Religion et modernisme, réflexions sur le dogme religieux, la croyance monothéiste et le pacte social

De la difficulté à concilier des explications rendues obsolètes par la science

Ce qu’il y a d’extraordinaire dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, c’est que toutes portent aux nues l’intelligence et la science. Ces deux mamelles de la sagesse permettent ainsi de suivre les voies du seigneur : seul le sage peut expliquer, car il a l’esprit suffisamment puissant pour comprendre que Dieu existe, pour en suivre ses préceptes. Saint Augustin, lui encore, expliquait que seul l’intellect permet à l’homme de s’élever en direction du divin, car Dieu ne peut être « ressenti » (au sens platonicien du terme), mais seulement « compris ».

On se demande comment, dans ces trois religions (et particulièrement pour le christianisme et l’islam), la dérive vers une mise à l’index de la science ou de tout esprit critique a pu voir le jour. Au contraire de tous leurs préceptes, ces religions ont toutes connu des périodes sombres où la science était hors-jeu. J’insiste, cela est en radicale opposition avec leur dogme.

De la temporalité

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. La science, comme nous le savons, rend caduque bien des explications fournies dans les écrits saints. Si d’aucuns s’extasient devant la pensée atomiste du Coran, qui anticiperait au VIe siècle les grandes découvertes de l’infiniment petit, je trouve pour ma part difficile à considérer comme Vrais des écrits qui postulent la création de l’homme par Dieu quelques milliers d’années avant notre ère. La recherche paléoanthropologique, notamment, nie sans équivoque une telle affirmation.

Au temps de Champollion déjà, l’église catholique invitait ce dernier à cesser d’affirmer que l’origine de l’Égypte antique était antérieure aux dates signifiées dans la Bible (les calculs jésuites le datait au dimanche 23 octobre de l’an 4004 avant notre ère); les recherches de l’égyptologue français l’amenaient à dépasser les maigres milliers d’années de la création du monde telles que postulées jusque-là. Il n’était pas question de se battre sur la platitude ou non de la Terre, un débat galiléen qui ne trouvait pas ses fondements dans les saintes écritures, mais de s’opposer à des affirmations noir sur blanc; ce n’était plus l’interprétation qui était remise en cause, mais les faits.

Petit bond de quelques décennies, et c’est Darwin qui, tout comme Champollion, mais avec des arguments nouveaux, battra en brèche les datations bibliques. Il sera évidemment condamné par les églises anglicane et catholique, mais aura le mérite de poursuivre le débat sur l’origine temporelle de l’homme. Un débat qui sera définitivement clos avec les analyses au carbone.

Je ne me focalise pas sur la théorie de l’évolution elle-même, dont l’incorporation à la pensée monothéiste a progressé : les théologiens chrétiens, loin de la nier, la réécrivent à la sauce biblique, incluant notamment la notion de « but divin » : évolution, oui, mais dans un « dessein ». En d’autres termes, c’est le fameux « intelligent design » (le créationnisme réactualisé), très en vogue aux États-Unis. Ce qui m’intéresse, au-delà du débat du « singe » et de sa descendance, c’est bien le « timing » : les chiffres donnés dans la Bible, dans le Coran, pris au pied de la lettre sont faux, et pas de quelques dizaines d’années ou même siècles. Homo sapiens est vieux de 100 mille ans au moins. Et c’est sans remonter à Homo erectus.

Il ne s’agit pas ici de se transformer en darwiniste convaincu. La théorie de Darwin contient tellement de problèmes intrinsèques que certaines relectures de nos scientifiques contemporains la battent en brèche très facilement. Mais ce n’est plus Darwin seul qui postule l’ancienneté de la Terre, c’est un corpus d’hommes de science qui depuis plus d’un siècle, toutes disciplines confondues, l’affirment haut et fort : nous n’avons pas 6000 ans d’existence. L’univers n’a pas 6000 ans d’existence. Et selon toute probabilité, l’homme descend du singe.

Du téléologisme

Par ailleurs, refusons définitivement aux postulats téléologiques des exégètes qui croient voir dans la Bible ou le Coran des règles modernes de vie en société. Dans cette vision qui se voudrait laïque des saintes écritures, ces dernières ne seraient que du bon sens destiné à assurer une harmonie et une cohésion dans les cités antiques. Elles étaient cohésives dans l’Antiquité, elles le sont toujours aujourd’hui : elles « vont de soi ». Elles seraient la résultante de nécessités sociales, et non d’obligations religieuses.

C’est ce « vont de soi » qui frustre : le mariage « va de soi » car il permet de ne pas avoir d’enfants consanguins, les règles de succession du Coran « vont de soi » car elles évitent les conflits lors de la répartition de l’héritage, ne pas manger de porc « va de soi » car c’est un animal qui transmet des maladies bien plus facilement, la circoncision « va de soi » car elle évite des infections futures, et j’en passe des meilleures. Tout ce qui précède serait vu comme un embryon de règles de bon sens, permettant à toute communauté de vivre en bonne harmonie.

Si les livres saints n’étaient vraiment que cela, ils ne contiendraient pas autant de règles sortant de ce contexte : comment sacrifier, comment rendre hommage à Dieu. Ainsi, le choix des commandements utiles à la communauté est opéré d’après ce que l’on sait bon pour celle-ci d’après les critères d’aujourd’hui. Notre regard sur les domaines de l’hygiène avec (principalement) Pasteur, de la génétique et l’importance de sa diversité avec (principalement) Darwin, ont révolutionné notre manière de voir. A posteriori, il s’avère que des préceptes religieux collent à nos connaissances scientifiques. Mais rien ne dit qu’ils continueront à correspondre à l’avenir avec nos nouveaux modèles scientifiques, et surtout… que dire de tous ceux qui ne collent pas ? L’homosexualité, par exemple : quel besoin de réguler des préférences sexuelles ? Dans l’état de nos connaissances aujourd’hui, le monde grec antique vivait admirablement bien dans un contexte où l’homosexualité masculine était acceptée, voire encouragée. Et cela n’a pas empêché la Grèce d’essaimer, de coloniser, de fonder la raison occidentale. Il n’y aucune mise en péril d’une société en raison de son homosexualité. Les prescriptions sur l’attirance pour le sexe identique ne s’expliquent donc que par des positions morales. Notons enfin que l’homosexualité est traitée dans la foulée de la zoophilie, de la prostitution, l’inceste et de l’infidélité (surtout dans l’Ancien Testament) : un indice supplémentaire s’il en est que, traitant en bloc le problème de la sexualité, il s’agit bien d’arguments religieux et moraux et non de réponses à des besoins sociaux et politiques.

Que dire de l’injonction de manger halal/kasher ? Ne pas manger le sang, et pourquoi donc ? Parce que, comme l’affirment les musulmans et les juifs, la vie et l’âme sont contenues dans le rouge fluide ? Cette affirmation a, soit dit en passant, la particularité de reconnaître une âme aux animaux; plutôt ennuyeux lorsque le reste des écrits postule que seul l’humain a accès au paradis. Mais en plus, elle fait partie de ces affirmations qui n’ont aucune justification autre que dogmatique. Nions ce que la science nous amène, mais restons attachés aux écrits à leurs interprétations.

Que ce soit cette vision laïque des saintes écritures, ou la vision religieuse qui voudrait voir une anticipation divine des besoins de régulation sociale, on ne peut au mieux qu’être sceptique devant le nombre de règles dénuées de sens. Soit les règles religieuses sont intégralement visionnaires, soit elles ne sont pas; si l’on se met à choisir celles qui correspondent à notre démonstration, à l’actualité du moment, on se met à faire nos courses de la même manière qu’on lirait un thème astrologique ou un passage de Nostradamus. On y trouve toujours quelque chose qui répondrait à nos besoins. Mais pour les raisons évoquées précédemment, la religion, ce n’est pas un panier que l’on garni selon nos besoins; le panier est en kit non modulable.

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