de les comparer à des PVD; il y a suffisamment d’idées, de talents et de financements offerts dans l’un des pays le plus riche au monde pour ne pas emprunter ce chemin tortueux, et dont on sait l’issue condamnée.
Références
- Il s’agit d’un projet néo-libéral aux Etats-Unis visant à substituer aux impôts progressifs un impôt proportionnel d’un taux unique de 19 %.[↩]
La France est un pays qui vire à gauche parce que la droite n’a rien fait durant 5 ans. Et quand je dis rien, c’est rien, pas même un programme de droite. Elle a reculé sur tout, tout en refusant une quelconque concertation.
Quant à mélanger morale et économie… je te renvoies à Adam Smith. Le père fondateur était lui-même professeur de morale.
Petit remarque théorique sur l’économie : à côté du facteur Capital, il existe les facteurs Travail et Terre. Les couches modestes amènent beaucoup, beaucoup dans l’économie : “la France qui se lève tôt”, comme on dit de par chez toi 🙂
Alors je vois que certains mélangent la morale et l économie ! il ne fait pas tout mélanger c’est un peu mélanger la politique et la religion. Vu de façon rationnelle “l’épargne” des riches est placé généralement sous forme d’actions. Et ces ations permettent de développer les entreprises qui embauchent. Des milliers de familles devraient remercier les actionnaires (lol ne hurlez pas c est de la provocation là ;p ) Sans rire ce ne sont pas les couches modestes avec leur “épargne” avec un taux d’intérêt misérable qui fait avancer l’économie du pays. De plus ces gens là perçoivent de nombreuses indemnités (payé par les couches sociales plus importantes sous forme d’impôts). c’est cette forme d’assistana sociale qui empeche le pays de se développer. ensuite il ne faut pas pleurer si les plsu riches (tout comme nos cervaux dont la formation a été financée par l’état) partent. la france est un pays qui vire à gauche car la majorité de la population pense pas “social-iste” mais plutot pensent à leur intérêt personel c’est à dire protéger leur acquis (pour les fonctionnaires) et gratter au maximum ce que l’état peut leur donner(couches modestes). c’est plus simple de voler aux plus riches pour qu’on se le redistribue aux plus pauvres.Alors moi je dis “vive le fuite des capitaux !” il ne reste dans notre pays que ce que la population a souhaité dans ses votes : un pays sans riches ni chercheurs. mais le défaut du français c’est de regarder dans l’assiette du voisin plutôt que de faire la cuisine
amicalement
Je crois que tu positionnes la composante psycologique un peu trop haute dans la fonction de l’économie: certe elle est très importante pour la consomation des ménages. Mais en ce qui concerne l’investissement dans une entreprise, ou dans la la disponipilité de crédit existant il ne faut pas exagérer.
N’oublie pas le concept de base (offre/demande) alors si tu veux que les banques puisse prêter (crédit pour investir ou consonmer) il faut qu’elle aient du liquide et ce liquide comment elles peuvent l’avoir? très simple: l’épargne des autres (ménage ou entreprise). Ensuite il existe différente manière de le faire évoluer, la Banque Centrale peut l’influencer par exemple.
Mais si tu n’as pas cette offre de liquide (l’épargne) les taux d’interet du crédit vont augmenter et insvestir coûtera plus cher…(rien à voir avec le psychologique).
Le cas existe aussi au niveau mondial: aux USA il y a un haut niveau d’investissement mais les gringos n’épargne pas… l’investissement vient de l’étranger (Chine, Japon..). En fait on reproduit à grande échelle ce que je disais avant … Les Japonais épargnent, ce qui permet aux banques jap d’investir au USA.
Je recommence : l’investissement a une composante psychologique, tout comme la consommation; si la situation est perçue comme morose par les consommateurs, elle l’est aussi par les investisseurs. Et si les consommateurs, au lieu de consommer, épargnent, les investissements ne vont pas augmenter. CQFD.
Maintenant, si les dictateurs africains (yesss, toño is back !) ne sont pas négligeables, je pense que les entreprises sont elles beaucoup plus importantes pour l’économie suisse. Novartis et Roche pèsent à eux seuls plus lourd dans la balance que tout l’épargne en Suisse de toute l’Afrique sub-saharienne, non ?
Enfin bref, ce que tu dis n’est pas faux, mais je me demande si l’épargne de l’étranger (et des fils spirituels de Mobutu y compris) en Suisse est capable de modifier l’aspect psychologique de l’investissement; là, je crois que j’ai arrêté l’éco une année trop tôt 🙂
“C’est à mon avis des bullshits”
on ne parle pas comme ça de la sacro sainte économie … STP
En plus c’est pas tout à fait vrai. Pour un pays comme la Suisse en s’en fout un peu des petit épargnant. Ce n’est pas eux qui vont permetre l’investissement à grande échelle. Les dictateurs africains s’occupe de fournir cette épargne.
Cependant pour les PVD l’épargne des gens est très importante car l’investissement dépend de ça … et il est rare que les dictateur ou les chefs d’état qui détourne de l’argent ouvre des compte dans les PVD. La Suisse offrant de bien meilleures conditions.
Quant à ton site Friedmanien.. rien que la philosophie m’a fait peur!!!
C’est à mon avis des bullshits; si les gens épargent, c’est que la confiance ne règne pas. Et si la confiance ne règne pas, je ne vois pas pourquoi les entreprises investiraient l’épargne. Je sais, je sais, ce n’est pas ce que disent tes petits graphiques, mais d’un autre côté, tes petits graphiques disent aussi que le chômage est dû aux syndicats, alors… 🙂
Plus que pathétique (et immoral) c’est surtout rentable à très court terme. Le temps que l’injection de capital ait compensé le déficit de travail, un autre appel d’air (un canton, un pays voisin) viendra reprendre le capital. Le résultat de l’opération sera négatif, du moins dans un pays développé.
T’es allé voir le site concurrencefiscale.ch ? Ca mérite une enquête de terrain, mais à priori je dirais que c’est une avant-garde d’adorateurs de Friedman, non ?
“C’est que les baisses d’impôts ne sont pas réinvesties, mais épargnées. Ce qui ne saurait doper la consommation nationale;”
Erreur … attention mon cher. L’intérêt de baisser les impôts peut aussi être que les gens épargnent. Ceci permet aux banques d’augmenter leur capacité à offrir des crédits. Ces même crédits soutiennent l’investissement, la créations d’entreprises et donc la croissance. L’épargne peut aussi permettre á l’Etat de creuser sa dette publique pour financer l’éducation (par exemple).
Cependant, et là je suis complétement d’accord avec toi, qu’un pays développé se lance dans la concurence fiscal approche le pathétique … Mais la Suisse n’en n’est pas à son coup d’essai dans le pathétique, surtout concernant les sujets financiers.