Religion et modernisme, réflexions sur le dogme religieux, la croyance monothéiste et le pacte social

Les avantages d’une religion, c’est de pouvoir poser des règles de vie ensemble claires, et d’établir des buts communs à tout un groupe. Simplifier le pacte social, fortement condamner celui qui ferait défaut : mettre l’égoïsme hors-jeu, tout en répondant aux grandes questions de l’homme, la religion a toujours répondu à un impératif social (pourquoi faire le chemin ensemble) ainsi qu’à un impératif philosophique (pourquoi faire le chemin tout court). Ce ferment a fonctionné avec des hauts et des bas durant des millénaires; animisme et polythéisme ont été les premières tentatives de pacte social; le monothéisme, une version de ce pacte plus moderne, au dogme plus rigoureux et délimité, est venu couronner les premières tentatives. Le monothéisme est une version évoluée, car plus rigoureuse du pacte social; cela posé, je n’entrerai pas dans les détails pour ce qui est de la réussite en terme de bien-être. Le terme « évolution » est à comprendre ici comme un synonyme de technique, de sophistication, et non de bonheur ou de réussite.

Pourtant, si l’étude des écrits saints des trois grandes religions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam) est riche d’enseignements et de réflexions, on s’aperçoit combien l’image de celle-ci est erronée – aussi bien pour les croyants que pour les non-croyants – et combien les discussions sur le sujet sont éloignées de la réalité de cette littérature.

Car cette analyse amène un certain nombre de questions : comment un croyant peut-il s’accommoder des incohérences si manifestes dans les écrits ? Comment peut-il vivre sa foi à l’aune du modernisme, des découvertes scientifiques ? Agnostique moi-même, des bourrasques de révolte me transportent dans le royaume de l’athéisme frontal par moments : les monothéistes sont-il vraiment conscients de ce sur quoi repose leur foi ? Car l’une des distinctions principales entre la spiritualité et la religion réside dans le dogme : je suis chrétien parce que je crois en Jésus; musulman parce qu’en Mahomet, juif parce que Jehova est le seul et unique. C’est l’adhésion à ce dogme qui signifie l’appartenance à la communauté religieuse choisie (ou suivie). Le dogme est en partie issu des écrits : tout monothéiste se devrait de les connaître sur le bout des doigts. Vivre sa foi de manière consciente, c’est adhérer au dogme. Comment ce dernier survie-t-il dans notre monde, ou plutôt dans nos mondes ?

Mais ne soyons pas tendre avec les athées : ont-ils eux-mêmes conscience des conséquences de leur posture philosophique ? Ne sont-ils pas, à force, en train de créer une nouvelle forme de dogme ?

Quelques interrogations en vrac, qui n’épargnent ni les croyants, ni les athées, et un questionnement sur le pacte social à l’aune de la modernité en conclusion.

Du relativisme et de l’intégrisme

De l’absolutisme de l’athée

Tirer à vue sur les croyants est un sport très couru parmi les athées. Tenus par ces derniers pour des fondamentalistes ou des intégristes, les critiques à l’égard des religions sont extrêmes et non factuelles. Il faut dire que pour beaucoup d’athées, l’athéisme se transforme rapidement en – et c’est le comble – une profession de foi : convaincre son interlocuteur de la vacuité de sa croyance. L’athée affirme sa foi dans le créé – par contradiction au Dieu incréé. Est-ce que ce type de débat ne prend rapidement la tournure de n’importe quel débat entre paroisses ennemies ? L’athée ne doit pas prétendre s’être libéré de ses chaînes pour s’en inventer de nouvelles, il doit refuser toute croisade totalitaire, tout rejet a priori des affirmations religieuses. L’athée doit bien comprendre que sa voie est celle de la raison, de la science. Mais pour ce faire, il doit réussir à être conforme à ses idéaux : ne pas remplacer un Dieu totalitaire par une Science totalitaire (le scientisme du XIXe n’est pas mort, loin de là, Claude Allègre veille), simplement parce que la science, poussée dans ses plus hautes questions, est aussi impuissante que la philosophie à apporter des réponses définitives; ne pas rejeter non plus tout ce qui vient du monde religieux car, bien souvent, aussi étrange que cela puisse sembler, les mêmes combats sont menés de part et d’autre de la barrière religieuse. J’en veux pour preuve le domaine des droits de l’homme, défendu sous l’empire de la raison pour les athées, ou sous la transcendance divine pour les religieux.

Se déclarant non dogmatique, l’athée ne doit pas suivre un chemin circulaire qui le ramènerait à son point de départ, qui remplacerait un dogme religieux par un dogme anti-religieux. La liberté, c’est l’incertitude, et non l’imposition à autrui de ses propres certitudes. Laisser la place aux interrogations, aux doutes, voilà l’origine de la science : il est terrible de voir combien la science est parfois appelée dans le domaine à aspirer tout l’oxygène de la discussion, asphyxiant toute velléité d’échange…

(suite…)

1 commentaire

Le Satyricon : discours d’Eros pour parler de Thanatos

Il vaut mieux être armé d’un volumineux dictionnaire pour lire la traduction française de Laurent Tailhade du Satyricon. Français vieillit, argot désuet, l’exercice peut s’avérer par moment ingrat, fastidieux, voire décourageant. Ce serait toutefois se priver d’un des rares romans polisson de la Rome antique – le seul ? -, passer à côté d’un trésor d’anecdotes, d’espoirs, de coutumes de cette époque. Car la confrontation d’Eros et de Thanatos, véritables héros du roman, y est poussée à son paroxysme. Il ne fait aucun doute que les pérégrinations d’Encolpe et de son jeune amant Giton, ne sont qu’un prétexte à conter la grande Histoire : celle de l’existence, et de son but.

Tout au long du récit, il est proposé au lecteur de se rendre à des banquets de « nouveaux riches » (des affranchis fortunés), de faire naufrage, de visiter le sud de l’Italie (Crotone, célèbre pour son Pythagore), de visiter les lupanars antiques, d’assister à la superstition vulgaire ou officielle, etc. Les deux fils conducteurs de tous ces évènements sont le sexe et la mort. Encolpe couche avec femmes, hommes et enfant. Tour à tour, il est cocu ou briseur de ménage. Il tangue sur le fil d’une vie dont les règles lui échappent : les évènements guident ses actions, le contrôle sur son destin est inexistant.

L’absence d’un gouvernail est métaphorisée par deux discours, prononcés à des moments-clés du roman : par Trimalchio tout d’abord, qui, à mi-chemin des aventures d’Encolpe, se vante d’être à la tête d’une immense fortune pécuniaire, tout en rappelant que l’essentiel de la vie réside ailleurs. De par sa conduite, le faste ostentatoire qu’il affiche en toute circonstance, la persistance avec laquelle il réitère sans fin combien il est fortuné – bien que ce ne soit pas son but – et enfin son inculture méprisable, en font le pilier central du Satyricon. Là se situe bien souvent l’objectif inavoué d’une existence désordonnée, du sexe à gogo, du pimpant, de la fuite en avant. Trimalchio est tout cela à la foi : ancien esclave, il est l’homme qui a réussi par lui-même, clame-t-il ad nauseum. Marié à une prostituée, il représente le vulgaire, la montée en puissance d’un homme qui ne s’est préoccupé que de plaisirs immédiats et vains. Orgies après orgies, il déclame des vers où le mauvais genre côtoie l’ignorance crasse, insérant des erreurs historiques jusqu’à plus soif. Homme creux s’il en est, son ascension s’est faite sous le signe de la superficialité; ses biens matériels n’ont jamais emplis le néant de son être. Précisément, entre les verbes être et avoir, il a choisi ce second, tout en glosant sans fin sur le premier. Toutefois, la question demeure : face à la mort, comment jouir de l’existence ? D’où la lecture, lors d’une scène truculente à souhait, de son propre testament à une assistance médusée. Si l’affranchi sait qu’il ne pourra profiter de la reconnaissance qui lui est due à sa mort, ne pourra assister aux hommages qui seront rendus à son corps trépassé, autant se vanter de ses largesses planifiées dès maintenant. Ses esclaves et ses amis pourront s’esbaudir de sa charité totalement désintéressée. Trimalchio cherche ainsi à repousser la grande faucheuse, et à profiter de la mort lui vivant; telle est la réponse donnée à mi-chemin du roman – soit de la vie.

(suite…)

2 commentaires