La Chine tombe dans le piège des droits de l’homme

Les Etats-Unis viennent, bien malgré eux, de tendre un piège magistral à la Chine. Condolezza Rice, en abaissant d’un niveau la catégorie de violeur des droits de l’homme de l’Empire du Milieu, a provoqué une réaction de ce dernier en deux temps : ce fut d’abord sur la défensive que la Chine rétorqua ne pas commettre de violations, puis il fit place à l’attaque : les USA seraient eux-mêmes des violeurs de ces mêmes droits.

Alors que la naissance du conflit portait sur une rétrogradation, portant à croire que la Chine viole moins les droits de l’homme (ce dont Rice s’est défendue, mais alors pourquoi diminuer le niveau ?). Cela aurait dû rassurer le pays confucéen, lui qui fait l’objet d’une virulente campagne d’ONG défendant les droits humains. En effet, à l’approche des Jeux Olympiques, les assurances fournies par Beijing sont contredites par les mesures de rétorsions et de censure prises dans le pays. Ce déclassement avait donc de quoi étonner.

Mais la Chine ne l’a pas entendu de cette oreille : elle reste sur une liste noire, à un niveau élevé. Et sa contre-attaque, qui ne s’est pas fait attendre, aura des conséquences qu’elle n’imagine même pas. Les critiques émises contre Washington portent sur un terrain glissant, pour le régime officiellement communiste, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de qu’elle a toujours réfuté comme base de discussion. Ainsi, l’organe officiel de presse de Beijing, le People’s daily, mentionne dans l’un de ses articles que 17 % des jeunes étasuniens vivent en-dessous du seuil de pauvreté, citant un rapport d’Human Rights Record. Ou que 1’400 femmes seraient tuées par la violence de leurs conjoints, que 450 civils meurent chaque jour en Irak, que les militaires étasuniens ont des prisons secrètes et pratiquent la torture. Ou encore, que la discrimination raciale serait profondément ancrée aux USA. En somme, balayez devant votre porte, Oncle Sam, les Chinois n’ont rien à envier aux USA.

Au-delà de la passe d’arme qui a lieu entre les pays de Tien-An-Men et Guantánamo, l’affaire présage d’un changement de fond dans la politique intérieure chinoise. Beijing, en s’appuyant sur des rapports d’organismes des droits humains, valide le travail de ceux-ci. Beijing, en reprochant aux USA de violer les droits fondamentaux de son peuple, accepte de facto que ces droits existent. L’Empire du Milieu vient de tomber dans le « piège de la rhétorique » (rhetorical entrapment) : en acceptant le débat sur les droits de l’homme, en concédant que des attaques sur ce domaine à la fois portent atteinte à l’intégrité de la Chine, et à la fois sont des armes pouvant être utilisées contre les Etats-Unis, elle légitime les préoccupations humanistes. Beijing accrédite les thèses des organismes défenseurs des droits humains, et ses nombreux habitants vont intégrer de tels discours. Ils vont faire leurs ces attaques, se gaussant que les USA n’ont pas de leçons à donner à leur pays. Ce faisant, ils reconnaissent implicitement que les droits de l’homme peuvent être débattus, et lorsque ce type de débat est lancé par les hautes sphères du pouvoir, il devient impossible de faire marche arrière. On ne pourra plus imaginer Beijing dire à l’avenir que les droits de l’homme ne peuvent être discutés, l’opinion publique nationale et la pression internationale ne l’accepteraient plus. Si aujourd’hui la torture et l’absence d’accès à un procès équitable sont notamment l’objet de critiques à l’égard d’un autre pays, comment la Chine pourrait-elle éviter d’avoir à répondre de telles violations, lorsque constatées ?

Si on ne saurait s’attendre à des changements immédiats, notons avec plaisir que le glissement effectué par la Chine est d’importance. Beijing a ouvert sans s’apercevoir les vannes d’un futur torrent, bien qu’à peine quelques gouttes soient visibles aujourd’hui. Et les USA, eux, subissent de plein fouet le contre-coup d’une politique de violations régulière des droits de l’homme, dont la Chine vient de nous fournir un catalogue quasi exhaustif.

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