Le Jour J

à‡a y est! C’est parti! Ce dimanche c’est les élections!

Grand moment pour la Colombie, grand moment pour moi aussi car c’est les premières élections que je vais suivre en direct. Les contrôles se sont intensifiés, les affiches et hommes sandwichs pullulent. Les publicités télévisées s’enchaînent.

Mais étrangement il me semble que le débat politique est le grand absent de ces élections. Ayant l’habitude d’assister à  des débats d’idées (plus ou moins) de nos campagnes électorales européennes je suis passablement surpris des sujets discutés ici. On entend parler que de réforme du congrès ou de corruption. Plusieurs journalistes s’époumonent en dénonçant les pressions des groupes armés, quelques candidats se risquent à  le faire, mais la majorité continue en proposant de “reconstruire” la Colombie…

Alors ma question est simple: comment? Pour avoir une réponse j’ai dû aller à  un meeting d’un parti. Une réunion bien fermée (moins de 100 personnes) où une candidate nous explique son programme. Elle aborde plusieurs thèmes et elle a beaucoup d’idées: réforme agraire, droits humains … etc. C’est très intéressant. Mais alors pourquoi en public, à  la télé on n’assiste pas à  ce genre de chose?

Une seule réponse me vient à  l’esprit: sur la vingtaine partis en compétition, 6 ou 7 sont importants. De ces partis, qui peuvent lancer un débat, seul 2 sont contre le président actuel (Uribe). Seul 2 s’opposent à  la réélection. Les libéraux et le pôle démocratique. Le problème qu’ils ont est qu’ils ne peuvent pas aborder des thèmes trop à  gauche, de peur d’être accusé de guérilleros. Le résultat électoral qui s’en suivrait, serait alors catastrophique.

Comme je l’ai déjà  mentionné, les FARC ne font pas avancer le débat…

Cependant je parle ici de Bogotà¡, la “zone libre” avec le centre du pays … alors imaginez les zones où sont présents les groupes armés. Un petit tour d’horizon des départements concernés, une zone (au sud du pays) contrôlée par les FARC et l’autre (tout le nord du pays) contrôlée par les “ex” paras, nous donne une idée de ce que peuvent être les élections en Colombie :

Zone FARC :

Caquetà¡: il est impossible de faire campagne en campagne. Les FARC l’ont interdit. Le seul lieu ou la les candidat ont pu se déplacer est la capitale Florencia.

Guaviare : dans ce département les FARC ont interdit aux candidats de s’inscrire… Actuellement les militaires ont repris la capitale, mais il est difficile de faire de la politique avec la menace des paramilitaires encore présents, et des FARC qui tentent de récupérer leur territoire.

Zone “ex” Paramilitaire :

Santander: apparemment il n’y a pas de pression directe, cependant les campagnes des partis proches des paras ont un budget démesuré.

Norte de Santander: grosse présence de groupes armés. La population a demandé qu’on ne marque pas l’index avec l’encre indélébile, comme il se doit, pour éviter des représailles.

Antioqua: région avec un passé de violence politique, les paras ont déjà  tué plusieurs politiciens. Mais avec la démobilisation plusieurs leaders paras sont entrés en politique et il est possible de les retrouver sur certaines listes pour la ville de Medellin.

Cordoba: c’est une des régions mères du paramilitarisme … d’après Semana, les leaders para décident et dirigent tout. Dans cette région il n’y a presque pas de candidat de gauche.

Bolivar: Cartagena (la capitale) rime avec corruption, clientélisme, alliances familiales… le candidat principal est le fils de la « gérante » du département. La Dame décide tout, la drogue, le business, les paras … D’autres candidats ? Non la dame ne veut pas trop.

Cesar: Les paras se sont démobilisés. Comme dans les précédents départements mais là  elle à  l’air plus effective. Le parti de gauche peut faire campagne et apparemment ça marche. Ils craignent bien sûr les représailles mais, pour l’instant, rien de concret.

Magdalena: lors des dernières votations le candidat de la droite conservatrice a obtenu 90% des votes. La démobilisation devrait permettre cette fois des élections un peu plus libre. Mais les gens ont peur d’aller voter car les paras maîtrise les bureaux de vote. Donc les élections 2006 ne seront pas très différentes des précédentes. Il y aura juste plus d’un candidat…

Atlà¡ntico: Barranquilla, c’est l’autre paradis du clientélisme et des fraudes : une enquête a montré des irrégularités concernant 63% des cartes d’identités enregistrées.

L’avantage est que les résultats, dans ces régions, sont connus d’avance. Il reste cependant tous les autres départements et là  il est possible de rêver d’une nette avancée des partis plus démocratique. Les libéraux ont de bonne chance d’augmenter leurs nombres d’élus et on espère que le pôle démocratique gagne un peu de terrain. Ensuite, on s’attend, ou on espère, une alliance de ces deux partis pour les présidentielles, qui auront lieu dans 2 mois, avec comme but d’emmener le “seigneur” Uribe au 2e tour.

Ce serait déjà  une victoire.

 

Source

Dans la Jungle

La Colombie détient un record: celui du nombre de séquestrés. Bien sûr on pourrait rêver d’une meilleure publicité pour un pays si diversifié. Jusqu’en 1999 la moyenne atteignait environ 3000 enlèvements par année et actuellement on compte un peu plus de 5000 détenus. Les FARC n’en détiennent “que” 2000, la pression politique est une des causes, la rançon en est une autre. Les 3000 autres, sont détenus sans que l’on sache par qui (source).

Ingrid Betancourt fait partie de ces statistiques froides que je viens de citer. Elle a été enlevée, avec sa directrice de campagne, le 23 février 2002… il y a un peu plus de 4 ans.

Son histoire a largement été médiatisée, principalement en France. En partie car elle a été mariée avec un français, mais aussi parce qu’elle a toujours été proche des élites colombiennes et françaises. Son père a été ministre, sa mère sénatrice, Dominique de Villepin était un compagnon d’uni, …etc.

Les médias français la présentent facilement comme une sauveuse, l’unique à  se battre contre la corruption de ce pays. Même Renaud a écrit une chanson pour elle (“Dans la Jungle“) où il la décrit comme la seule à  lutter contre le double ennemi fasciste (Uribe et les FARC).

Il faut dire qu’elle-même se présente comme cela dans son dernier livre, la rabia en el corazà³n. Elle décrit son combat, d’abord au Congrès puis au Sénat, contre les politiciens corrompus des partis traditionnels. Il est vrai qu’elle s’est engagée corps et âme dans ce combat (discours, campagne, grève de la faim,…) qu’elle a risqué sa vie, détruit l’unité (physique) de sa famille. Cependant l’objectivité des médias français laisse parfois penseur. Au point où plusieurs se fâchent. La preuve en est le livre de Jacques Thomet: “Ingrid Betancourt: histoire de coeur ou raison d’Etat”. Ce journaliste accuse le gouvernement français de manipuler la presse et l’opinion publique, de détruire l’image de la France en Colombie et de détériorer les relations franco-colombiennes. Selon lui, la France aurait perdu des contrats équivalents à  700 millions de dollars. Tout ça pour libérer Ingrid.

Du côté colombien aussi, on peut voir certains s’en prendre à  la Ingridmania française. Une journaliste de El Tiempo le montre très bien :

C’est que personne n’a dit aux Français que beaucoup d’autres sont depuis plus de 7 ans dans la forêt. Aussi l’histoire de la Franco-Colombienne Aïda Duvaltier, enlevée en 2001 par l’EPL [Armée populaire de libération, maoïste] et dont les restes furent découverts la semaine dernière, n’a-t-elle provoqué aucune réaction massive de ses compatriotes. Et la mort du major Julian Guevara aux mains des FARC [séquestré depuis 1998, il est décédé le 28 janvier dernier] n’a même pas été commentée en France.” (El Tiempo – Article publié le 21 février 2006 traduit par : Latin reporter)

Certes… il est un peu dur d’expliquer pourquoi la France ne réagit pas plus…

Cependant il faut aussi savoir qu’Ingrid a quelque peu secoué la classe politique colombienne, et de la même manière que le gouvernement français influence la presse Française, le gouvernement Colombien le fait avec la presse colombienne.

Alors Ingrid est-elle la Jeanne d’Arc des Andes ? Est-elle juste la copine de Villepin qui coûte très cher à  la France ?

Peut-être les deux à  la fois, mais en étant pragmatique on pourrait simplement penser qu’au moins, grâce à  elle, la France se mobilise pour un sujet d’une importance fondamentale pour la Colombie.

Les FARC

En Colombie l’affirmation : “pour comprendre le présent il faut connaître l’histoire”, est encore plus vraie que dans les autres pays auxquels j’ai pu m’intéresser. La majorité de l’actualité concerne le conflit armé. On parle autant des actions des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC) que des actions contre elles, des négociations de l’Ejercito de Liberacià³n Nacional (ELN) avec le gouvernement, ou de la démobilisation des paramilitaires (AUC) (( Pour ceux que ça intéresse et qui veulent, vite fait, avoir une idée je vous invite à  lire l’historique du conflit )) .

Ces dernières années, avec le gouvernement Uribe, la situation semble avoir évolué. Tout d’abord, le Président a établi un programme de réinsertion pour les paramilitaires qui désiraient rendre les armes (( voir La Démobilisation des Paramilitaires )) . Ensuite il a militarisé le pays et contraint les FARC à  reculer dans la jungle. Ceci rend le pays plus sûr, certes, mais ne résout pas le problème de fond: les inégalités sociales, la concentration croissante de la richesse, la réforme agraire, etc.

En théorie tous ces maux sont combattus par les FARC, mais alors pourquoi ont-elles une si mauvaise image ?

Revenons à  la fin des années 80. Les forces de gauche ont enfin la possibilité de former un parti politique légal (l’Union Patriotique) et d’entrer dans le débat politique. Cependant les ultraconservateurs craignent leur montée en puissance. La persécution anti-militant de gauche débute et s’avère efficace. Plus de 4000 sont assassinés par les paramilitaires. Ceux qui sont encore vivants aujourd’hui sont ceux qui ont réussi à  fuir le pays. Suite à  de tels événements il était difficile de ne pas reprendre la lutte armée. Cependant, une seconde tentative de légalisation du mouvement des FARC a été tentée par l’ex-président Pastrana. Il leur a offert un territoire pour que les négociations se fassent dans de bonnes conditions.

Les négociations n’ont abouti à  rien. Le résultat a été catastrophique. Les FARC en ont profité pour s’enrichir (à  travers la plantation de coca et les enlèvements) et développer une véritable armée.

Suite à  cette tentative présidentielle avortée, il était évident que le peuple colombien n’allait plus accorder de confiance à  un mouvement dont le seul moyen pour atteindre leur but, est la guerre. Ces soi-disant défenseurs du peuple s’attaquent à  des villages, enlèvent n’importe quels péquins. Même les militants de gauche les rejettent.

La conséquence est l’élection du président actuel, Uribe, qui propose l’éradication pure et simple des FARC. La violence par la violence. Sa cote de popularité avoisine les 75% depuis 4 ans. Il est sur le point de se faire réélire … et les FARC existent encore.

Une bonne théorie du complot pourrait nous dire que c’est un arrangement entre eux. Cela ferait de beaux titres genre : “Les FARC et les paramilitaires se mettent d’accord pour se partager le pouvoir !”.

En étant un peu plus sérieux on peut simplement conclure que les FARC ont raté leur sortie. La sanction du peuple s’appelle Uribe. Cependant la question qu’ils devraient se poser avant d’aller voter est : qui est-ce qu’ils sanctionnent en votant pour lui ?

Pourtant je n’oserai pas affirmer que les Colombiens sont masochistes…

 

 

 

Note : pour les motivés de l’info sur les FARC: vous pouvez visiter leur site