• Publication publiée :1/4/2008
  • Post category:Politique

La liberté d’expression est absolue pour tout. Sauf pour… la Shoa.

Dans la foulée du provoquant président iranien Ahmadinejad, c’est la question qu’on peut aujourd’hui se poser. C’est à l’unisson que les ministres européens des affaires étrangères condamnent le court-métrage, mais rappellent que « La liberté d’expression et la liberté de religion représentent des valeurs fondamentales au sujet desquelles il ne peut pas y avoir de compromis ».

Pour se faire une idée du sujet, il vaut mieux voir par soi-même l’objet du conflit : téléchargez Fitna, le court-métrage de Wilders.

Difficile de trouver un soupçon d’intérêt, une fois la curiosité épanchée, dans ce mauvais film. Attaques gratuites, manipulations, mauvaise foi, la réalisation de Wilders ressemble à n’importe quel brûlot d’extrême droite. Wilders n’a même pas eu la présence d’esprit d’utiliser des images personnelles ou libres de droit, puisqu’il se fait attaquer par l’un des Danois caricaturiste, qui lui intente un procès pour utilisation frauduleuse de son dessin; ça sent l’amateurisme, en plus d’être de mauvais goût.

Pourquoi s’arrêter sur cet évènement, alors ? Parce que l’Occident, ici encore, se contredit. Et tient un discours difficilement acceptable dans le monde musulman, puisqu’il revendique crânement le droit à produire des insanités, des films haineux, mais continue dans le même temps à condamner tout questionnement ou nuance à l’histoire de la Shoa. Et comme on peut rapidement le voir, cette position est indéfendable.

Tout d’abord, on explique au monde, nous Européens, que la liberté d’expression se doit d’être absolue. Faux, la France condamne toute remise en question de l’holocauste; la loi Gayssot, soit l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, a été votée le 12 juillet 1990. Cette loi punit la contestation des crimes contre l’humanité; ainsi, affirmer que les chambres à gaz n’ont pas existé est prohibé. Tout comme le racisme, prévu dans l’article 24 alinéa 5 (discriminations). En Allemagne, ce sont les partis extrémistes qui ont été interdits à plusieurs reprises : le SRP en 1953 (officiellement successeur du NSDAP), et le KPD (communiste) en 1956. On le voit, la liberté d’expression n’est pas absolue : l’incitation à la haine, la recherche de la destruction de la liberté elle-même sont des limites fondamentales à des droits pourtant fondamentaux. Reconnaissons néanmoins que les « historiens » contestant les chambres à gaz ou même leur ampleur poursuivent immanquablement des but peu inavouables.

Tout comme Ahmadinejad lui-même : lorsqu’il critique la position occidentale, le président iranien poursuit assurément des buts politiques. Mais le fond de son argumentaire est-il forcément erroné ? Les Européens en l’occurrence, mentent lorsqu’ils affirment que la liberté d’expression est absolue. Elle peut, même en temps de paix, être limitée, comme on vient de le voir. La frontière entre l’acceptable et l’inacceptable aurait pour origine l’imperméable incitation à la haine; selon ce critère, on saurait bannir la réalisation de Wilders. Mais pourrait-on également, sous ce critère, en faire de même avec les historiens revisitant la Shoa ? Opération difficile; la frontière semble très perméable, arbitrairement perméable. Elle répond dès lors non seulement à des impératifs de sécurité publique, mais aussi à des valeurs. On touche du doigt les sous-bassements du problème : cette liberté d’expression, revendiquée haut et fort en Occident en général, et en Europe en particulier, est donc le reflet des valeurs occidentales. L’Europe choisit, de manière souveraine et unilatérale, ce que l’on peut dire ou non. Sa liberté est fortement liée à ses valeurs, et non à l’universalisme (des Lumières).

Les pays musulmans ne s’y sont pas trompés : les attaques en règles au Conseil des droits de l’homme, l’organe onusien chargé de faire respecter l’universalisme des droits humains, fait face à une fronde organisée réclamant le droit de limiter le droit à l’expression en cas d’attaque envers l’Islam. L’un des piliers de la liberté d’expression s’en retrouve remis en question, victime de l’affaiblissement de la communauté internationale (depuis le retrait partiel des USA du multilatéralisme), de l’affaiblissement relatif de l’Occident face au reste du monde, mais aussi de ce double discours occidental, incompréhensible pour les disciples de Mahomet.

La solution toute trouvée aujourd’hui réside dans la dépenalisation du négationnisme ou du relativisme de la Shoa. C’est d’autant plus facile à faire que plus de 60 ans nous séparent de l’indicible holocauste. Une telle décision aurait des répercussion certaines vis-à-vis d’Israël et des juifs, qui verraient certainement là une nouvelle traîtrise d’un continent qui les a déjà tellement trahis. Mais c’est peut-être le prix à payer pour se réclamer d’un universalisme factuel, et non plus théorique. L’exemple a toujours été, depuis 50 ans, l’arme par excellence de l’Europe; elle s’est progressivement débarrassée de nombreux démons, que ce soit le colonialisme, la misogynie, et de violations de droits de l’homme tout azimuts. Il est temps qu’elle se réconcilie avec son passé, et qu’elle se donne les moyens de ses ambitions : si elle veut avec sincérité défendre ses valeurs, qu’elle cesse de donner de l’eau au moulin d’individus comme Ahmadinejad, qui n’en demandent pas tant. C’est le meilleur moyen de combattre les thèses d’hommes comme Wilders.

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