Guérisseur, trafiquant d’armes et banquier : entre matériel et spirituel, le parcours hétéroclite de Wilder

A cinquante ans, Wilder Ivan Monteza Hinetrasa n’avait peut-être pas de Rolex au poignet mais il avait déjà eu une vie bien remplie. Banquier, porteur d’affaires pour des trafiquants d’armes, aujourd’hui à soixante ans il est guérisseur au Pérou, dans la ville de Huánuco, située dans les montagnes andines, au centre du pays. Il fait découvrir les vertus électromagnétiques du site archéologique de Kotosh et propose aux visiteurs une guérison spirituelle moyennant finance. « Des ministres péruviens me consultent, et parfois je participe à des exorcismes avec mon fils », fait Wilder d’un sourire en coin. Il ne trouve pas de contradiction à vendre son don en échange de billets : « L’argent que je gagne en tant que guérisseur me permet d’aider autrui. Je ne peux pas devenir riche avec ce métier, mais je ne vois pas pourquoi je refuserais de faire payer mes services ». Sa vie a constamment oscillé entre le monde matériel et spirituel, et il en partage avec moi les contradictions.

Né dans une famille modeste de Lima, il cumule les jobs pour payer sa scolarité. Il souhaite étudier l’économie à l’université, mais son premier enfant arrive alors qu’il n’a que 18 ans. Une histoire classique au Pérou, où aussi bien les hommes et que les femmes sont parent à un âge très jeune. Il travaille dans une banque le jour et vend des sandwichs le soir, et joint les deux bouts pour sa famille. Son père lui parle de son don familial de guérisseur, mais il ne prête guère attention à ces propos : « J’avais d’autres préoccupations, bien plus prosaïques. Les fins de mois n’étaient jamais faciles ». Il commence brièvement l’université, mais il finit par la quitter, faute de moyens. Il travaille dans une banque le jour et vend des sandwichs le soir, et joint les deux bouts pour sa famille.

Wilder Ivan Monteza Hinetrasa tenant un téléphone portableSa vie modeste et routinière prend une tournure inattendue dès 1995 : le conflit frontalier entre le Pérou et l’Equateur le mène à questionner son patriotisme. « Qu’est-ce que je pouvais faire, laisser le Pérou perdre ? J’ai mis en contact des Péruviens avec des responsables gouvernementaux tchèques que je connaissais. Le but était d’obtenir des armes bon-marché de l’ancienne république soviétique, qui avait en réserve de grands stocks à liquider. J’ai fait ce que j’avais à faire ». Wilder se voit comme un homme pragmatique à l’époque, et ne rechigne pas devant la commission juteuse qui lui est proposée. « Le patriotisme ne signifie pas qu’on ne puisse pas correctement vivre », affirme-t-il avec candeur.

Mais les choses ne vont pas se passer comme il le pensait. Wilder doit prendre le maquis et se cacher du gouvernement péruvien, dont un des membres, explique-t-il, l’a dénoncé lors de la saisie d’une cargaison d’armes en Colombie qui transitait pour le Pérou : « On m’a accusé de soutenir les FARC. La radio et la télé ont diffusé mon nom, j’ai dû me cacher des autorités ». Le Péruvien quitte sa banque et commence à faire des affaires, tout en restant dans la clandestinité : « J’utilisais des amis comme prête-nom pour établir les contrats. Ce n’était pas un problème, j’ai toujours eu beaucoup d’amis », se vante-t-il.

La rencontre en 2001 avec le peuple autochtone Shipibos, qui vit dans la Région d’Ucayali, en Amazonie, bouscule ses certitudes. Ses affaires avec une ONG qui souhaite acquérir des terres pour œuvrer à la reforestation, l’amènent à entrer dans la jungle profonde et manger des fourmis pour sympathiser avec ce peuple. Il découvre une autre manière de vivre : « Ils ne sont pas comme toi et moi, les femmes sont nues et montrent leur poitrine. Aucune pudeur chez eux ! », s’esclaffe Wilder. Il reprend avec plus de sérieux : « J’ai découvert que les autochtones n’étaient pas des sauvages. J’ai fraternisé avec eux, j’en ai même invité chez moi à Lima plus tard lorsque certains étaient malade. Mes proches ne comprenaient pas pourquoi je faisais cela, c’était tabou dans le Pérou d’autrefois. » Il découvrit que « le monde était plus grand que ce que je pensais, et que mes professeurs à l’université n’arrivaient pas à la cheville d’individus à peine vêtus ».

En 2004, le voilà contraint de prendre la route de l’exil, car l’étau se resserre au Pérou. Il parvient en Equateur et pense à traverser la frontière avec la Colombie, pour se rendre au Venezuela et « demander l’asile auprès d’Hugo Chavez », précise-t-il avec assurance. Mais une expérience bouleverse ses plans : « Mes grands-parents décédés se sont mis à me parler, alors que j’étais éveillé. Ils m’exhortaient à ne pas traverser la frontière, car un piège m’attendait en Colombie ». Wilder suit les conseils des voix venues de l’au-delà, et apprendra plus tard que des membres d’unités anti-terroristes américaines surveillaient la frontière. Il est dorénavant à l’écoute de son « don de guérison », et commence à pratiquer suivant l’enseignement de son père. Il change, mais sans totalement changer, comme à son habitude.

En effet, de retour au Pérou – il a été blanchi de l’accusation de collaboration avec les FARC – il est sans le sou. Il croise le chemin d’un Liménien, qu’il observe avec plus de profondeur que d’habitude : « Je lui ai établi un diagnostic complet ; je savais de quelle maladie il souffrait, et je lui ai proposé de l’aider à se sentir mieux. Il a accepté, et m’a offert une somme coquette en contrepartie. J’ai alors débuté une activité lucrative de guérisseur ». Il commence à se faire un nom, ce qui mène à guérir toute sortes d’individus, y compris des mafieux portoricains et des narcotrafiquants péruviens. « Pourquoi des criminels ? Parce qu’un criminel en remplace un autre, c’est un combat sans fin que mène la police. Alors que moi, je pouvais avoir une influence sur les malfaiteurs en place : en échange de mes soins, je leur demandais de réduire leur production de drogue, de ne pas maltraiter les femmes et les enfants, en somme de commettre moins de crimes. »

La vie du sexagénaire a continuellement oscillé entre les ténèbres et la lumière. Son pragmatisme l’a mené dans des zones obscures, mais les hasards de la vie l’ont toujours ramené dans une zone grise plus complexe et ambiguë. Wilder a indubitablement un don : celui de louvoyer entre l’acceptable et l’indéfendable.

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