DRM, ces 3 lettres que tout le monde devrait connaître

Combien d’entre-vous connaissent l’acronyme DRM pour Digital Right Management ? Pas beaucoup je parie. Et pourtant, au même titre que le réchauffement planétaire, les délocalisations industrielles, ces 3 lettres font partie d’un enjeu mondial, et concernent plus particulièrement nos libertés individuelles. Rien que ça. C’est pourquoi ce qui suit est une tentative de vulgarisation et de simplification du sujet, car il a tendance à devenir rapidement très (trop) technique, mais n’en touche pas néanmoins le coeur de nos sociétés. Après cela suit une présentation de ce qui est l’alternative la plus crédible aujourd’hui aux DRM, l’open source et en particulier Ubuntu.

Les DRM, mettez un policier dans votre moteur

Les DRM, c’est avant tout un concept. Une idée, une philosophie pourrait-on même dire, qui consiste à protéger une oeuvre. C’est un antivol du produit, rigoureusement identique à l’antivol agrafé sur vos habits avant de passer à la caisse, identique à l’antivol sur votre voiture.
J’écris « rigoureusement », mais c’est un raccourci mensonger, car c’est celui utilisé par les promoteurs des DRM : en effet, si cela ressemble à un antivol, il se trouve que c’est le fabriquant de votre voiture qui peut le désactiver ou suivre le chemin parcouru par votre voiture. Vous achetez votre voiture en espèces sonnantes et trébuchantes, mais elle ne vous appartient pas tout à fait, puisque l’antivol reste fermement implanté dans votre véhicule. Il pourrait tout à fait déclencher la sonnerie d’alarme à distance, si l’envie lui en prenant.

Les DRM sont le résultat de la révolution du numérique : tout est immatériel, et contrairement à l’achat d’un disque, vous n’avez aucun support physique. Un CD audio, une fois numérisé, peut aller d’une clé USB à votre ordinateur, en passant par votre baladeur mp3 ou votre chaîne hi-fi. Un DVD vidéo, une fois numérisé, se promène d’un disque dur à un autre, et parcours le monde entier en quelques clicks de souris. C’est la réponse apportée à la dématérialisation de la musique, la photo, la vidéo, ce qu’on appelle abusivement le multimédia. Auquel il faut ajouter les livres et les BD qui, bien que peu agréable à lire pour l’instant sur un écran, n’en sont pas moins touchés par l’inconsistance des nouveaux supports numériques.

Parce que n’importe quel individu peut numériser le dernier CD/DVD acheté, pour ensuite le transmettre à son cercle d’amis ou à la Terre entière par le biais du Peer-to-Peer (P2P), les entreprises qui détiennent les droits sur les oeuvres ont décidé que le meilleur moyen de contre-attaquer serait de coller un antivol sur les produits. Déjà à une époque, le zonage des DVD répondait à l’explosion des ventes de films sur ce nouveau support à travers le monde; pour éviter que certains ne voient le film avant sa sortie officielle dans leur pays, on a divisé le monde en plusieurs zones, où les lecteurs DVD ne pouvaient lire les films d’autres zones.

Chou blanc, nous connaissons tous la suite, les lecteurs DVD dézonnés ont rapidement été vendus un peu partout, rien d’illégal ne s’y opposant. Si certains vendeurs vous soufflaient à l’oreille de ne pas ébruiter qu’ils vous avaient dézonné votre lecteur, c’était plus par crainte de représailles de (certains) fabriquants de DVD, ou des Majors de l’industrie, que par peur de poursuites judiciaires. Rien d’extraordinaire dès lors à voir fleurir dans les enseignes commerciales de tels lecteurs destinés au grand public. A croire que nous nous étions tellement habitués à suivre la loi de grandes multinationales que nous en avions oublié que les lois étaient votées par le peuple.

Les DRM sont un nouveau procédé avec pour objectif d’empêcher la copie, d’empêcher le transfert, d’éviter toute reproduction d’un fichier numérique. Encore une fois, les DRM sont un concept, et non une technique, puisque les moyens d’appliquer les DRM diffèrent d’un pays à l’autre (législation oblige) et d’une société à l’autre (culture d’entreprise oblige). On a pu ainsi assister à la permission sur les fichiers d’être recopiés 3 fois, à l’obligation d’utiliser un média donné (Apple) ou un logiciel particulier pour effectuer la copie; les plaintes d’internautes sur le casse-tête technique que représente l’utilisation de produits DRM (merci s427). Avec l’arrivée de Windows Vista, on requiert de manière assez impressionnante l’activation à distance de l’autorisation d’exécuter un fichier lambda, et plus seulement du multimédia. A défaut d’autorisation, l’écoute de votre musique, la lecture de votre document ou le visonnage de votre film sera sciemment altéré. Il en va de même pour les logiciels, puisque Microsoft peut définitivement empêcher toute installation d’un logiciel non validé par ses soins.

Vous comprendrez aisément pourquoi les DRM soulèvent des vagues d’indignation. Un fichier légalement acquis, un CD acheté le plus innocemment chez votre distributeur de jazz préféré, sera coupable jusqu’à preuve du contraire. De plus, transférer cette musique de votre ordinateur vers votre baladeur risque d’être ardu, selon les marques et les alliances passées entre les ayants-droit : si les Majors ne parviennent pas à décider d’un standard commun, parce que (au hasard) ce sont des entreprises en concurrence et que chacune vend ses propre standards, il devient impossible d’écouter sur vos différents reproducteurs de musique vos morceaux achetés pourtant dans les règles.

Et surtout, il faut savoir que tout cela est une version volontairement simplifiée de la réalité; il existe de nombreux autres problèmes potentiels, tels que la faillite de l’organisme chargé de vous valider l’utilisation de votre fichier (sans validation adéquate, votre fichier ne s’exécutera plus), certaines entreprises peu scrupuleuses comme Sony installent des logiciels qui vous espionnent à votre insu (des rootkits), et j’en passe des meilleurs. Le concept DRM n’en finit pas de faire des vagues, car ne nous leurrons pas, ce système n’est pas près d’être abandonné, puisqu’il repose sur une philosophie nouvelle : la vente soumise à acceptation par le producteur. Vous achetez votre produit, et l’on vous confirmera par la suite si vous avez le droit de l’utiliser.

L’open source et le système Ubuntu

Évidemment, la résistance s’organise. Mark Shuttleworth est le géniteur d’Ubuntu [1], le système d’exploitation d’ordinateur qui est en passe de révolutionner le monde de l’informatique. Si vous n’en avez pas encore entendu parler, cela ne saurait tarder : Dell vient de s’associer à Ubuntu, en raison de la demande croissante d’ordinateurs vendus avec une distribution gnu/linux préinstallée. Bientôt, en se promenant dans les rayons informatiques, à côté des Windows Vista, trôneront quelques ordinateurs intégrant Ubuntu. Si chaque système d’exploitation a pour but de vous permettre de tirer le meilleur de votre ordinateur, en choisir l’un des deux va se trouver être un choix de vie personnel, puisque rappelons que Vista intègre la gestion des DRM, et Ubuntu pas.

Mark Shuttleworth, précurseur devant l’éternel, est par essence opposé aux DRM : en effet, la piste empruntée par le système d’exploitation Ubuntu, y est radicalement opposée. Ubuntu, comme toutes les distributions gnu/linux, est open source, c’est à dire que les lignes de codes, soit ce qui est sous le capot des logiciel, peut être librement consulté, amélioré, échangé, etc. Et très souvent – roulement de tambour – l’open source est gratuit. C’est le cas d’Ubuntu, qui ne coûte rien, sauf si vous êtes une entreprise et que vous souhaitez bénéficier d’un support d’installation ou de maintenance. Ce service là se paie. C’est le modèle économique choisit par Canonical, l’entreprise de Shuttleworth, et bien qu’ayant visité l’espace en qualité d’astronaute, Shuttleworth n’en est pas pour autant dans la lune : son entreprise popularise un système d’exploitation perçu comme trop complexe pour monsieur et madame tout le monde jusque-là, et les alliances conclues avec des partenaires s’accumulent comme autant de trophées que personne n’aurait honte d’afficher au-dessus de la cheminée.

Enfin, le patron d’Ubuntu expose dans son blog pourquoi le modèle des DRM est irrémédiablement ancré dans le passé (version traduite vers le français par Framasoft) et qu’il ne résistera pas à l’épreuve du temps. Notamment, les antivols et ce pour des raisons techniques nécessitent d’être lus localement; les logiciels de lecture pourront toujours être cassés, et les clés découvertes par d’astucieux informaticiens. EMI et Apple ont déjà pris conscience de l’inanité des DRM, et ont décidé de revenir dessus. Tout comme la FNAC en France, qui limitait le nombre de copies des morceaux téléchargés sur leur plateforme. Pour l’ancien astronaute sud-africain, les DRM sont hérités d’anciennes réalités économiques, et il préférerait voir les entreprises actuelles s’adapter à l’univers numérique plutôt que de les observer passer leur temps à réfléchir comment l’empêcher d’aller de l’avant.

DRM et open source

Les prévisions, telles qu’elles se dessinent aujourd’hui, donnent un net avantage à la philosophie open source, pour aussi étonnant que cela paraisse, puisque derrière les DRM se tiennent fermement certaines des plus grandes entreprises de l’histoire humaine (Microsoft, Sony, les Majors d’Hollywood). Mais l’argent, ce n’est pas tout, et les contraintes techniques ont des conséquences, surtout lorsque les déboires liés à l’utilisation des DRM chez l’utilisateur final sont si importants que celui-ci risque de se tourner vers les produits illégaux.

L’impossibilité de créer une protection sûre (le code des HD-DVD vient d’être cassé ces derniers jours) est une donnée essentielle dans ce combat. Le DRM, de par sa conception même, n’est pas de taille. Plus il sera renforcé, plus les problèmes de lecture des données (et déperdition de la qualité) seront importants. Plus il sera renforcé, plus il sera difficile de passer de l’ordinateur à votre baladeur mp3 (la fameuse « interopérabilité »). Et maintenant que la concurrence se fait de plus en plus grande, plus il sera renforcé, plus d’autres moyens légaux seront envisagés par l’utilisateur. Autant d’obstacles qui condamnent, à moyen terme, les DRM.

L’open source, au contraire, est participatif et dynamique, et donc adaptatif. Néo-darwinien, il fait plus que s’adapter au contexte, il le créé : il devient la référence, ne serait-ce qu’en terme de liberté. Une liberté de choisir ses produits d’écoute ainsi que ses produits à écouter, une liberté de les partager avec ses amis, une liberté d’installer les logiciels que l’on désire. Une liberté de ne pas être espionné à son domicile, de ne pas être fiché par une entreprise commerciale, de ne pas transmettre des données sans donner son avis. Je me souviens avec nostalgie d’une époque où les instituts de sondage me payaient pour installer des programmes – rapidement désinstallé, d’ailleurs – qui suivaient mes faits et gestes. Aujourd’hui, il suffit d’installer certaines logiciels contenant des mouchards cachés, sans demander son avis à qui que ce soit. C’est beaucoup plus économique, et bien plus efficace.

Le débat doit prendre de l’ampleur, et se vulgariser. Il convient de dépasser la simple sphère des spécialistes informatique, pour porter ces préoccupations sur la grande place. Citoyens, la liberté n’est pas une valeur à galvauder. Lorsque la liberté de faire des caricatures a semblé être remise en cause, les journalistes de l’Europe entière sont monté au créneau, et souvent avec ténacité. Les DRM, qui s’imposent malgré tout par le biais d’un cheval de Troie nommé Windows Vista, doivent être combattus avec la même ardeur, l’enjeu est d’un tout autre accabit. La quasi totalité des ordinateurs individuels dans le monde sont équipés d’un système d’exploitation Microsoft Windows, et son dernier-né Vista se répand telle une traînée de poudre, à grand renfort de marketing. Or, Microsoft n’est non seulement pas une entreprise qui invente (elle rachète les inventions) mais en plus elle est indéniablement tournée vers les intérêts des très grandes entreprises. PME et entreprises à horizon de déploiement national, passez votre chemin, Windows Vista ne défendra pas vos intérêts.

Les DRM ne sont pas une fatalité, mais il est nécessaire de prendre le problème à bras-le-corps. Entre une société de surveillance numérique, et une autre de liberté numérique, à nous de choisir.

Références

  1. Ce terme est quelque peu mal choisi, puisque cet enfantement est le produit d’un précédent enfantement, la distribution Debian, la base de travail d’Ubuntu[]

Cet article a 10 commentaires

  1. antivols

    coucou, article très intéressat 🙂 je me demandais ce que tu voulais indiqier dans cete précision : « version traduite vers le francais par framasoft » … A+

  2. jcv

    T’as des équivalents pour tout. Et Keynote a un concurrent de taille sur linux, dont j’ai totalement zappé le nom. Je me souviens juste que sur les screenshots, il avait une quantité importante d’options que Keynote n’a pas.

    Et de toute façon, quand un programme n’a pas d’équivalent sur linux, il y a toujours la possibilité d’utiliser WINE; il se trouve que grâce à cet émulateur de windows totalement invisible, tu pourras faire tourner keynote sans problème.

    J’espère au moins que le manque de temps et l’inertie des habitudes ne t’ont pas fait installer Vista… Si ? 🙂

  3. s427

    Non non, rassure-toi, Vista n’est même pas une option (eh, quand même ! :-p ).

  4. s427

    Et toi alors, t’es enfin sur Linux ou pas ? 🙂

    Hiiiiiii !!! :[ J’ai honte mais non. Inertie des habitudes (comment me passer de Keynote ??? 😀 ) et manque de temps. J’ai quand même installé Mandriva 2007 sur mon portable et Ubuntu 7 sur mon fixe, pour prendre la température. Mais pour l’instant j’ai beaucoup trop de lacunes pour pouvoir y travailler confortablement. Ca viendra en son temps, je ne m’en fais pas.

  5. jcv

    Merci pour ces ajouts et précisions toujours aussi pertinents. J’ai ajouté la traduction du texte de Shuttleworth au texte principal. Et merci pour l’Analyse du coût de la protection de contenu de Windows Vista, j’avais perdu ce lien qui est une mine d’infos. Un peu trop technique pour une vulgarisation en tant que telle, mais une ressource géniale pour qui veut faire une vulgarisation.

    Et toi alors, t’es enfin sur Linux ou pas ? 🙂

  6. s427

    si les Majors ne parviennent pas à décider d’un standard commun, parce que (au hasard) ce sont des entreprises en concurrence et que chacune vend ses propre standards

    En plus de cette politique où chacun tire la couverture à soi, il me semble qu’il y a un obstacle technique quasiment insurmontable : le concept de DRM est-il seulement compatible avec le concept de standard ? Un standard est quelque chose de documenté, ouvert, et dont les mécanismes internes sont clairement exposés afin que chacun puisse l’utiliser. Dans le cas des DRM, cela voudrait dire qu’il serait d’autant plus facile de comprendre leur fonctionnement et de le contourner.

    Il est possible que les grands acteurs de ce domaine finissent pas s’entendre sur un format de DRM commun, mais ce format ne sera certainement jamais ouvert, car cela compromettrait son but même. En conséquence, on peut prédire que dans ce scénario, les petits acteurs (labels indépendants, etc) seraient très certainement exclus de ce marché.

    Une citation longue mais amusante qui illustre l’impasse technique représentée par les DRM :

    Afin que le contenu soit montré aux utilisateurs, il doit être copié de nombreuses fois. Par exemple si vous lisez ce document sur le Web alors il a été copié des disques durs du serveur web à la mémoire du serveur, copié dans les buffers réseau du serveur, copié à travers Internet, copié dans les buffers réseau de votre PC, copié dans la mémoire principale, copié dans le cache disque de votre navigateur, copié dans le moteur de rendu du navigateur, copié dans le cache de rendu/d’écran, et finalement copié sur votre écran. Si vous l’avez imprimé pour le lire, plusieurs autres copies se sont produites. La protection de contenu de Windows Vista (et des DRM en général) suppose que toutes ces copies peuvent se produire sans qu’il se produise réellement de copie, puisque l’intention entière des DRM est d’empêcher la copie. Si vous n’êtes pas versé dans la double pensée des DRM ce concept devient plutôt délicat à expliquer, mais en termes de mécanique quantique le contenu entre dans une superposition d’états simultanément copié et non-copié jusqu’à ce qu’un utilisateur détruise sa fonction d’onde en observant le contenu (en physique c’est appelé indétermination quantique ou paradoxe de l’observateur). Suivant que vous suivez l’interprétation de Copenhague ou celle des mondes multiples de la mécanique quantique, alors les choses sont bizarres ou très bizarres. Ainsi afin que la protection de contenu de Windows Vista fonctionne, elle doit pouvoir violer les lois de la physique et créer les nombreuses copies qui ne sont pas simultanément des copies.

    Source : Analyse du coût de la protection de contenu de Windows Vista (C’est la Note C.)

    le patron d’Ubuntu expose dans son blog pourquoi le modèle des DRM est irrémédiablement ancré dans le passé et qu’il ne résistera pas à l’épreuve du temps

    A noter qu’il existe une traduction française de ce texte : Les DRM sont inefficaces d’après Mark Shuttleworth d’Ubuntu

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