• Publication publiée :9/2/2006
  • Post category:Politique

De la supériorité occidentale : la liberté d’expression à l’épreuve de la mondialisation

Titre pompeux s’il en est, on le croirait directement sortit d’une revue académique. Pourtant, je crois qu’il convient de s’interroger de la manière la plus intelligente et poussée sur les évènements qui secouent les relations occidentalo-musulmanes : les caricatures danoises sont, à mon avis, une démonstration patente de la puissance avec laquelle nous vivons la mondialisation.

De nombreux journalistes endossent aujourd’hui ce que l’on peut tenir pour une armure de croisés : la défense absolue de la liberté d’expression. Même des journalistes que je respecte beaucoup tombent dans ce qui me semble être l’un des premiers pièges de la mondialisation : la croyance que toutes nos valeurs sont absolues. Piège auquel il faut rajouter l’incapacité de nombreux journalistes de se projeter dans la position des individus qu’ils « combattent » : position d’idéologues, en quelque sorte.

De la liberté d’expression

Premièrement, la liberté d’expression n’est pas, contrairement à de nombreux autres droits fondamentaux et nécessaires aux sociétés démocratiques, absolu. Un Etat a le droit de le restreindre, si les circonstances l’exigent. Au contraire de la torture, par exemple, qui ne saurait jamais être justifiée : ce que viennent de comprendre depuis 2 mois les USA, d’ailleurs. La liberté d’expression est là pour protéger de l’arbitraire étatique les citoyens – souvent les journalistes. Pour permettre à l’information d’être impartiale, non pas par le biais d’un quotidien qui serait exceptionnellement objectif, mais plutôt par le cumul des opinions différentes, divergentes, opposées. C’est le reflet d’une croyance forte en la démocratie, qui a résulté dans la création de ce 4ème pouvoir – qu’il serait toutefois réducteur de restreindre aux seuls journaux.

Toutefois, ce droit d’expression ne saurait être absolu : si la démocratie a pour fondement ce droit, la démocratie se base aussi sur des valeurs bien plus éthérées, des valeurs changeant d’un pays à un autre. Parmi ces valeurs, difficiles parfois à définir concrètement, il en est certaines qu’on peut identifier facilement : le rejet du négationnisme, par exemple, est depuis la Deuxième Guerre Mondiale au coeur du processus démocratique occidental, Grande-Bretagne mise à part. Si l’on admet que la démocratie est fille de la peur de l’autoritarisme, elle est aussi fille du résultat de l’autoritarisme : on ne saurait séparer ici les principes de leurs conséquences. Le principe politique en vigueur durant la première moitié du XXème siècle était l’autoritarisme. L’une de ses conséquences la plus horrible fût l’holocauste. En instaurant progressivement en Europe des démocraties, on cherchait à combattre aussi bien les causes, que les conséquences de l’autoritarisme. Causes et conséquences peuvent être séparées pour la réflexion, mais lorsqu’on les éloigne trop, on tombe dans l’idéologie pure.

L’interdiction de remettre en question l’holocauste dans les sociétés occidentales se base donc sur une conception de la vérité, que l’on peut assimiler à une croyance. Oui, l’holocauste a des preuves indéniables; mais à ma connaissance, nous avons des preuves indéniables également de l’homme qui marche sur la Lune, et pourtant personne n’attaque Philippe Lheureux lorsqu’il s’amuse à broder toute une théorie conspirationniste. Deux poids, deux mesures, certes; mais il est indéniable qu’un doux dingue qui réfute cette réalité est moins dangereux que celui qui s’en prend à la Deuxième Guerre Mondiale. Raison pour laquelle on s’est doté, en Occident, de lois pénalisant le négationnisme. Parce que l’on croit que le négationnisme est dangereux.

Je n’ai donc absolument aucun problème avec cette restriction de liberté : la fondation d’une société requiert d’utiliser certaines valeurs, certains concepts, voire une philosophie autour de laquelle ses citoyens se doivent d’adhérer. A la remarque qui considère cela comme un

argument hors sujet [car] il n’est pas question dans les dessins danois de stigmatiser une communauté pour ce qu’elle est (ce que font certains caricaturistes arabes, ouvertement antisémites), mais de railler des principes religieux.

je répondrai que le monde arabo-musulman étant particulièrement crispé autour de son identité religieuse, celle-ci fait office de joint cohésif… exactement comme le font certaines valeurs de nos sociétés occidentales. Si tout le monde est unanime à condamner, par exemple, les accointances néo-nazies de Jörg Haider, c’est en raison de l’attachement inaliénable occidental à certaines valeurs. Au Moyen-Orient, l’une des valeurs cohésive est la religion; qui sommes-nous pour dicter quelles valeurs sont bonnes ou moins bonnes ? Surtout que lorsqu’on entend certains discours européens autour des raisons de refuser l’entrée de la Turquie en Europe, j’ai peine à croire que l’Europe soit si laïcisée que cela.

Bien évidemment, le problème fondamental en l’affaire reste le déchaînement de violence au Moyen-Orient; il peut paraître absurde de mourir ou de vouloir tuer au seul motif d’une caricature. Mais il ne faut pas oublier qu’une forme d’extrême droite est au pouvoir en Iran, et que l’intervention étasunienne en Irak a attisé, comme l’aurait fait le largage de plusieurs bombes nucléaires, une haine certaine à l’égard de l’Occident. Cette haine couvait, et était parfois plus dirigée à l’encontre des gouvernements de la région; il est probable que de nombreuses velléités démocratiques aient été étouffées grâce aux USA et à la Grande-Bretagne : mais ceci est une autre histoire.

Ne nous leurrons pas, la réactions radicale moyen-orientale est artificielle; mais ne sous-estimons pas la frustration de ses individus. Le quotidien danois Jyllands-Posten avait le droit, à mon avis, de publier ces caricatures; tout comme il avait le droit de présenter des excuses à ceux qu’il avait offensé. On a cependant outrepassé le droit à la liberté d’expression en reprenant ad nauseum ces caricatures, devenant nous-même des caricatures de ce que nous sommes. Il y a une différence entre un principe et son application : pourquoi tant de journalistes semblent avoir oublié cela, je ne saurais me l’expliquer.

Je ne vois pas comment ce comportement peut être perçu comme étant autre chose que de l’arrogance. Etre arrogant vis-à-vis des musulmans, c’est planter des graines que les extrémistes fascistes s’empresseront de faire pousser. Mais personne ne se voit planter ces graines; cette incapacité à prendre du recul est due, à mon avis, à la croissance accélérée du village global planétaire.

De la relativité culturelle

Le deuxième point est la conséquence de l’éclosion du « village global », expression décrivant notamment l’aspect affectif de la mondialisation. Huntington, auteur peu conséquent, a au moins eu le mérite de correctement pointer cette contradiction de la mondialisation : on croit comprendre les individus à l’autre bout de la planète, parce qu’on les croise dans la rue, on mange leur nourriture, on les observe à la télévision. En réalité, nos valeurs divergent, et la compréhension d’un acte est très différente selon qu’on vive dans une petite ville iranienne ou dans une petite ville polonaise.

Cette fausse impression de « connaître l’autre », alors que les langages et les références ne sont pas toujours compatibles, est encore renforcée par l’inclusion de certaines des valeurs extrarégionales. Phénomène lié au rapetissement des distances, à l’augmentation des relations entre des communautés autrefois éloignées, le nombre de sujets qui ne sont plus politically correct a tendance à s’accroître au fil des années.

La conséquence dans – notamment – cette affaire, c’est l’impossibilité pour l’Occidental-type de comprendre pour quoi se battent aujourd’hui certains musulmans. Ne comprenant plus rien au sens du « sacré », incapables de s’immerger dans la peau d’un croyant musulman. Comme si l’empathie était impossible, cette affaire est utilisée en Occident pour laisser libre court à son islamophobie. Ce qui ne veut pas dire que tous les défenseurs de la liberté d’expression soient islamophobes; tout comme toutes les personnes choquées par cette caricatures ne sont islamo-fascistes. Pourquoi inutilement les blesser ? Pourquoi ne pas voir que persister gratuitement (car rien n’est réellement en jeu ici, n’en déplaise aux idéologues) renvoit l’image d’Européens qui

[considèrent cette] civilisation comme inférieure et […] lui [dénient] le droit à l’existence.

Si on ne doit pas transiger avec nos principes fondamentaux, rien ne sert de blesser gratuitement. La liberté d’expression devrait tendre à nous rendre un peu plus ouverts d’esprit, et non accrochés à des principes intangibles.

Conclusion

L’Occident caricature certains des ses propres fondements, à l’image des caricatures continuelles des Papes, de Jésus, de l’Eglise. Cela est possible en raison des choix que nous avons fait. Nous avons décidé de ne pas respecter le sacré, soit; mais nous ne pouvons imposer nos choix au reste du monde.

La nouveauté réside dans l’extraordinaire asymétrie Occident-Moyen-Orient, du jamais vu dans l’histoire. D’autre part, la mondialisation a pour effet qu’un gag lancé à Téhéran fait le chemin en quelques jours jusqu’à Paris, et qu’une caricature danoise parvient en Arabie Saoudite ou en Syrie au bout de 3 mois : tout se sait aujourd’hui, et la frontière d’un politically correct s’étend jusqu’à atteindre de nouveaux sujets à éviter.

Cet effet est provisoire; plus on brusquera les croyances, plus on se braquera de l’autre côté de la frontière contre nos valeurs. Observant ce qu’il s’est passé en Occident, j’ai parfois l’impression que ce que nous ont apporté nos libertés, c’est de pouvoir perdre la mémoire; a-t-on toujours besoin d’être aussi intransigeant ? On ne parle pas de Munich (1938, pas le Spielberg) tout de même !

Car c’est à l’aune de sa liberté d’expression, de sa capacité d’ironie, que se mesure la force d’une démocratie.

La démocratie n’a jamais été, et ne sera jamais, un but en soi : ce n’est qu’un moyen, dont les contours sont extraordinairement flexibles, mouvants et adaptables. C’est même l’un de ses principes, que d’être adaptable.

Je crois à la supériorité occidentale de nombreuses valeurs, dont la liberté d’expression. Mais je ne crois pas que le chemin que nous prenions pour le démontrer aux autres cultures soit le bon : il ne l’était pas aux XIXe et XXe, il ne le sera pas au XXIe.

9.2.06 Les innombrables fautes d’orthographe ont été gommées.

Cet article a 24 commentaires

  1. clic

    J’avais commencé à faire une très longue réponse, mais je l’ai finalement mis sur mon blog…

  2. jcv

    je crois qu’on peut défendre une totale liberté d’opinion sans défendre une totale liberté d’expression, car en définissant des normes sur la façon dont des opinions peuvent être ou ne peuvent pas être défendues.

    En première lecture, je trouve la distinction séduisante. Mais le problème en seconde lecture, si je comprends bien ta pensée, c’est que j’aurais tendance à rapprocher la liberté l’opinion de la sphère du privé et la liberté d’expression de la sphère publique. Je sais que ce n’est pas tout à fait ta pensée, mais j’ai de la peine à le comprendre autrement.

    Et si c’est bien le cas, cela ne nous aide pas beaucoup; le négationnisme est encore et toujours puni par la loi, ce avec quoi je suis entièrement en accord (et que tu trouves en contradiction avec le reste de ma position ?) : il contredit ainsi la liberté d’expression, même sans s’opposer à la liberté d’opinion. On reste avec un « quelles limites à la liberté d’expression », en somme.

    Ces limites, je les accepte. Les sociétés se dotent de tabous, d’histoires ou de mythes, elles se construisent une culture. La shoah en fait partie, certaines restrictions de liberté d’expression aussi. Chaque pays en Europe a sa propre conception de la liberté d’expression, faisant chacun des choix différents; seule la Cour européenne des droits de l’homme vient « égaliser » les divergences avec la notion « d’intérêt général ».

    Mais je veux insister sur le fait que la publication de ces caricatures en elle-même ne me pose aucun problème; comme tu l’as très justement remarqué, c’est leurs reprises à l’envi qui semblaient dire

    « je peux publier n’importe quoi parce que c’est mon droit et je vous emmerde ».

    qui était proprement incompréhensible.

  3. clic

    J’arrives après la bataille, mais je suis heureux de découvrir des réflexions d’un autre niveau que ce que j’ai eu à supporter sur ces caricatures…
    Je me permets de mettre mon grain de sel car je crois que l’une des phrases contient le noeud du problème:
    « Appeler à faire acte de “liberté, certes, mais pas de liberté sans responsabilité” comme le fait Alain Juppé sur son blog me semble d’une sombre bêtise. Qui, dès lors, juge de cette responsabilité? »
    Il n’est pas nécessaire qu’existe une personne qui juge de la responsabilité, dès lors que sont établis des principes formels qui garantissent au débat que la liberté soit utilisée de façon responsable. Je crois qu’il est possible de poser de tels principes en raison mais je crois que c’est cette place que nous devons donner à la raison: non pas une place de supériorité de « l’origine des espèces » sur « la Bible » mais l’assurance que le débat entre ces deux textes ou les gens qui s’en réfèrent ai lieu dans un espace qui soit raisonnablement construit (ce qui suppose de différencier expression et opinion, injure et prise de position… la grande difficulté se situe à mon sens in fine dans la nécessaire réflexion sur ce qui pourrait distinguer un jugement de fait et un jugement de valeur).
    Bref je crois qu’on peut défendre une totale liberté d’opinion sans défendre une totale liberté d’expression, car en définissant des normes sur la façon dont des opinions peuvent être ou ne peuvent pas être défendues.
    J’ai écrit un billet là dessus

  4. Ping : JaBbErWoCk

  5. « J’aimerais savoir […] si David Irving doit cesser d’être importuné par les tribunaux en raison de sa négation de l’holocauste. Et si les caricatures commandées par l’Iran sur les Juïfs ne te dérangent pas non plus. »

    D’abord pour répondre sur les caricatures parues dans le journal danois, et notamment sur celle qui a le plus choqué, on pourrait très bien souligner le fait, certes avec peut-être un peu de mauvaise foi -car cet argument n’aurait réellement valu que dans le cas où ces caricatures auraient été de bon goût-, qu’il y a bien eu des actes terroristes qui se réclamaient de l’islam, qu’il n’est pas faux de considérer que les dérives de cette religion -au même titre que d’autres- sont à l’origine d’actes barbares… Dans ce cas, cela ne me dérange pas que l’on raille un prophète duquel, de fait, se réclament des fanatiques…
    J’ai un profond respect pour la spiritualité religieuse, ce n’est pas pour cette raison que, sans pour autant faire d’amalgames, je ne peux pas me moquer des dérives qui en découlent.

    Quant aux caricatures commandées par l’Iran, il me semble que l’acte de caricaturer le juif dans le cadre de la shoah est une insulte aux victimes de l’un des plus grands massacres du XXe siècle -pour ne pas dire de l’Histoire-, hormis le fait que ce soit une manière de répondre clairement mesquine et teintée de haine que pourrait à peine envier un enfant de 13 ans, et bien cet acte n’est pas équivalent au fait de caricaturer -d’un bien mauvais goût, je l’accorde- un prophète, duquel effectivement des fanatiques se recommandent dans les crimes qu’ils perpétuent…

    Nier l’existence de la Shoah, c’est nier un fait historique, et des plus important, et est sans commune mesure avec le fait de caricaturer un prophète, quel qu’il soit. Assimiler l’un à l’autre en revient à considérer que l’Histoire n’est qu’une affaire de croyance, et seulement cela, c’est relativiser la portée de la science qui la constitue et la mettre sur le même plan que la croyance religieuse. C’est accepter implicitement que Raison et foi sont deux instances équivalentes. Cela en revient à réfuter le présuposé même des Lumières. Et même si ce présuposé n’est que ce qu’il est -précisement, un principe duquel on part pour mener une réflexion que l’on croit légitime- et qu’ainsi il n’est pas éternel en soi, toujours est-il que c’est, à mon sens, sur ce chemin miné que l’on s’avance en faisant ainsi oeuvre de relativisme. Pour ma part, même si j’ai beaucoup à reprocher au rationnalisme, je préfère prendre son chemin que celui de la foi religieuse, car si les deux reposent en effet sur une forme de croyance, encore n’est-elle pas équivalente dans les deux cas (j’arrête ici, car cette simple question pourrait demander un ouvrage à elle toute seule)…

    « Je ne suis pas sûr de très bien comprendre ta postion : la loi, c’est une règle générale. Mais dès que tu interprètes la loi, tu tombes dans le particulier. Il n’y a guère qu’en théorie qu’on obtient une loi aussi pure et équitable que tu sembles le souhaiter…

    Maintenant, en théorie (et en oubliant la référence légale), la liberté peut être soit absolue, soit relative. Tu ne vas pas me dire que pour toi, elle doit être absolue ? Parce que c’est ce que tu sembles vouloir dire, et je pense avoir expliqué pourquoi, durant mon échange avec Yann, je pense que c’est erronné. »

    Ce que voulais dire par là, -et en effet je remarque que je ne suis pas très bien exprimé, j’ai écris de manière un peu tordue-, c’est que ce qui me semble inacceptable, c’est le fait de céder à une pression religieuse afin de réduire une liberté qui est au fondement de toutes les autres. Je vis dans une société où le droit au blasphème est autorisé, et j’estime que c’est précisément au moment même où il dérange -et où donc, il est mis en péril- qu’il est nécessaire d’en faire usage de la manière la plus forte et claire qui soit. C’est exactement ce qu’à fait Charlie Hebdo, que je bénis pour cela!, en publiant ces caricatures avec, autour, tout un appareillage critique qui court-circuite toute possible interprétation raciste de la publication, tout en montrant ainsi l’urgence qu’il y a à user de cette liberté fondamentale justement à l’instant précis où on tente de la brider.

    C’est en cela que je parlais d’intransigeance de la loi, non pas au sens où elle est un absolu (même si je suis français, Ôooooooooo, beaaaaaaauuuuu pays des droits de l’homme et de la liiiiiiiberté *faire chanter un coq à ce moment là* 🙂 ), mais au sens où il serait impensable de céder à une pression religieuse dans le cadre de la libre expression. Si tel était le cas, « la dernière tentation du Christ » (Scorsese, évidemment) eût été interdite à sa sortie, des cinémas on brulés parce que la sensibilité de certains catholiques avait été froissée, un blasphème que ce film!!!! « Amen » de Costa-Gavras et sa croix gammée superposée sur la croix du sauveur eût été interdit pour exactement la même raison : blasphème!!! Et j’en passe…
    Or, s’il y a certainement des choses à redire sur le traitement des musulmans en France (pour ne parler que du pays dans lequel j’habite) cela n’est pas une raison pour laisser, comme de manière démagogique afin de se dédouaner de notre culpabilité d’européen, s’infiltrer dans une démocratie la composante totalitaire qui est à l’oeuvre dans une religion révélée, quelle qu’elle soit.

    Juste pour finir, j’aimerai insister sur deux points :

    * Le premier est que, si il y a instrumentalisation de ces caricatures, peut-être d’un côté comme de l’autre, il me semble qu’elle a plutôt lieu, plus que du côté des islamophobes, du côté des fanatiques religieux, qui usent secrètement de leur influence afin de faire s’entrechoquer violemment vision laïque et charia… Je ne m’étendrait pas là dessus, mais quand j’entend Abdelaziz Belkhadem (ministre des Affaires étrangères algérien) affirmer : « Le Prophète est plus cher pour nous que votre liberté et votre démocratie« , je me pose la question de savoir qu’est ce qu’il vaut mieux relativiser, ma liberté d’expression, ou la tentation religieuse totalitaire? Quand Mouloud Aounit (président du MRAP, belle déception que son action, si peu en concordance avec le sigle de ce mouvement) attaque, en la compagnie d’un grand nombre d’associations musulmanes françaises, Charlie Hebdo et les autres quotidiens ayant publiés ces caricatures, quelle que soit la manière dont elles l’ont été (avec mise à distance critique, dans le cas de Charlie), qu’est ce que cela signifie? Certes, il est tout à son honneur de ne pas bruler le siège du journal, et de passer par une voie légale, mais ce qui est cherché à travers cela, c’est m’imposer l’allégeance à un sacré auquel je ne crois pas. En ce point je vois la tentation totalitaire. Si je pense qu’il y a plus de vérité dans l’Origine des espèces que dans la Bible et le Coran, est-ce pour cette raison que je vais faire la demande d’interdire tous les ouvrages qui nient cette doctrine, où qui simplement la critique ou en parlent mal?
    Je rappel juste, à titre de mémoire, l’histoire du chevalier de la Barre, qui, au XVIIe siècle me semble-t-il, fût condamné à être brulé vif parce qu’on le soupçonnait d’avoir mutilé un crucifix… Voltaire en fît un cas exemplaire du crime légal. Si on me permet la métaphore, ce qui est exigé par les fanatiques religieux -et par Juppé, et, à mon grand regret, par une partie de l’extrême gauche- c’est tout simplement de bruler à nouveau le chevalier de La Barre -après dépeçage et lapidation a-t-on même entendu parfois. L’interdit du Saint-Office religieux musulman de représenter le Prophète n’a pas à avoir cours dans une démocratie qui de principe, le refuse.

    *Mon second point est que, cet interdit même, de ce que je sais, est difficilement tenable théologiquement. Mahomet refusait la vénération des prophète, répétant inlassablement qu’il était un homme comme les autres. En son temps, il fût caricaturé par l’arme médiatique absolue : le poème. Je ne m’étend pas la dessus, mais il me semble que si cette histoire montre bien quelque chose, plus que l’islamophobie, c’est la montée en puissance de l’intégrisme religieux…

  6. jcv

    mais j’ai plutôt tendance à penser, contrairement à toi -mais cela n’est surement pas étranger à nos formations respectives- que cette question de la liberté d’expression se réfléchit sur le terrain du principe, et non du pragmatisme dans un cas comme celui-ci.

    Que notre position repose sur la différence de nos formations, c’est une explication qui pourrait être séduisante; mais il se trouve que l’intervenant principal dans ce sujet, à savoir Yann, a pile poil la même formation que moi. Enfin, un diplôme européen bientôt en plus 🙂

    Je sais qu’à aucun moment, ni toi, ni même Yann, l’islamophobie n’est à la source de votre réflexion. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser, en voyant la postion intellectuelle de la majorité des défenseurs auto-proclamés de la liberté, en voyant surtout comment ils choisissent leurs combats, que l’islamophobie est bel et bien à l’origine de cette lutte.

    J’aimerais savoir, puisque cette liberté ne doit connaître (selon Yann) que la limite de l’appel à la haine, si selon toi (puisque Yann ne m’a pas répondu), David Irving doit cesser d’être importuné par les tribunaux en raison de sa négation de l’holocauste. Et si les caricatures commandées par l’Iran sur les Juïfs ne te dérangent pas non plus.

    Il est absolument inacceptable de laisser cette liberté être bridée par des impératifs religieux, car une entorse au principe, c’est faire en quelque sorte jurisprudence. Hormis celles édictées dans le cadre de la loi, mettre des conditions ponctuelles et “pragmatiques » à la liberté d’expression en revient toujours à préparer le lit, et je pèse mes mots, d’une pensée totalitaire. Encore une fois, hormis les limites que lui impose la légalité, considérer le cadre de la liberté d’expression comme ajustable dans un seul cas, c’est le considérer de principe comme ajustable dans tous les cas…

    Je ne suis pas sûr de très bien comprendre ta postion : la loi, c’est une règle générale. Mais dès que tu interprètes la loi, tu tombes dans le particulier. Il n’y a guère qu’en théorie qu’on obtient une loi aussi pure et équitable que tu sembles le souhaiter…

    Maintenant, en théorie (et en oubliant la référence légale), la liberté peut être soit absolue, soit relative. Tu ne vas pas me dire que pour toi, elle doit être absolue ? Parce que c’est ce que tu sembles vouloir dire, et je pense avoir expliqué pourquoi, durant mon échange avec Yann, je pense que c’est erronné.

    Appeler à faire acte de “liberté, certes, mais pas de liberté sans responsabilitéâ€? comme le fait Alain Juppé sur son blog me semble d’une sombre bêtise. Qui, dès lors, juge de cette responsabilité? Qui en donne l’aune?

    Je ne veux pas défendre Jupé, D. le fera certainement beaucoup mieux que moi. Il a une fâcheuse tendance en ce moment à voter pour les personnes condamnées 🙁

    Pourtant je suis d’accord avec lui. « Qui juge de cette responsabilité ? » C’est d’un éminament naïf et théorique « le citoyen », que je te réponds. Mais c’est pourtant bel et bien par le savant mélange démocratique d’exécutif, législatif et judiciaires que se créent une « culture ». Chaque pays peut se construire ses propres règles; je ne renverrait pas ça à ta formation, mais à ta nationalité, pour croire qu’il existes une règle absolue universelle en matière de liberté 🙂

  7. Si tu n’est pas d’accord avec moi sur le cas Amélie Poulain, je suis en désaccord profond avec toi quant au sujet des caricatures… Je trouve intéressant et indispensable d’analyser les causes de l’évènement, la forme rationnelle convient à la dépassionalisation du débat, mais j’ai plutôt tendance à penser, contrairement à toi -mais cela n’est surement pas étranger à nos formations respectives- que cette question de la liberté d’expression se réfléchit sur le terrain du principe, et non du pragmatisme dans un cas comme celui-ci.
    Il est absolument inacceptable de laisser cette liberté être bridée par des impératifs religieux, car une entorse au principe, c’est faire en quelque sorte jurisprudence. Hormis celles édictées dans le cadre de la loi, mettre des conditions ponctuelles et « pragmatiques » à la liberté d’expression en revient toujours à préparer le lit, et je pèse mes mots, d’une pensée totalitaire. Encore une fois, hormis les limites que lui impose la légalité, considérer le cadre de la liberté d’expression comme ajustable dans un seul cas, c’est le considérer de principe comme ajustable dans tous les cas…
    Appeler à faire acte de « liberté, certes, mais pas de liberté sans responsabilité » comme le fait Alain Juppé sur son blog me semble d’une sombre bêtise. Qui, dès lors, juge de cette responsabilité? Qui en donne l’aune? Quand Zola accuse(!) tous les grands chefs militaires de l’armée de son pays (corps sacré s’il en était, à cette époque) d’être des criminels, il s’agissait bien, a priori, d’un acte irresponsable…. Ou fixe-t-on la limite, si on ne considère pas cette liberté comme inaltérable, si pragmatiquement on peut le régler sur les circonstances? Si face à la pression, on se doit de la modérer?

    Et même si je n’aurais pas commandé les caricatures, que je trouve plutot idiotes, la liberté d’expression implique aussi celle du mauvais goût…

  8. D.

    Bon, me voilà de retour mon ptit Psycho… Pour voir ce qui t’excite en ce moment sur ton blog… Le temps de digérer tout ça, et je te réponds! Tu t’emballes encore un peu même si comme d’habitude, j’ai eu le plaisir de noter que tes propos étaient de fort belle qualité et toujours interessants!

  9. jcv

    (en passant Jc, laisse les vaches d’Inde tranquille, s’ils pensent que c’est une réincarnation de dieu c’est leur droit aussi…)

    Non, pas quand t’as des hindous qui meurent de faim à côté de ces foutues vaches. La vie et la dignité d’un homme est au-dessus de celles des animaux, point barre. Ce qui ne veut pas dire que l’homme peut faire ce qu’il veut des animaux, mais bref, ce n’est pas le débat 🙂

    Et si c’était vrai? moi les prêtres coupables de pédophilie je les pendrais!!! pas plus pas moins! Et je trouve qu’on en parle pas assez…

    Désolé de ne pas te suivre dans ta provoc’ 🙂

  10. jcv

    Je place le curseur de la restriction de la liberté d’expression à un endroit précis, celui de l’incitation à la haine et à la violence. Et ce n’est pas parce que « cela me fait plaisir », mais par conviction et par un attachement indéfectible à une liberté non pas individuelle, mais collective : la liberté d’expression est valable pour tous, en tous temps, et le fait de pouvoir débattre et s’opposer, sur tous les sujets y compris provocateurs, est la garantie du bon fonctionnement démocratique. Cette liberté permet l’insertion de tous les points de vue dans le système et offre la possibilité aux minorités de se faire entendre. Constituant en cela une protection de ces minorités.

    Si la liberté d’expression n’était qu’une protection des minorités, expliques-moi pourquoi la plupart des Occidentaux (j’en fais d’ailleurs partie) ne supportent pas que l’on « badine avec l’holocauste ». Car il n’y a pas que l’extrême que tu prends (un juif avec un gros nez), mais bien le révisionnisme en général. Oui, sans caricature aucune, le révisionnisme est refusé : or, le révisionnisme ne contient pas intrinsèquement un appel à la haine raciale. Je le hais, et je refuse de l’accepter malgré tout. Et toi ?

    Alors quelles peuvent être les conséquences négatives d’une limitation supplémentaire de la liberté d’expression ? Elles sont nombreuses… […] Et une société dépourvue de l’arme de l’ironie tombe vite dans l’arbitraire, car le contrôle démocratique assuré par la liberté d’expression fait défaut. […] Donc, pour répondre à ta question, oui j’ai peur pour la démocratie lorsqu’on parle de brider la liberté d’expression et de « donner un coup d’arrêt à la provocation».

    Désolé, mais je ne vois pas en quoi refuser la multiplication à outrance de la publication des caricatures est un pas vers « l’arbitraire ». Tu es idéologique au possible, ici : d’un côté, des hommes meurent pour des choses aussi anodines que ces caricatures, attaquent des ambassades, remettent en question la coopération européo-moyen orientale, et on parle là de chose très concrètes. De vies, directement ou indirectement, remises en question.

    Ce à quoi tu me rétorque qu’en Occident, le risque est la censure. Alors même que dans presque tous les pays européens ces caricatures ont été publiées ? Alors même que tous les responsables politiques, tout en appelant au calme et à la responsabilité éditoriale, expliquent qu’ils ne peuvent contrôler les médias, au principe de la liberté d’expression ?

    Désolé, mais ta peur m’a l’air totalement infondée. Tu défends une hypothétique remise en question à long terme du modèle démocratique, je défends des relations diplomatiques et humaines quotidiennes et concrètes.

    Sur la démocratie : tu dis qu’il n’y a pas un type de démocratie. […] Lorsque je parle de démocratie, c’est donc bien dans le sens de doctrine politique.

    Et pourtant, si la liberté d’expression est effectivement un trait commun à toutes les démocraties, il varie suivant les pays. Encore une fois, la Grande-Bretagne a revu en profondeur son approche de la liberté d’expression : bien qu’étant un principe fondamental de la démocratie, il peut être amené à être remis en question, même dans l’une des plus vieille démocratie (la plus vieille ?) du monde.

    La liberté d’expression varie selon les démocraties, car elles la tolèrent plus ou moins bien. Par exemple, en Malaisie, elle est presque nulle, et pourtant, c’est une démocratie; comme quoi les buts à atteindre son peut-être plus importants que sa structure.

    Que tu te réfères à la doctrine politique ne fait qu’ajouter au seul angle théorique sous lequel tu prends ce sujet : peu me chaut la doctrine politique – dans cette discussion du moins -, seule la pratique est à discuter. Assez d’idéologie, et un peu plus de sens des responsabilités.

    Par ce que tu compares des pratiques incomparables et pour être clair sur ce sujet : ma réprobation du relativisme culturel porte exclusivement sur la violation des libertés fondamentales, telles que le respect de l’intégrité physique, la liberté d’expression ou encore l’égalité homme-femme. Après, si une religion veut considérer les vaches comme sacrées, c’est son droit le plus strict.

    Justement : en Inde, des hommes meurent de faim à côté de vaches grasses. Sous prétexte d’un relativisme culturel, on n’ose pas attaquer ces pratiques ancestrales à justification religieuse. Je combatterai autant que je le peux ce relativisme culturel, qui a pour conséquences concrètes des morts d’hommes en Inde, mais aussi une négation de la culture chrétiano-occidentale. Mais tout cela n’était pas explicite dans message, je le reconnais 🙂

    Je pense qu’on a beaucoup en commun sur nos positions : l’importance des valeurs, le respect d’autrui, la reconnaissance de la fragilité de tout cela… Seulement, je ne peux m’empêcher de voir dans l’agitation autour de cette affaire une manipulation sans précédents. J’en veux pour preuve les révélations du Figaro sur le mensonge des Imams danois aux responsables maghrébins et syriens.

    Je ne peux m’empêcher de voir dans toute cette agitation un écho du 11 septembre… et la même folie vindicative et revendicatrice qui ont suivies le désastre new-yorkais.

    Mais le monde irait encore plus mal, cher Christoph, si des interdits religieux, quels qu’ils soient, avaient force de loi dans les démocraties. Pourquoi donc ne pas réhabiliter le Saint Office dans une version oecuménique? Comme ça, on ne choquerait plus personne…

    Attention avec Christoph (enfin, je pense qu’il faut dire elle, ‘spèce de trouillarde !!!).

    Tu sais, je suis athée (enfin, plutôt agnostique). Et malgré cela, la facilité avec laquelle on tourne en dérision les prêtres – tous coupables de pédophilie, ie – me choque. Et ça, c’est aussi le résultat d’une liberté d’expression en surchauffe : la nécessité de trouver des coupables, la médiatisation à outrance d’actes isolés, etc. Pourquoi ? Parce que les journalistes s’asseyent sur leur éthique, deviennent des media workers et non plus des journalists.

    Et à mon avis, c’est exactement ce qui se passe dans cette affaire : une surmédiatisation accompagnée d’une instrumentalisation de part et d’autre. Et je constate que les réactions sont aussi émotives dans les régions à haute liberté d’expression quand dans les régions qui en sont dénuées : à se demander ce que nous apporte cette liberté, parfois… :/ Enfin, si je me pose cette question, c’est tout de même parce que j’ai grandi de ce côté-ci de la barrière.

  11. toño

    « La liberté d’expression varie selon les démocraties, car elles la tolèrent plus ou moins bien. Par exemple, en Malaisie, elle est presque nulle, et pourtant, c’est une démocratie; comme quoi les buts à atteindre son peut-être plus importants que sa structure »

    En Colombie on te la laisse qu’une fois … en général t’as pas le temps de la prendre une deuxième fois la liberté.
    Je suis aussi d’accord de croire que derrière tout ça il y a une bonne part de manipulation bête et méchante et comme je le dis, je crois que le débat devra plus se centrer sur la question de respect que de liberté, car il me semble (désolé Yann) qu’en Europe on ne manque pas de liberté d’expression. On manque surtout de respect vis à vis des autres civilisations. On est vraiment en train accomplir la prophétie de Huntington en croyant qu’on est les meilleurs. (en passant Jc, laisse les vaches d’Inde tranquille, s’ils pensent que c’est une réincarnation de dieu c’est leur droit aussi…)

    « Tu sais, je suis athée (enfin, plutôt agnostique). Et malgré cela, la facilité avec laquelle on tourne en dérision les prêtres – tous coupables de pédophilie, ie – me choque. Et ça, c’est aussi le résultat d’une liberté d’expression en surchauffe : la nécessité de trouver des coupables, la médiatisation à outrance d’actes isolés, etc. »
    Et si c’était vrai? moi les prêtres coupables de pédophilie je les pendrais!!! pas plus pas moins! Et je trouve qu’on en parle pas assez…

  12. Yann

    Mais le monde irait encore plus mal, cher Christoph, si des interdits religieux, quels qu’ils soient, avaient force de loi dans les démocraties. Pourquoi donc ne pas réhabiliter le Saint Office dans une version oecuménique? Comme ça, on ne choquerait plus personne…

  13. Christoph B.

    Pour une fois je suis absolument d’accord avec Psykotik.
    Liberté d’expression, oui, mais en respectant les valeurs fondamentaux des autre. Si le monde va mal aujourd’hui, c’est parce que la majorité d’individus, se prétendant évolués, piétinent les valeurs moraux des autres, réprésentés par leur croyances.
    Même s’il faut le dire, bien sûr, que les individus nés au nord, ont une certaine supériorité pouvant être mesurée à leur taille.

    Chistoph B.

  14. Yann

    Mais bien sûr que je considère la liberté d’expression comme relative. Je vais me répéter : « elle n’est pas absolue, puisque je place la barrière de l’incitation à la haine et à la violence. »

    Tu écris que « dès que tu acceptes le principe d’une limite, il faut discuter de cette limite » : mais c’est exactement ce que nous faisons ici depuis plusieurs billets, très cher… Alors ce n’est pas un « tabou » que l’on ne pourrait remettre en question, seulement il faut à un moment fixer des critères, une frontière entre ce que l’on accepte ou non.

    Car ce n’est pas parce que je reconnais une limite à la liberté d’expression, que je considère cette limite comme indéfiniment extensible. Je place le curseur de la restriction de la liberté d’expression à un endroit précis, celui de l’incitation à la haine et à la violence. Et ce n’est pas parce que « cela me fait plaisir », mais par conviction et par un attachement indéfectible à une liberté non pas individuelle, mais collective : la liberté d’expression est valable pour tous, en tous temps, et le fait de pouvoir débattre et s’opposer, sur tous les sujets y compris provocateurs, est la garantie du bon fonctionnement démocratique. Cette liberté permet l’insertion de tous les points de vue dans le système et offre la possibilité aux minorités de se faire entendre. Constituant en cela une protection de ces minorités.

    Alors quelles peuvent être les conséquences négatives d’une limitation supplémentaire de la liberté d’expression ? Elles sont nombreuses… En limitant la parole et en renonçant à la critique pour une catégorie particulière, religieuse ou politique, on fait tache d’huile : d’autres communautés, d’autres groupements vont réclamer la même exception. Il sera très vite impossible alors de jeter un regard critique et ironique sur les diverses institutions religieuses, les partis politiques et pour finir les autorités. L’on ne pourra alors relayer que ce qui fait consensus, ce qui arrange et fait plaisir. De là à la propagande, il n’y a qu’un pas… Et une société dépourvue de l’arme de l’ironie tombe vite dans l’arbitraire, car le contrôle démocratique assuré par la liberté d’expression fait défaut.

    Un « coup d’arrêt à la provocation » cela signifie, par exemple, une menace sur les Guignols de l’info, de Charlie hebdo, du Canard enchaîné. Or ce type de parole assure justement le contrôle démocratique dont je parlais plus haut. Pouvoir critiquer les autorités, politiques, militaires ou religieuses, constitue un rempart indispensable à l’arbitraire : nous sommes en droit, et en devoir, de remettre en cause ces institutions qui gouvernent les Hommes censément pour leur bien. Donc, pour répondre à ta question, oui j’ai peur pour la démocratie lorsqu’on parle de brider la liberté d’expression et de « donner un coup d’arrêt à la provocation».

    Sur la démocratie : tu dis qu’il n’y a pas un type de démocratie. C’est vrai et c’est faux. C’est vrai lorsqu’on parle des modèles démocratiques (démocratie représentative, démocratie libérale..) et des systèmes politiques (présidentiel, parlementaire, majoritaire, proportionnel…). C’est faux en revanche lorsqu’on parle de la démocratie comme doctrine politique : la démocratie est un type particulier d’organisation de la société, fondé sur la souveraineté du peuple et impliquant le respect des libertés fondamentales, l’état de droit… En ce sens, le coeur de la démocratie reste le même et fonctionne selon les mêmes principes fondamentaux partout : on retrouve des traits communs au système démocratique aux Etats-Unis, en France, au Japon ou en Inde. La démocratie est donc bien un type de système. Après, à chaque peuple, en tant que démos, de choisir le modèle et les formes qui lui conviennent le mieux. Lorsque je parle de démocratie, c’est donc bien dans le sens de doctrine politique.

    Sur le relativisme culturel : la cohabitation en France n’a rien à voir là-dedans… Il y a bien eu une tolérance coupable pour des pratiques indignes de la part des intellectuels et leaders de la gauche française sous l’ère Mitterrand, au nom du multiculturalisme.. Voir à ce sujet les nombreuses interventions d’Elisabeth Badinter dans le débat public.
    Par ce que tu compares des pratiques incomparables et pour être clair sur ce sujet : ma réprobation du relativisme culturel porte exclusivement sur la violation des libertés fondamentales, telles que le respect de l’intégrité physique, la liberté d’expression ou encore l’égalité homme-femme. Après, si une religion veut considérer les vaches comme sacrées, c’est son droit le plus strict. Et je trouve normal, par exemple, de proposer aux Juifs et Musulmans des menus sans porc dans les cantines scolaires. En revanche, des pratiques comme l’excision ou la polygamie sont totalement inacceptables dans les sociétés qui ont fait le choix du respect des libertés fondamentales de l’être humain. Et, pour revenir à notre débat, je n’admets pas de restriction à la liberté d’expression pour des motifs religieux…

  15. jcv

    Je considère la liberté d’expression comme la « mère » des libertés, puisqu’elle est la garante de toutes les libertés. Cependant, elle n’est pas absolue, puisque je place la barrière de l’incitation à la haine et à la violence. En revanche, une fois cette limite placée, dans ce cadre, elle n’est plus négociable.

    Mais ça ne tiens justement pas debout : soit la liberté est négociable et relative, soit elle ne l’est pas. Si tu part du principe qu’elle peut être négociée en cas de « d’incitation à la haine et à la violence », tu acceptes obligatoirement qu’elle soit relative. Et qu’elle peut être remise en question pour d’autres sujets, pour d’autres problèmes : il ne peut plus être tabou, puisque toi-même tu la remets en question, de la questionner.

    C’est exactement le contraire avec la torture : c’est l’un des rares droits absolus. Rien ne peut justifier, du moins dans une société démocratique occidentale, d’avoir recours officiellement à de telles pratiques.

    Tu ne peux placer la barrière là où tu le veux; soit elle existe, soit elle n’existe pas. Mais elle ne peut exister juste pour te faire plaisir, ou juste pour faire passer ce dont tu as envie. Dès que tu acceptes le principe d’une limite, il faut discuter de cette limite.

    Pour ma part, je place cette limite dans la provocation gratuite; ce que le journal danois n’a pas fait, mais ce que les autres médias européens ont fait.

    ces conséquences négatives portent sur les fondements mêmes du système qui régit nos sociétés, en Occident, à savoir la démocratie.

    Concrètement, elles sont où ces conséquences négatives ? Tu as peur pour la démocratie, mais pourquoi ? Quel est le problème avec un coup d’arrêt à la provocation ?

    oui, je défends aussi la démocratie comme un but : c’est dans ce système que je veux vivre et c’est ce système que je considère comme le meilleur. Jusqu’à, du moins, ce que l’on m’en présente un autre encore meilleur.

    La démocratie a pour but l’entente et le respect entre les individus, et l’accès au bonheur de ses citoyens. Tu confonds à mon sens contenu et contenant : pour preuve, il n’y a pas un type de démocratie, mais autant de démocraties – ou presque – qu’il n’existe de pays démocratiques. Il n’y a pas un moyen de vivre ensemble, mais d’innombrables.

    Les caricatures antisémites représentant les Juifs avec un pénis à la place du nez ou moquant les génocides (en général) constituent en effet un appel à la haine, totalement inacceptable. Ce que ne sont pas les caricatures de Mahomet.

    On ne sait pas encore ce que va donner « l’appel d’offre » à la caricature des Iraniens, mais je suis aussi circonspect que toi. Quoique, je suis récemment tombé sur des caricatures d’Al-Jazeerah plutôt bien faite. Bon, le sujet est relativement éloigné du négationnisme; mais évitons toutefois *pour l’instant* le procès d’intention.

    Vivre dans « un village global » (bien que je ne sois pas persuadé de cette dernière réalité) ne signifie pas au nom du multiculturalisme accepter toutes les valeurs. Je m’oppose en effet au relativisme culturel lorsqu’il s’agit de droits humains fondamentaux.

    Je ne sais pas si c’est censé être une opposition à ce que je pense, mais si c’était le but c’est exactement ce que j’ai écris sous « De la relativité culturelle ».

    J’ajoute que rien ne m’a jamais plus énervé que tout le relativisme culturel autour de l’excision, autour de la sainteté des vaches dans l’hindouïsme, etc. Mais il ne me viendrait pas à l’idée de me lancer dans un choc frontal, international, avec les pays pratiquant ces choses barbares.

    La gauche française a d’ailleurs, il y a une vingtaine d’années, commis cette même erreur de transiger avec des principes fondamentaux au nom du multiculturalisme. S’en sont suivies en France quelques années de tolérance coupable pour des pratiques indignes s’en prenant aux femmes, comme la polygamie et des maltraitances physiques et morales.

    Je ne sais pas si c’est la gauche française; je crois que c’est avant tout le contre-coup de Mai 68. Après tout, durant le règne de Mitterand, la droite a plus souvent été aux affaires que la gauche, non ?

    Pour résumer : Dieu soit se soumettre à la République.

    Je reconnais bien là ton sens de la formule. Ne l’aurais-je pas lu déjà quelque part ? 🙂

    Laisse-moi ajouter : c’est à la République de se soumettre au bon sens de l’Homme.

  16. jcv

    C’est amusant de te voir si intrisangeant avec un principe. J’aimerais que tu m’expliques deux choses :

    1/ Pourquoi la défense de ce principe, que tu reconnais comme n’étant pas absolu (bien que t’affirmes que « je fais de la liberté d’expression une liberté fondamentale et non négociable », j’ai de la peine à suivre), est-il si important ici ? Doit-on faire passer les conséquences après les principes ?

    2/ Quelle est la différence, au vu de ce que j’ai expliqué, entre l’appel à la caricature de l’holocauste et la caricature de Mahomet ? Ne me dis pas que dans le premier cas c’est un appel à la violence, il suffit de lire comment David Irving fait appel (faisait appel) aux mêmes principes.

    Pour le reste :

    Je rappelle juste, par ailleurs, que personne n’a imposé à des journaux arabes de reprendre ces caricatures et que celles-ci ont été publiées dans des pays occidentaux, reconnaissant comme principe fondamental la liberté d’expression.

    Je n’ai pas parlé de manière gratuite du « village global ». Les conséquences de la mondialisation sont qu’on ne peut dire « on fait ce qu’on veut chez nous ». Lorsque des gens sont condamnés à mort aux USA, les Européens font du lobbying, lorsque des femmes excisées au Nigéria, ils font des actions coup-de-poing. Ne le vois-tu pas ? On est sur le même bateau. On vit ensemble. Et si on a certains principes différent, parce qu’on est embarqué sur la même – parfois – galère, il faut développer des règles communes : le chacun chez soi est terminé, pour le pire comme pour le meilleur.

    « l’image d’Européens qui [considèrent cette] civilisation comme inférieure et […] lui [dénient] le droit à l’existence ». Tu renverses le sens de ma phrase de façon inacceptable.

    Euh, je crois qu’ici il y a confusion; je ne voulais en aucun cas travestir ta pensée ! Je voulais utiliser ta phrase uniquement pour te répondre. Désolé que ça ait donné cette impression, c’était maladroit de ma part.

    Et il faudrait ne plus ouvrir la bouche, ne plus rien critiquer, ne plus ironiser, de peur de froisser telle ou telle communauté quelque part dans le monde ?

    Encore une fois, tu parles de principes, moi je parle de pragmatisme. Je crois qu’effectivement, en ce moment, il vaut mieux ne pas jeter de l’huile sur le feu. Je ne dis pas qu’il faut renoncer à la liberté d’expression.

    Je suis étonné que l’affaire autour de Timsit et des trisomiques n’ait pas déclenché les mêmes appels vibrants à la défense de liberté d’expression. Je ne parles pas de toi, car je suis sûr que tu serais resté cohérant et sur la même ligne. Je dis en général.

    Encore une fois, nos démocraties ne sont pas fondées sur des principes religieux.

    Ca c’est toi qui le dit. Laïcité ne veut pas dire gommage de l’héritage chrétien : il suffit de prendre la constitution suisse… Les pays à être allé le plus loin en Europe dans la sécularisation sont la France et la Turquie; dans les autres, les racines sortent ostentatoirement du sol.

    Je pense que tous les peuples, quelles que soient leur religion et leur culture, ont envie de s’exprimer et de pouvoir critiquer. La culture arabe a une longue tradition de la satire, utilisée aujourd’hui comme arme politique par des opposants à certains régimes arabes autoritaires. Et il suffit de lire « La démocratie des autres », d’Amartya Sen, pour se rendre compte que le principe du débat public n’est pas un concept seulement occidental.

    Mais bon sang, je suis d’accord avec tout ça, crénom de nom !

  17. Yann

    Admin : j’ai effacé ton message, mais n’hésite pas à l’effacer toi-même si l’envie t’en prend : tu as la possiblité, en tant qu’inscrit, de modifier ou effacer ton message durant 1h !

    (Double envoi,mais cette version là est la bonne)

    Bon, je vais clarifier ma pensée :

    – Je considère la liberté d’expression comme la « mère » des libertés, puisqu’elle est la garante de toutes les libertés. Cependant, elle n’est pas absolue, puisque je place la barrière de l’incitation à la haine et à la violence. En revanche, une fois cette limite placée, dans ce cadre, elle n’est plus négociable.

    – Ce n’est pas que je ne prends pas en compte les conséquences, au contraire : je considère que transiger avec ces principes fondamentaux comporte des conséquences bien plus importantes et dangereuses que des manifestations (par ailleurs politiquement exploitées) et l’incendie de l’ambassade du Danemark. Car ces conséquences négatives portent sur les fondements mêmes du système qui régit nos sociétés, en Occident, à savoir la démocratie. Car, oui, je défends aussi la démocratie comme un but : c’est dans ce système que je veux vivre et c’est ce système que je considère comme le meilleur. Jusqu’à, du moins, ce que l’on m’en présente un autre encore meilleur.

    – Les caricatures antisémites représentant les Juifs avec un pénis à la place du nez ou moquant les génocides (en général) constituent en effet un appel à la haine, totalement inacceptable. Ce que ne sont pas les caricatures de Mahomet.

    – Vivre dans « un village global » (bien que je ne sois pas persuadé de cette dernière réalité) ne signifie pas au nom du multiculturalisme accepter toutes les valeurs. Je m’oppose en effet au relativisme culturel lorsqu’il s’agit de droits humains fondamentaux. La gauche française a d’ailleurs, il y a une vingtaine d’années, commis cette même erreur de transiger avec des principes fondamentaux au nom du multiculturalisme. S’en sont suivies en France quelques années de tolérance coupable pour des pratiques indignes s’en prenant aux femmes, comme la polygamie et des maltraitances physiques et morales.

    – Je défends Timsit comme je défends les caricatures danoises.

    – « il vaut mieux ne pas jeter de l’huile sur le feu » : c’est justement quant les valeurs fondamentales sont menacées (y compris par certaines élites occidentales), qu’il faut défendre ces mêmes valeurs en les réaffirmant avec force.

    – Effectivement, laïcité ne signifie pas gommage de l’héritage chrétien. Je reconnais cet héritage qui imprègne le continent où je suis né. Cela ne m’empêche pas pour autant de me déclarer athée, ni de défendre la laïcité. Cette dernière ne signifie pas effacer les identités des uns et des autres : elle signifie que ce ne sont pas les principes religieux des uns ou des autres qui gouvernent la République. C’est pour cela que j’affirme que les dogmes d’une religion, quelle qu’elle soit, n’ont pas à supplanter des libertés fondamentales. Pour résumer : Dieu soit se soumettre à la République.

  18. Yann

    Bon, je ne suis d’accord avec rien de ce que tu as écrit… Voici quelques éléments de réponse, en bref :
    – Je ne « combats » personne.
    – Je n’ai jamais dit que la liberté d’expression était absolue, puisque je lui mets une barrière : l’incitation à la haine et à la violence. Mais c’est en effet la seule borne que j’admets à cette liberté fondamentale, garante de toutes les autres libertés.
    – « qui sommes-nous pour dicter quelles valeurs sont bonnes ou moins bonnes ? » Je n’ai jamais dit que le monde arabo-musulman devait reprendre les valeurs occidentales. Je rappelle juste, par ailleurs, que personne n’a imposé à des journaux arabes de reprendre ces caricatures et que celles-ci ont été publiées dans des pays occidentaux, reconnaissant comme principe fondamental la liberté d’expression.
    – « Je ne vois pas comment ce comportement peut être perçu comme étant autre chose que de l’arrogance.» Constat étonnant… Je ne vois pas en quoi défendre, en Occident, les valeurs fondatrices de la démocratie est arrogant. Et il faudrait ne plus ouvrir la bouche, ne plus rien critiquer, ne plus ironiser, de peur de froisser telle ou telle communauté quelque part dans le monde ? Il faudrait ne plus défendre les principes fondamentaux de tolérance vis-à-vis de toutes les opinions, sous prétexte de contrarier l’une de ces opinions ? Eh bien, je refuse, quant à moi, cette perspective.
    – « l’image d’Européens qui [considèrent cette] civilisation comme inférieure et […] lui [dénient] le droit à l’existence ». Tu renverses le sens de ma phrase de façon inacceptable. Je disais justement le contraire : «railler un prophète, même s’il est censément LE prophète, ou railler Dieu lui-même ne constitue pas un appel à la haine de l’autre. Cela ne signifie pas considérer une civilisation comme inférieure et donc lui dénier le droit à l’existence.»
    – « Nous avons décider de ne pas respecter le sacré, soit; mais nous ne pouvons imposer nos choix au reste du monde :nous ne pouvons imposer nos choix au reste du monde. » Je rappelle encore une fois que ces caricatures ont été produites et diffusées en Occident… Quant à la tentative d’imposer des valeurs, religieuses, je la vois dans l’exigence de certains Musulmans de ne pas « blasphémer le Prophète » dans nos journaux. Encore une fois, nos démocraties ne sont pas fondées sur des principes religieux.
    – Je vois pour ma part dans la démocratie bien plus qu’un simple moyen. Et elle constitue encore, à notre stade d’évolution politique, un but. Notamment par le développement de la démocratie participative.
    – « Je crois à la supériorité occidentale de nombreuses valeurs, dont la liberté d’expression. » Eh bien pas moi : si je fais de la liberté d’expression une liberté fondamentale et non négociable, je n’y vois pas une « supériorité occidentale ». Je pense que tous les peuples, quelles que soient leur religion et leur culture, ont envie de s’exprimer et de pouvoir critiquer. La culture arabe a une longue tradition de la satire, utilisée aujourd’hui comme arme politique par des opposants à certains régimes arabes autoritaires. Et il suffit de lire « La démocratie des autres », d’Amartya Sen, pour se rendre compte que le principe du débat public n’est pas un concept seulement occidental.

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