Initiative populaire fédérale « Pour le renvoi des étrangers criminels » – bannissement à la Suisse

La Suisse s’apprête à durcir encore, si besoin était, sa législation en matière d’immigration et d’étrangers. Depuis une petite dizaine d’années, la vague répressive, menée par l’extrême droite, accumule les réussites : Initiative « Contre la construction de minarets », Loi fédérale sur les étrangers, Loi fédérale sur l’asile, le discours se radicalise tant et si bien que, dans un pays où 1 Suisse sur 5 était étranger avant de prendre la nationalité suisse, on s’inquiète de la schizophrénie ambiante où l’étranger est devenu un facteur de trouble à éliminer. Cette nouvelle modification constitutionnelle que souhaite faire accepter l’extrême droite ce 28 novembre prochain propose le bannissement des étrangers ayant commis un crime ou une fraude à l’aide sociale. Le texte de l’initiative est ici, et son contre-projet (ersatz conforme au droit européen, plus précis, mais copie très rigoureuse malgré tout).

J’ai eu l’occasion de rire de cette initiative lorsque la récolte de signatures a démarré en 2007; le débat, autour de statistiques pour le moins discutable, se basait sur la supposée surreprésentation étrangère dans les délits. Des délits qui ont tout de même bien plus de chances d’être l’oeuvre d’individus ayant besoin de survivre : vendre des produits illicites, abuser de l’aide sociale, on voit mal pourquoi une personne aisée se risquerait à de tels actes. Et, quelque soit la manière d’aborder le sujet, une réalité est à prendre en compte : les étrangers sont les individus les plus paupérisé du pays : dénués de réseaux (professionnel, amical) à leurs arrivées, salaires plus chiche, emplois instables, c’est une lutte contre l’adversité qui est engagée. Et la tentation de choisir des solutions de facilité (vol, vente de produits illicites) est plus grande, forcément, que pour un cadre supérieur national au bénéfice d’un réseau établi de longue date.

Ces solutions n’en sont évidemment pas : elles sont déjà aujourd’hui réprimées, débouchent sur une condamnation lorsque l’auteur est arrêté. On viendrait donc superposer au crime une punition supplémentaire, le bannissement : la condamnation à, par exemple, 1 an de prison pour lésions corporelles, ouvrirait automatiquement la voie au bannissement. C’est le problème dit de « la double peine », où le condamné cumule deux peines. C’est un problème juridique réel, mais la préservation de l’ordre juridique n’est plus, de nos jours, un argument. Et bien que je le tienne pour un argument valide – faut-il rappeler que c’est la loi qui nous préserve de l’arbitraire ? – j’aborderai à la place deux problèmes plus parlant : premièrement, la fin du pardon, le durcissement intolérable que représente cette répression et le double standard légal ainsi créé; secondement, le bannissement pour abus d’aide sociale, qui devrait expulser de telles initiatives de la sphère du débat – sans discussion.

Le pardon, c’est pas pour les autres

Tout individu, aussi détestable soit-il, a droit à une seconde chance. Qui tombe a le droit de se relever; une société qui ne permettrait pas d’apprendre de ses erreurs serait invivable à tous points de vue : personne n’oserait ouvrir un commerce, passer un permis de conduire, faire des études universitaires et, au final, prendre la moindre décision. Les erreurs sont inhérentes à l’action, d’où en découle qu’il est nécessaire d’accepter le faux-pas. Accepter l’erreur, c’est accepter que l’humain puisse évoluer; une société où l’humain ne peut évoluer n’a aucun projet, aucun but. Quel intérêt de vivre en commun, dès lors ? Aucun.

Un abus d’aide social, des coups et blessures, un trafic de drogue, un viol, du brigandage, tous ces délits et crimes ont droit au pardon. Oui, on peut frapper un autre individu sous le coup de la colère, pour ensuite comprendre son erreur. On peut s’adonner au trafic de drogue, et saisir le mal qui découle de notre action. L’être humain n’est pas un monstre uniquement guidé par ses impulsions et ses intérêts : il est capable d’empathie, de sincérité et – de regrets. Il apprend, surtout de ses échecs. Réfuter cette réalité, c’est prôner une incarcération définitive dès la commission du premier délit. La société se passerait pour toujours du fauteur de troubles, car il ne saurait être réhabilité. Position évidemment intenable, niant les fondements de toute société démocratique. S’il n’existe pas une seule et unique condamnation (l’emprisonnement à vie) qui répondrait à tout type de crime, c’est bien que nous sommes conscients qu’il existe une gradation dans les méfaits : les circonstances dans lesquelles il est commis et la personnalité de l’auteur, la gravité de l’acte. Ces nuances sont apportées parce que chaque acte est différent ainsi que son impact sur la société; il est des crimes qui nécessitent plus de protection et plus de temps pour en réhabiliter le malfaiteur. Nos sociétés n’exécutent plus des sentences définitives, mais essayent de normaliser le criminel : elles ont appris le pardon.

Alors ce pardon que l’on octroie au citoyen national, on le refuserait à l’étranger. Sous quel prétexte ? Parce que l’étranger n’aurait pas, par exemple, acheté sa nationalité, il subit une loi plus dure ? On pourrait donc payer pour une condamnation plus clémente; c’est le premier problème, qui m’est abject. Le second problème, c’est qu’un trafic de drogue devient plus préjudiciable à la société lorsqu’il est commis par une étranger, puisqu’il est plus durement réprimé qu’un national : peut-on sans hypocrisie défendre pareille inégalité ?

Peut-être que oui; la seule piste valable à mon sens reste l’argument de vouloir définitivement se débarrasser d’un élément dangereux pour la société. Mais dans ce cas, je ne vois pas pourquoi un tel traitement ne serait pas « offert » aux nationaux; je ne me sens pas plus « violé » par un étranger que par un national, ni plus volé ou abusé. Si la réponse adéquate à toute forme de criminalité était d’ôter purement et simplement l’individu de la société, il y a longtemps qu’elle serait appliquée et la criminalité éradiquée. Mais pour des raisons morales et pragmatiques, cette solution n’est pas retenue; alors pourquoi l’appliquer à l’étranger ?

Peut-être parce que celui-ci est potentiellement plus… dangereux ? Voilà le coeur de l’affaire, et que la majorité des partisans qui vont voter en faveur de cette initiative (ou de son alter-ego) se refuseront à avouer. Le traitement différencié n’a pour seul but que répondre à un individu plus dangereux que le national. Noir, Balkanique, parlant une autre langue, pratiquant une autre religion, l’étranger, parce qu’il n’a pas des coutumes suisses – il n’est pas aussi prévisible. Et ce qui n’est pas prévisible, n’est pas compréhensible; l’étranger, parce qu’il est plus difficile de le comprendre, fait plus peur. Et parce qu’il fait plus peur, il faut plus le châtier. Rarement une discussion débouchera sur un tel aveu; et pourtant, au vu des points exposés, ce qu’éclaire la réflexion reste un sentiment xénophobe, purement et simplement.

Le bannissement, c’est pour les autres

Xénophobie mise à part, car après tout nous atteignons ici les limites du débat (soit les valeurs inaltérables et constitutives de chacun), il est un point sur lequel personne, à ma connaissance, n’insiste suffisamment : l’initiative milite pour le bannissement en cas de « [perception abusive] des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale » (texte de l’initiative) ou lorsqu’ils « ont été condamnés par un jugement entré en force à une peine privative de liberté d’au moins 18 mois pour une escroquerie ou une autre infraction ayant trait à l’aide sociale, aux assurances sociales ou à des contributions de droit public, ou pour une escroquerie d’ordre économique » (texte du contre-projet). A mon sens, une telle dérive vers l’uniformisation des peines pénales est inacceptable : qui vole un oeuf, vole un boeuf ? Toucher une aide sociale sans avoir déclaré une activité professionnelle, c’est mal; mais subir le bannissement à cause de cela, c’est bien ?

le temps économie et votations minaretsQuand quelqu’un n’accepte pas les règles du jeu, il peut le faire pour plusieurs motifs (détresse financière y compris) mais aussi de plusieurs manières (violentes ou pas, à grande échelle ou non). C’est le principe de proportionnalité, dont ne fait pas mention l’initiative, mais qui est rappelé dans le contre-projet; mais au fond, les deux acceptent que pour une fraude à l’assurance sociale, une personne, une famille pourrait être bannie de la Suisse. A mon sens, un tel renforcement de la législation est immédiatement disqualifiant : la disproportion entre le délit et la peine est si grande, qu’elle ne prête pas à discussion. On pourrait, en cas d’acceptation du texte soumis aux citoyens, voir un ressortissant chinois, risquant la peine de mort pour avoir exprimé des opinions contraires à celles de son Etat, réexpédié dans son pays pour avoir menti sur sa situation financière. On condamnerait à mort une fraude économique; est-ce moi qui suis fou d’être choqué d’une telle possibilité, ouverte par à cette réforme constitutionnelle ? La société se serait tellement durcie que des réponses de ce genre seraient devenues acceptables ? Soit, je le reconnais, j’ai perdu l’esprit et ignoré les changements en cours; mais encore ici, si la perception abusive des prestations de l’aide sociale est devenue si inacceptable qu’elle peut être punie de mort, si la société dans son ensemble est si remuée par de tels délits, pourquoi réserver la sentence suprême aux étrangers ? Les Suisses ne profitent-ils pas des mêmes largesses ? Toute proportion gardée – car les nationaux ont moins tendance à vivre une situation précaire que des immigrés – 1000 francs perçus abusivement restent 1000 francs – quelque soit la couleur de la main les ayant indûment pris. Si la main doit être coupée – peu m’importe sa couleur.

Soyons raisonnables : cette idée de bannir pour une fraude à l’assurance ou l’aide sociale est indigne d’un Etat démocratique. Elle démontrerait seulement une perte absolue de repères, une panique à l’échelle nationale. Un peu plus encore que l’initiative « Contre la construction de minarets », la loi fédérale sur les étrangers et celle sur l’asile; ne nous laissons par raconter n’importe quoi, faisons preuve d’esprit critique : cette initiative, ainsi que son contre-projet, sont indignes d’un pays sain. On n’utilise pas un marteau pour resserrer un boulon – c’est pourtant ce que nous proposent les deux réformes constitutionnelles.

Cet article a 2 commentaires

  1. jcv

    Le peuple a-t-il toujours raison ? Non, la votation ne fait pas l’histoire. Le devoir d’accepter le résultat d’une votation (l’aval) n’a rien à voir avec l’idée de défendre des valeurs (l’amont). Sinon, quel intérêt de militer pour défendre ses idées ? Organiser un vote signifie laisser la place pour le débat politique, n’est-ce pas ?

    Cela dit, je vais éviter de répondre à une question ou une remarque qui n’a pas été posée. Car je ne comprends pas très bien le sens de ton message, aussi te laisserai-je le soin de le compléter.

  2. Je découvre votre blog avec ce texte. Le drame, voyez-vous, c’est que le bon sens mène toujours à vos conclusions, semble-t-il. Ce qui m’oblige à croire que mon pays est peuplé de gens dépourvu d’une telle faculté. Cette fantasmagorie juridique mise en place par l’UDC est en contradiction avec la simple idée d’un système judiciaire moderne, qui entend bien sûr réinsérer le criminel au sein de la societé. Schade.

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