Donner de l’espoir balle au pied aux prisonniers

(cet article est paru dans Echo Magazine)

« La prison fabrique […] des délinquants en imposant aux détenus des contraintes violentes », écrivait Foucault. Dans ce cas, serait-il possible de renverser le processus pour fabriquer des individus aptes à être réinsérés sans violence, au moyen du football, par exemple ? Notre regard sur les prisonniers peut-il évoluer et s’accommoder d’un meilleur traitement fourni aux prisonniers ?

Lionel Grassy, directeur de plaidoyer de l’ONG FIACAT (Fédération internationale des Actions des chrétiens pour l’abolition de la torture), s’est mis en devoir d’offrir de l’espoir aux détenus au moyen du football. Il connaît bien le sujet, puisqu’il a visité depuis les années 2000 des dizaines de prisons africaines. Il observe les mêmes possibilités limitées de réinsertion pour les prisonniers sur le Vieux Continent qu’en Afrique : « Dans les langues locales, les termes poubelle, déchet, et toilettes sont synonymes de prisonnier. En Afrique comme en Europe, le détenu est vu comme un membre irrécupérable de la société, marqué au fer rouge par séjour en prison », commence-t-il. « En réalité, la société ne pardonne pas les erreurs commises des détenus », continue Grassy.

Des condamnés, le directeur en a vu défiler toute sa vie. Son travail consiste à s’assurer que les conditions de détention respectent les standards minimaux en matière de droits humains. Il trouve toutefois que son statut d’expert limite ses échanges avec les prisonniers, et vit une expérience fondatrice au Niger, en 2004. Il prend part à un match en prison, et ses relations avec les condamnés changent de nature : « Lors de ce match, les barrières érigées autour des prisonniers, qu’elles soient psychiques ou physiques, sont tombées. Je n’étais plus le coopérant international à leurs yeux, mais l’un des 22 joueurs sur le terrain. J’ai pu, grâce au ballon rond, entrer dans leur vie et apprendre qui ils étaient », s’enthousiasme-t-il. 12 ans plus tard, en République démocratique du Congo, il entend parler d’une partie organisée entre détenus, et décide d’y participer : retrouvant les sensations d’autrefois avec les prisonniers, et aussi plus expérimenté, Grassy décide de fonder séance tenante l’association « La balle au prisonnier » (LaBaP) avec l’un de ses amis. 5 ans plus tard, l’ONG étend son aire d’action de l’Afrique à l’Europe, emploie trois personnes en Côte d’Ivoire, fait jouer 500 enfants dans des programmes pour mineurs et 250 femmes et jeunes filles en Afrique subsaharienne. « Cette activité, malgré l’enthousiasme qu’elle génère, reste difficile à financer ; les donateurs naturels que seraient les stars de foot déclinent nos demandes, les marques qui les soutiennent ne souhaitant pas être associés à l’image de la prison », confie-t-il.

Le travail sur l’image est précisément l’un des objectifs de l’ONG : « En Afrique, en sus des parties de football, nous fournissons des formations aux femmes et enfants emprisonnés pour qu’ils puissent générer des revenus à leur sortie et éviter la récidive. En Belgique, nous organisons des parties de « futsal » (ndlr : football en salle) dans deux prisons avec des footballeurs professionnels et amateurs », détaille l’activiste. « Toutefois, le recrutement de joueurs professionnels reste difficile, car certains refusent de taper le cuir avec « des pédophiles et des violeurs », me répondent-ils. Un jour, un gardien de prison, alors que je lui faisais part de mes difficultés à motiver des joueurs professionnels, me fit remarquer que lors d’une partie de football les joueurs ne s’échangent pas leurs CV. Ils ignorent tout du passé de leurs adversaires ou coéquipiers. Pourtant, peut-être que certains d’entre eux auraient leur place en prison », relate Grassy avec un air narquois.

LaBaP a une règle d’or : ne jamais demander aux détenus pourquoi ils sont enfermés. Ne pas suivre ce principe bouleverserait la nature du comportement des détenus avec leur entourage. « Avec le ballon rond, pendant 90 minutes les prisonniers ne sont plus reclus, mais libres. Ce sentiment puissant leur apporte la force de chercher à s’améliorer. Car la prison est une invention incomplète : bien que l’objectif soit un enfermement temporaire, en réalité, tout est structuré de manière à ne pas donner de seconde chance aux criminels. Or, sans espoir de vie meilleure, la récidive est assurée. » Alors que le taux de récidive en Suisse est relativement bas (15%), il prend l’ascenseur en France (30%) et atteint aux Etats-Unis un plafond élevé (60%).

Grassy estime que l’une des réussites de son organisation est l’engouement du public pour les prouesses techniques des prisonniers footballeurs : « On parle plus souvent de foot que de l’univers carcéral, je pense que cela participe à faire avancer le débat en dédramatisant la prison. » Cette avancé, peut-être la doit-il aussi aux résultats de son équipe belge de futsal, pour laquelle il a acquis une licence amateur : « Dans le cadre de nos activités dans ce pays, nous faisons jouer des personnes en liberté conditionnelle. Je suis obligé de faire les démarches administratives pour faire retirer les bracelets électroniques aux joueurs, mais l’effort est payant. L’année prochaine, nous monterons sans aucun doute en seconde division provinciale », affirme avec confiance le directeur.

Changer la perception du grand public requiert de présenter de manière positive la vie des détenus. C’est pourquoi obtenir des résultats, susciter l’engouement du grand public, s’avère crucial. Certains détenus suivent une formation d’entraîneurs, et de grands clubs belges ont promis d’en engager certains à leur sortie. Les enjeux des parties de football organisées par LaBaP dépassent le cadre sportif et individuel, et influencent le monde politique et social ; mais en a-t-il jamais été autrement pour le sport ?

Les détenus soutenus par LaBaP attendent, eux aussi, le prochain coup franc avec angoisse. Et lorsque leur équipe marque, une intense émotion de libération les envahit : la petite lucarne peut leur ouvrir une fenêtre vers un avenir meilleur.

Cet article a 2 commentaires

  1. Anonyme

    Merci Monsieur d’avoir partagé cette information!
    Il nous faudrait nous associer à son ONG pour soutenir les prisonniers en Suisse. Votre idée m’intéresse!
    Cordialement
    Déo Negamiyimana
    ACAT Vallée de la Jogne/FR

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