Matrix Reloaded

On peut souvent entendre que pour connaître la qualité d’un homme, il faut voir ce qu’il a dans le pantalon. Ca choque, et pourtant on a l’habitude de faire la même chose avec les films, et de regarder ce qu’ils ont dans les effets spéciaux.

De ce côté-là, Matrix Reloaded se rapproche des tous grands, car le seul poste « SFX » dans la rubrique comptable est griffonné d’un $100’000’000. Ahem, il y a parfois des choses indécentes en ce bas monde.

La suite de l’équivalent des chocs pétroliers des années 70 dans le cinéma était, il faut l’avouer, déjà condamnée avant sa sortie. Au contraire de ce qu’on pouvait entendre après l’une des autres trilogies, Lord of the Rings (LOTR), peu s’attendaient à être aussi émerveillés avec la séquelle du révolutionnaire Matrix. Il faut dire que le premier volume avait déclenché un raz-de-marée, que le temps nous permettra de comparer ou nom avec la troisième grande trilogie de ce début de siècle, j’ai nommé Star Wars.

La triple comparaison n’est pas ici gratuite : chaque triptyque contient une proportion ahurissante d’effets spéciaux, chacun a une cohorte de zélés fidèles, chacun se veut comme une oeuvre majeure de cinéma.

Mais la relation s’arrête à cela, du moins avec Star Wars; peut-être parce que ce dernier est déjà la suite d’une autre trilogie, ce sont bien les premiers épisodes de LOTR et de Matrix qui ont déchaînés les foules et accessoirement fait couler beaucoup d’encre. Les deux (trois) réalisateurs ont fait le choix de sortir les deux derniers épisodes à une très courte échéance. Mais poussant la scission plus loin, Matrix se veut a connotation philosophique, et LOTR seulement contemplatif.

Matrix première mouture fût une innovation technique sans précédent dans le monde de l’info-cinéma et dans l’esthétique cinématographique. Utilisant une technique française, précédemment testée dans un clip de Daft Punk, les 360° virtuels se sont incrustés dans nos rétines, mais dans nos consciences aussi. De nombreux films y feront référence, l’utiliseront, la parodieront. L’esthétique elle-même, d’un teint verdâtre, les combats, intronisant enfin les cascades hong-kongaises et ouvrant la grande porte à une multitude de films de genre (notamment Tigres et dragons), bref, détracteurs ou amateurs, il faut avoir l’honnêteté de l’avouer, quelques furent les défauts de Matrix, il y eu un avant, il y eu un après. Ce qui prétendent le contraire sont aveuglés par un idéologie boiteuse, et se mentent à eux-mêmes.

Malheureusement, le deuxième opus se révèle une copie en ce qui concerne l’esthétique, ou l’innovation technique. Les frères Wachowski se reposent sur leurs lauriers ? Peut-être, mais au moins ils gardent une certaine cohérence avec leur premier film. Les cascades sont identiques, les combats pareils, sauf peut-être que le super-héros Neo peut maintenant voler; il ne lui manque plus que les collants et la cape rouge, et la ressemblance est telle que je me suis vraiment attendu à le voir faire tourner la Terre, pour remonter dans le passé… à la mort de sa douce. Ce n’est pas une attaque gratuite, je l’ai vraiment pensé (bien qu’un court instant), vu le nombre énorme de clins d’oeils (hommages, diront certains) faits à quantité d’autres films.

L’échec principal de Matrix 2, c’est de ne pas avoir su nous faire oublier la première édition. Nous n’attendions pas de nouvelles techniques à couper le souffle, mais nous rebâcher ad nauseum les mêmes combats, les mêmes effets à tout bout de champs, c’en est réellement lassant. A certains moments, on ne comprend même plus pourquoi les protagonistes se battent, si ce n’est pour faire (beaucoup) bosser les boîtes de SFX. La scène où Neo se bat face à l’armée d’agents Smith aurait pu être délectable (et tendre vers un Being John Malkovitch), mais elle est bêtement longue. C’est simple, le film dure plus de 2h, et les bons deux tiers sont consacrés aux bagarres. Pour un peu, on en regretterait Bruce Lee.

Matrix provoquait un certain vertige le long du film, au fil de la découverte du scénario, on attendait avait angoisse, le coeur palpitant, la bouche sèche et le cerveau bouillonnant les choix que ferait Neo. Non pas le simple choix d’une pilule viagra ou amphétamine, mais celle d’assumer sa condition, d’accepter ce qu’il est. Le spectateur se fondait dans l’écran, vivait intensément les dédales empruntés par Thomas Anderson. On était laissé dans le flou. On se laissait aller à des réflexions sur le déterminisme ou sur le volontarisme de la vie, sommes-nous plus que la simple addition de nos atomes, y a-t-il quelque chose de plus en l’être humain qu’en l’animal (in extenso la machine). On pouvait se livrer à une véritable réflexion philosophique, bien que dépassant très rapidement le cadre le film, qui ne faisait que donner des pistes.

Du moins, jusqu’à ce que LE choix soit fait, celui d’être le sauveur de l’humanité, où là, de toute manière, le héros à l’écran n’avait décidément plus rien de commun avec le quidam, capable de trancher à mains nues le béton comme d’autres cassent des biscottes.

Dans Matrix reloaded, bien que Neo ait de nouveaux super-pouvoirs, il va être ramené à sa condition humaine; il n’est à nouveau rien d’autre qu’un pion sur l’échiquier, et bien qu’étant le Roi (je dirais plutôt la Reine, vu à la vitesse où il est capable de se déplacer), il fait partie d’un plan bien rôdé. Et bien que n’ayant rien de commun avec Patrick McGohan, il est le sixième Roi a être élu. Jusque-là, le film était un plaidoyer du libre-arbitre, qui semble ici trouver sa fin, Neo n’étant qu’une équation, chaotique peut-être, mais prévisible tout de même. On se demande alors comment le chaos peut être prévu, puisque par définition il est hors de tout calcul; mais l’oracle (Gloria Foster), qui défiant toute prévision ne tournera pas le troisième épisode de Matrix (la vie l’ayant quitté), est un facteur chaotique introduit au sein même de la matrice, chargée de ramener les brebis égarées dans le droit chemin. Le problème avec ce genre de plat pré-cuit, c’est qu’on peut le reservir à toutes les sauces, et même le dernier choix de Neo, consistant à risquer la vie de la race humaine pour la vie de l’être aimé, pourrait être réchauffé par la suite en explicant que ce choix aussi, était prévu. Ce type d’explication met le doigt dans un engrenage aux rouages grinçants, qu’il faut savoir manier avec toute l’huile nécessaire. Et mettre trop d’huile (trop justifier l’explication), c’est risquer de déraper sur sa propre flaque.

Trève de métaphores, le film recèle quelques bonnes idées au final, mais il est bien en dessous de son prédécesseur; aux images dantiennes des champs d’humains qui, tels des épis de maïs, se faisaient cultiver par des machines, sont venues les remplacer des images plates, sans inspiration, de Zion, la ville qui dans la bouche de Morphéus sonnait comme une nuit étoilée, remplie d’espoir. Quelques images d’une rave partie assez bien fichue, très sensuelle mais n’atteignant pas la qualité de celle de Blade, un centre de contrôle pour spationefs très épuré, cela fait assez peu à se mettre sous la dent. Il faut l’avouer, le film est tellement rempli de combats, que cela ne peut pas laisser prendre racine à un scénario.

Malgré tout, le rythme est assez soutenu, le suspense bien présent, ce qui rapproche Matrix deuxième du nom beaucoup plus d’un Die Hard, que de sa propre préquelle. On ne s’ennuie pas (hormis la scène avec les 1001 agents Smith, à laquelle il faut peut-être rajouter celle du combat à l’arme blanche avec les sbires de Merovingian), mais il manque quelque chose pour en faire plus qu’un film kleenex. Quelque chose que possédait la première mouture, mais qui fait assurément défaut dans sa suite.

Alors voilà, bien des portes restent ouvertes pour le futur Matrix Revolutions : qu’est-ce qui fait disjoncter l’agent Smith et son nouveau pouvoir, qui était Merovingian, qui a conçu l’architecte, quel est ce sombre type qui a tenté de tuer Neo et qui est sorti vivant de Zion, etc. Le terrain a été décapé à la soude caustique, cette fois-ci, pour l’épisode suivant. Un scène démontrant, à mon avis, le peu d’intérêt qu’on eu les frères Wachowski pour ce film : la scène finale, absolument ridicule et totalement incontrôlée. Neo, dans le coma, et tout le monde s’en fout. On veut nous faire croire qu’il est dans un état critique, mais aucun moyen (ni la musique, ni le jeu d’acteur, ni les plans faits par la caméra), n’est mis en oeuvre pour tenter de nous faire ressentir la plus petite émotion. On sait qu’il va se réveiller, il n’y a aucun doute; pourquoi cette scène, alors ?

La réponse était déjà dans les dialogues, revenant à plusieurs reprises dans le film : « on fait d’abord le film, et on se pose la question du pourquoi plus tard ». (dialogue à peine modifié)

Dommage, car en travaillant le film un peu plus, en faisant moins de remplissages, les frères Wachowski auraient pu rentrer dans la légende avant même que trop d’eau n’ait coulée sur les ponts.

(message original du 03-11-2003 @ 01:56:01)

Cette publication a un commentaire

  1. jcv

    Autant préciser, on m’avait prévenu que la vision du troisième opus allait changer quelque peu mon avis. Je n’en croyais pas un traître mot, mais rien n’y fit, mon opinion changea.

    Parce que je ne vais pas faire une critique du dernier volet, autant conseiller une très bonne critique effectuée par mon copain s427 et notre ami Fred.

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