Imprescriptiblité des actes pédo-pornographiques : le triomphe de la démocratie kitsch

La démocratie suisse, l’une des plus avancée au monde en ce qui concerne les prérogatives accordées au peuple, a encore donné la parole au pouvoir de la victimisation : hier, 30 novembre, l’initiative populaire concernant l’imprescriptibilité des actes pédo-pornographiques a été acceptée. De justesse, mais il faut noter que l’association de la Marche blanche a fait campagne contre la quasi totalité des acteurs politiques du pays, sans beaucoup de moyens, face à des médias plutôt hostiles. Malgré cela, il n’est que peu de régions qui l’aient refusé, les Helvètes ayant troqué leur sens critique contre un « accord catégorique sur l’horreur que représente la pédophilie ». Les anciens grecs avertissaient déjà : une démocratie sans garde-fous, c’est une démocratie victime des modes, des sentiments, où l’irrationnel est roi. Depuis hier, la Suisse doit se doter d’un arsenal législatif rendant possible la poursuite d’un acte à caractère sexuel sans contrainte de temps. A 60 ans, poursuivre son père ou sa mère de 90 ans sera désormais possible.

C’est le règne de l’irrationnel, car il était impossible de s’opposer de manière argumentée aux défenseurs des victimes de tels actes. Y a-t-il vraiment parmi les Suisses des gens qui souhaitent voir les abuseurs d’enfants épancher en toute quiétude leurs déviances ? Bien sûr que non. Raison pour laquelle le Conseil fédéral (l’exécutif suisse) avait pris les devants et proposé une limite d’âge pour déclencher de telles poursuites : 33 ans. Un âge arbitraire, certes, mais lorsqu’on imagine les difficultés qui peuvent surgir lors de la collecte des preuves et témoignages dans une affaire qui se serait produite au minimum 15 ans auparavant, la plafond semble raisonnable. Mais en face des différents arguments, il existe le kitsch : une émotion à la force irrésistible, qui emporte tout sur son passage. Une émotion unanime qui, vantant la douleur des victimes, ne fait pas cas de la rationalité ou de l’intérêt général. Ou bien vous êtes avec nous, ou bien vous êtes contre nous; il faut choisir son camp.

Il est utile de se rafraîchir la mémoire sur ce qu’est le kitsch :

Derrière toutes les croyances européennes, qu’elles soient religieuses ou politiques, il y a le premier chapitre de la Genèse, d’où il découle que le monde a été créé comme il fallait qu’il le fût, que l’être est bon et que c’est donc une bonne chose de procréer. Appelons cette croyance fondamentale accord catégorique avec l’être.
Si, récemment encore, dans les livres, le mot merde était remplacé par des pointillés, ce n’était pas pour des raisons morales. On ne va tout de même pas prétendre que la merde est immorale ! Le désaccord avec la merde est métaphysique. L’instant de défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. De deux choses l’une : ou bien la merde est acceptable (alors ne vous enfermez pas à clé dans les waters !), ou bien la manière dont on nous a créés est inadmissible.
Il s’ensuit que l’accord catégorique avec l’être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n’existait pas. Cet idéal esthétique s’appelle le kitsch.
[…]
Il faut évidemment que les sentiments suscités par le kitsch puissent être partagés par le plus grand nombre. Aussi le kitsch n’a-t-il que faire de l’insolite; il fait appel à des images clés profondément ancrées dans la mémoire des hommes : la fille ingrate, le père abandonné, des gosses courant sur une pelouse, la patrie trahie, le souvenir du premier amour.
Le kitsch fait naître coup sur coup deux larmes d’émotions. La premier larme dit : Comme c’est beau, des gosses courant sur une pelouse !
La deuxième larme dit : Comme c’est beau, d’être ému avec toute l’humanité à la vue de gosses courant sur une pelouse !
Seule cette deuxième larme fait que le kitsch est le kitsch.
La fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch.

Milan Kunder, L’insoutenable légèreté de l’être, pp. 356-362

Ainsi, voici que toute opposition ou remise en question de cette nouvelle loi était combattue par un « vous vous fichez des victimes », « vous faites le jeux des pédophiles ». Savoir que les experts et les avocats, travaillant de concert avec des victimes, récriaient une telle loi, ne pesait pas lourd dans la balance. Essayer de complexifier le débat, pour rappeler qu’un pédophile n’est pas un monstre, que lui aussi fait partie de l’humanité et qu’à ce titre, cette variable doit faire partie de la discussion, est ignominieux. De fait, l’imprescriptibilité des actes sexuels à l’égard d’enfants met la pédo-pornographie sur pied d’égalité avec les crimes de génocide et contre l’humanité. Tous les fléaux, dès lors, se valent : une famille détruite vaut bien des villages rasés, des camps de concentration, des viols en masse avec tessons de bouteille, ou n’importe quelle folie inventée par le pervers esprit humain.

La volonté de remettre en question les conditions dans lesquelles un jugement doit être mené est confondu avec la remise en question de la douleur de la victime. Pourtant, il ne viendrait pas à l’esprit d’un quelconque esprit sain de nier la réalité de cette douleur; mais une société mûre devrait pouvoir aborder de manière détachée un tel problème, lourd de conséquence sur sa destinée, sa gestion des blessures, l’effet réparateur sur-interprété de la justice.

Quoi qu’on en dise, le peuple n’a pas toujours raison, j’en veux pour preuve les nombreux accidents de l’histoire provoqués par des votations sous le coup de l’émotion. Car si l’émotion est aussi vecteur d’intelligence, cette émotion est monopolisée dans ce débat au profit des seules victimes; pas de débat sur les pédophiles eux-mêmes, rien sur les remous sociétaux provoqués par de tels décisions législatifs, où la multiplication possible de « fausses victimes ». Un simple « et si c’était mon enfant« , et voilà que tout esprit critique s’effondre. Tu n’es pas dans mon camp, te voilà par conséquent du côté des pédophiles.

Plus que le résultat lui-même, qui pourrait se justifier à l’aune d’un débat approfondi, c’est le carcan de lequel s’est déroulé la campagne qui est insupportable. L’absence de hauteur, d’espace pour développer le pour et le contre, auront été proprement étouffants. Dignes d’une démocratie honnie des Grecs antiques. Digne d’un monde gouverné par le kitsch.

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