Ce que Saakachvili ne nous dit pas sur CNN

Olga Ivanova est stagiaire au New York Times. Dans une tribune, traduite en français ci-après par le courrier international, elle s’indigne du traitement médiatique biaisé du conflit russo-géorgien. Elle est de parti pris, évite de parler du refus de négocier russe, cette arrogance traditionnelle des pays qui n’ont pas besoin de négocier. Mais dans le matraquage médiatique tout sauf objectif qui entoure l’affaire géorgienne, les interviews accordées par Saakachvili et passées en boucle par tous les médias occidentaux, un peu de partialité de l’autre camp ne peut que faire du bien :

J’aimerais pouvoir rentrer en Russie. Je séjourne aux Etats-Unis depuis un an. Je suis venue y étudier et acquérir une expérience professionnelle dans la presse américaine. Une presse réputée internationalement pour son indépendance et son professionnalisme. Mais ces derniers jours, j’ai eu le sentiment que j’étais arrivée trop tard, que le journalisme du Watergate était bien loin et, qu’aux Etats-Unis, le travail des journalistes n’était plus ni équilibré ni impartial.

Article après article, les médias américains ont expliqué à leurs lecteurs que la « méchante » Russie avait attaqué un Etat voisin souverain. A les lire, on avait souvent l’impression que le conflit avait été déclenché par une Russie agressive envahissant le territoire géorgien d’Ossétie du Sud. Certains journalistes ont même affirmé que Tskhinvali, la capitale de l’Ossétie du Sud, avait été envahie par l’armée russe. La chronologie des événements, l’enchaînement des faits ayant abouti au conflit étaient souvent laissés de côté. Or la vérité, c’est qu’en l’occurrence, l’agression russe était relativement justifiée. La Russie défendait ses ressortissants.

Les journaux américains n’en ont pas moins publié des articles qui passaient sous silence l’invasion géorgienne. Et il est inquiétant de voir que dans leur ensemble les médias américains se sont montrés pro-Géorgiens. La photo d’ouverture, en première page du Sunday Post, montrait deux hommes – l’un mort, l’autre en larmes – parmi les ruines de Gori (Géorgie). De nombreuses autres images auraient pu être utilisées. Quant au Wall Street Journal, il publiait plusieurs articles sur le conflit, y compris une tribune du président géorgien Saakachvili. Où était le point de vue russe ?

Je comprends que le gouvernement géorgien veuille interdire l’accès aux sites web des journaux russes. Je comprends aussi que les médias russes présentent les événements sous un jour favorable à Moscou. Mais les médias américains ne sont pas censés agir ainsi.

La liberté de la presse, si chère aux Américains, garantit l’accès à une source d’information indépendante. En vertu de ce principe, personne n’est censée prendre parti, les journalistes présentent aux lecteurs les faits et les laissent en tirer leurs propres conclusions. Le président géorgien a eu tôt fait de devenir le principal pourvoyeur d’informations des médias occidentaux, tandis qu’on ne trouvait pratiquement aucun article qui expose le point de vue russe.

Il est difficile de comprendre comment et pourquoi la Géorgie et la Russie en sont arrivées à une telle extrémité. Mais pour les journalistes qui écrivaient sur le conflit, la situation était limpide : la grande et méchante Russie essayait de détruire la Géorgie, petit pays démocratique.

L’attitude biaisée des médias américains ne pouvait qu’irriter les journaux russes, qui se sont empressés de rappeler à leurs lecteurs que le mal était du côté américain et qu’en dernière analyse Washington était responsable du conflit en Ossétie du Sud et en Géorgie. Au-delà même du traitement peu objectif de l’information, je suis également préoccupée par le flou quant au nombre de civils tués et blessés. Qui croire ?

Tout au long de la semaine dernière, les médias américains auront au moins réussi une chose : ils ont perdu leur prestige aux yeux d’une génération de jeunes Russes pour qui les Etats-Unis étaient le pays de l’information vraie, sans parti pris, indépendante. Les jeunes Russes sont nombreux à se rendre aux Etats-Unis pour y faire leurs études et ensuite rentrer en Russie pour contribuer à construire notre propre démocratie. Les Russes croient à la démocratie. Mais je doute que de nombreux Russes croient encore ce qui s’écrit dans les médias américains.

Cette presse s’est discréditée aux yeux des journalistes russes eux-mêmes, qui, pourtant, ont longtemps considéré les médias américains comme des références en matière de travail journalistique. Aux Etats-Unis, les journaux sont censés défendre la vérité et être au service des citoyens. Mais quels intérêts défendaient-ils en publiant des articles dans la plus pure tradition de la guerre froide ?
Olga Ivanova
The Washington Post

On peut sourire quand même à la lecture de l’effet de style se référent au « modèle de partialité des médias US » (le même journal ne publiait-il pas un mea culpa retentissant sur le traitement de l’Irak, il n’y a pas si longtemps ?).

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