L'Irak face à la guerre civile : "je vous l'avais bien dit"
Posted: Fri Jan 06, 2006 1:36 pm
Article de l'Humanité, du jeudi 20 Mars 2003
" L'arrogance du pouvoir "
par Robert Byrd (*)
" Je crois en ce magnifique pays. J'ai étudié ses racines et glorifié la sagesse de sa fantastique Constitution. J'ai été émerveillé par la sagesse de ses pères fondateurs. Génération après génération, les Américains ont compris les idéaux élevés qui sous-tendent notre grande République. J'ai été inspiré par l'histoire de leur sacrifice et de leur force.
Mais, aujourd'hui, je pleure pour mon pays. J'ai regardé les événements des mois passés avec le cour très lourd. L'image forte d'une Amérique n'est plus. A travers le monde, nos amis ne nous font plus confiance, nos paroles sont contestées, nos intentions mises en cause.
Plutôt que de raisonner avec ceux qui étaient en désaccord, nous avons exigé allégeance ou menacé de représailles. Au lieu d'isoler Saddam Hussein, nous avons semblé nous isoler nous-mêmes. Nous proclamons une nouvelle doctrine "préventive" qui est comprise par peu et redouté par beaucoup. Nous disons que les Etats-Unis ont le droit de diriger sa puissance de feu dans n'importe quel coin du globe qui pourrait apparaître comme suspect dans la guerre contre le terrorisme. Nous affirmons cela juste sans l'accord d'aucune instance internationale. Résultat, le monde est devenu un endroit bien plus dangereux.
Nous faisons étalage de notre statut de superpuissance avec arrogance. Nous traitons les membres du Conseil de sécurité comme des ingrats qui offensent notre dignité princière en relevant la tête. Les alliances ont explosé. Après la guerre, les Etats-Unis auront à reconstruire bien plus que l'Irak. Nous aurons à reconstruire l'image des Etats-Unis à travers le monde.
La démonstration que l'administration essaie de faire afin de justifier sa fixation sur la guerre est teintée de documents ou charges falsifiés ou de circonstance. Nous ne pouvons pas convaincre le monde de la nécessité de cette guerre pour une raison très simple. C'est une guerre de convenance.
Il n'existe aucune information crédible concernant le lien entre Saddam Hussein et le 11 septembre. Les tours jumelles sont tombées à cause d'un groupe terroriste international, al Qaeda, avec des cellules dans soixante pays, qui s'en est pris à notre richesse et notre influence en transformant nos avions en missiles.
La brutalité du 11 septembre et d'autres attaques terroristes dont nous avons été témoins à travers le monde sont autant d'efforts violents et désespérés pour arrêter l'empiétement quotidien des valeurs occidentales sur leurs cultures. Voilà ce que nous devons combattre. C'est une force qui n'est pas confinée par les frontières. C'est une entité fantôme avec beaucoup de visages, de noms et d'adresses.
Mais, cette administration a dirigé toute la colère, la peur et la douleur qui ont émergé des cendres des Twin Towers vers un scélérat concret que l'on peut voir, haïr et attaquer. Et c'est un scélérat. Mais c'est le mauvais scélérat. Et c'est une mauvaise guerre. Si nous attaquons Saddam Hussein, nous le retirerons probablement du pouvoir. Mais le zèle que nos amis ont mis dans la guerre globale contre le terrorisme s'est déjà peut-être envolé.
Le malaise général qui entoure cette guerre n'est pas seulement dû à l'"alerte orange" (niveau d'alerte décrétée par le gouvernement américain- NDLR). Il y a un envahissant sens du risque et de la précipitation et trop de questions sans réponses. Combien de temps resterons-nous en Irak ? Quel en sera le coût ? Quelle est la mission fondamentale ? Quelle est la réalité du danger chez nous ? Un voile est tombé sur le Sénat. Nous évitons de débattre - pourtant, notre charge solennelle - du seul sujet que les Américains ont à l'esprit, même lorsque des milliers de nos fils et filles font fidèlement leur boulot en Irak.
Que se passe-t-il dans ce pays ? Quand sommes-nous devenus une nation qui ignore ses amis ? Quand avons-nous décidé de prendre le risque de miner l'ordre international en adoptant une approche doctrinaire de l'utilisation de notre imposant pouvoir militaire ? Comment pouvons-nous abandonner les efforts diplomatiques alors que la confusion dans le monde appelle de la diplomatie ? Pourquoi ce président semble ne pas voir que le véritable pouvoir de l'Amérique réside, non pas dans la volonté d'intimidation, mais dans sa capacité à inspirer ?
La guerre apparaît inévitable. Mais je continue d'espérer que les nuages vont se dissiper. Peut-être Saddam va tourner le dos et s'enfuir. Peut-être la raison va encore prévaloir. Je suis avec ces millions d'Américains qui prie pour que nos troupes et les innocents civils en Irak soient sains et saufs et pour la sécurité de notre territoire. Puisse Dieu continuer à bénir les Etats-Unis d'Amérique dans les jours troubles qui vont venir et puissions-nous retrouver la vision qui pour l'instant nous échappe. "
(*) Sénateur de l'Etat de Virginie-Occidentale. Doyen du Congrès américain.