Échange humanitaire: un virage politique d’Uribe?

Uribe, président colombienDepuis quelques semaines on voit se dessiner une autre ligne politique en Colombie. Pour certains c’est un virage brutal. Le président colombien s’est décidé à  négocier avec un groupe terroriste. Aveux de faiblesse ou pragmatisme politique?

La discussion s’est établie entre le gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) pour réaliser un échange de prisonniers. L’échange dit “humanitaire” pourrait être le premier pas vers un accord de paix plus global.

On est bien loin des annonces guerrières de la première campagne du président. Selon ses dires, on ne négociait pas avec des terroristes, en Colombie il n’y avait pas de conflit armé, seulement une bande de terroristes sanguinaires…
Il a été élu la première fois, en 2002, pour faire la guerre. Le bilan de son premier mandat est plutôt mitigé: la violence a diminué, les routes sont plus sûres et l’économie a repris mais les FARC sont loin, très loin, d’être vaincues et les inégalités ont empiré. Le processus de paix avec les paramilitaires est entaché par un grand nombre d’irrégularités.

La campagne pour sa réélection s’est faite sans programme; un mystère total régnait sur les quatre années futures. Pour ses partisans ultraconservateurs c’était évident qu’il allait poursuivre sa politique de guerre. Mais une volonté politique de négocier fait son apparition. Le doute s’installe, ses troupes commencent à  hurler à  la trahison, “on ne peut pas négocier avec des terroristes, c’est inhumain” “on ne vous a pas élu pour ça”!

Il faut savoir qu’Alvaro Uribe Velez n’est pas né de la dernière pluie. Autant le président Bush est réputé limité intellectuellement, autant Uribe est un homme intelligent travailleur, avec ses idées (qu’on aime ou pas) mais c’est surtout un opportuniste, très pragmatique. Son énorme défaut, au niveau politique, est qu’il est très mal entouré, mais là  aussi c’est volontaire: cela lui permet de tout diriger.

Or la situation actuelle piétine et sa cote de popularité est en baisse; un échange de prisonniers avant Noà«l serait une bouffée d’air.

De plus sa politique de guerre coûte très cher, même si les FARC se sont repliées dans la jungle une victoire militaire est jugée impossible par tous les experts, militaires ou civils.
Uribe en est bien conscient, l’opportunité de cet échange est une ouverture importante pour débuter un nouveau programme. Après avoir démobilisé les paramilitaires, être entré en négociation avec l’Armée de Libération Nationale (ELN), l’autre guérilla encore au combat, il pourrait concentrer ses efforts sur les FARC.

Il avait dit que pour terminer avec le conflit, il voulait d’abord réduire le nombre d’acteurs illégaux à  un. Pour cela, il a été d’accord de donner un poids politique majeur aux paramilitaires, de négocier avec des “terroristes” (l’ELN) alors pourquoi ne serait-il pas prêt à  négocier avec des “narco guérilla terroristes”.

Du côté des FARC l’intérêt n’est pas négligeable non plus. Tout d’abord ils veulent envoyer un message à  la communauté internationale. Les Etats Unis et l’Union Européenne les ont ajoutés à  leur liste d’organisation terroriste, ce qui les dérange profondément. L’échange humanitaire leur permettrait de montrer qu’ils respectent les conventions de Genève, et donc qu’ils sont un acteur armé dans un conflit. Un enjeu d’importance symbolique, surtout si on pense au dernier échange de prisonniers qui a eu lieu, sous la présidence de Pastrana (1998-2002) et qui s’est transformé en La journée des FARC. Tout est passé en direct à  la télévision, Manuel Marulanda (chef des FARC) a eu droit à  son moment de gloire et a pu faire un joli discours.

L’échange apporterait un peu d’humanité à  la situation colombienne et permettrait la libération de certains otages, dont Ingrid Betancourt et d’autres qui sont dans la jungle depuis huit ans. De plus, les deux acteurs principaux ont la possibilité de s’en sortir gagnant, les seuls mécontents sont les ultraconservateurs, qui ne supportent pas la négociation avec leurs pires ennemis. Les mêmes extrémistes qui, sans vergogne, ont offert sur un plateau d’argent la vie légale aux paramilitaires.