Révérien Rurangwa reste en attente d’une décision

Seul souvenir qu’il lui reste, une photo datant de 1977, une période bénie pour sa famille; à cette époque, il n’est pas encore venu au monde. Aujourd’hui, les rôles ont été inversés : il tient dans ses mains cette photo, et tous ceux qui y figurent qui ont disparus. Dans un triste retournement de situation, le bonheur familial ainsi que les personnages sur la photo ont été effacés en 1994, lors du génocide au Rwanda. En moins de 3 mois, entre 800’000 et un million d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards mourront dans de terribles conditions, uniquement parce qu’ils étaient Tutsis (l’ethnie minoritaire du pays).

L’année dernière, nombreux se sont émus de l’histoire de Révérien Rurangwa, réfugié rwandais à Neuchâtel, qui a passablement occupé l’espace médiatique aussi bien en Suisse qu’en France. Notre montagneux pays était alors en pleine campagne autour de la révision de la Loi sur l’Asile (LAsi), et certains hommes politiques, alors engagés dans la bataille, ont même promis leur assistance au requérant d’asile; malheureusement, les engagements se sont évaporés aussitôt connu le résultat de la votation.

Révérien, pas encore 30 ans, est toujours menacé d’expulsion du territoire suisse. Il lui a été notifié l’année dernière un refus à sa demande d’asile, à laquelle il a immédiatement opposé un recours. Voilà déjà plus d’un an que le Rwandais attend de savoir si il risque le renvoi définitif : l’Office fédéral des migrations (ODM) s’interdit toutefois de parler d’expulsion à son sujet, puisque M. Eduard Gnesa, son directeur, expliquait en mai dernier que Révérien « avait reçu l’assurance qu’il ne serait pas renvoyé à la mort ». La mort ?

Survivre pour garder les siens vivants

Révérien est Tutsi, et victime du génocide de 1994 au Rwanda, une guerre civile qui a coûté au bas mot la vie à plus d’un million d’individus. Sur les 44 personnes que comptait sa famille, il sera le seul rescapé d’une macabre odyssée, dans laquelle la machette des lâches a remplacé le glaive des héros. Par miracle, lui survit : lorsqu’il pourra accepter cette « chance », qui l’a malgré tout privé de tout ce qui constituait son univers, il aura pour seule raison de vivre la perpétuation de la mémoire de ce crime. Pour qu’on n’enterre pas une deuxième fois ses proches, il écrira un livre, parcourra les écoles, transmettra son histoire. « Si je n’avais rien fait, j’aurais participé à mon propre génocide », lâche-t-il. Il n’aura de cesse d’expliquer comment sa famille a été tuée sous ses yeux, mais aussi comment la haine envers les Tutsis, particulièrement lorsqu’ils sont des rescapés du massacre – et facilement identifiables aux meurtrissures visibles sur leurs corps – est encore très vivace parmi les Hutus, et qu’elle serait même « largement enseignée de père en fils au Rwanda », ironise-t-il. Son agresseur principal, un ancien voisin qu’il a dénoncé lors de son retour au pays en 1996, l’attend de pied ferme après un – court – séjour en prison : « Il n’y a rien là-bas pour moi, sauf mon bourreau », lance-t-il avec résignation.

Le danger encouru par Révérien n’est donc pas directement lié à un renvoi, si l’on en croit la promesse du directeur de l’ODM. Il sera dans tous les cas admis temporairement, et devra redéposer régulièrement – semestriellement – une demande provisoire. Toutefois, il est d’autres manières de tuer qu’en ayant recours au froid métal d’une machette. Le propre d’un génocide est de rechercher l’extinction d’un groupe, d’une ethnie. C’est ainsi que de nombreux survivants meurent des années plus tard du SIDA, méthodiquement violés par des tortionnaires soucieux d’empêcher toute nouvelle naissance dans le groupe ennemi. Ceux qui par bonheur en sortent sans blessure létale, doivent trouver un moyen d’accepter de vivre au quotidien avec les horreurs auxquelles ils ont assisté, ou dont ils ont fait l’objet. Ils finissent parfois par échouer dans des sectes religieuses, dans la folie, voire dans le suicide. Si Révérien réussit tant bien que mal à ne pas emprunter l’un de ces chemins sans issue, c’est parce qu’il croit son devoir de mémoire plus important que son propre désespoir. Le Rwandais a besoin que l’on reconnaisse la réalité des tortures subies, et pas seulement pour six mois renouvelables.

La difficulté de se reconstruire

Le statut « d’admis provisoirement » implique pour le jeune homme de ne pouvoir quitter la Suisse pour transmettre son témoignage. Il lui est extrêmement difficile, en raison de la décision de l’ODM – ou de l’attente d’une nouvelle décision – de se déplacer au Canada ou en France, où l’on tient ce type de déposition pour essentiel, au même titre que ceux des rescapés de la Shoah. D’autre part, ce statut a pour effet de proscrire à Révérien tout travail rémunéré, ou d’obtenir son diplôme de gestion – entrepris il y a 2 ans et demi, mais impossible à terminer pour des raisons légales. Sans la générosité de sa famille d’accueil, où en serait-il depuis l’année 2000, date de sa fuite éperdue pour la Suisse ?

Les survivants de l’Holocauste ont mis des décennies à ce que l’on reconnaisse leur histoire et leur statut de victime. Est-ce que la Suisse, qui lui a sauvé la vie en suturant ses plaies, le « sauvera une deuxième fois », comme il l’espère ardemment ? « Je suis dans le flou, je ne peux plus avancer; je n’aspire qu’à me reconstruire », se désole-t-il. Pour des raisons humanitaires, il est exclu de le renvoyer, les officiels s’accordent à le reconnaître. On croirait en conséquence la réponse toute trouvée, et pourtant Révérien réside depuis 7 ans en Suisse, sans titre de séjour définitif, sans pouvoir travailler ni pouvoir passer de diplôme, soit au final, sans avenir…

On peut faire semblant de tenir pour vraisemblable ce cauchemar, et tenter de le réconforter en essayant surtout de se rassurer sois-même et évacuer l’indicible en disant à Révérien : on te comprend. Ce mensonge n’a d’autre but que de faire taire ces fugaces images qui nous traversent l’esprit, vagues instantanés de ce que vit au quotidien le rescapé. Et faire taire aussi celui-ci, responsable de ces macabres intermèdes dans notre vie. Pouvoir le consoler, rapidement, puis passer à autre chose.

Révérien, lui, n’a pas seulement des flashes, mais le film en continu, sans espoir de trouver la télécommande. Il survit dans cet océan de douleur, se battant avec des démons qui nous sont invisibles; allons nous faire la même chose avec lui que nous faisons avec ces films d’horreurs, et le refouler au fond de notre inconscient pour l’oublier aussi rapidement que possible ?

Il est vrai que nous ne nous exposons qu’à la résurgence de notre lâcheté dans nos songes, mais Révérien, lui, risque sa vie.

Une page spécialement dédiée à la situation de Révérien a été mise en place sur ce site. N’hésitez pas à faire part de vos messages de soutien, de vos idées. Toute bonne volonté est la bienvenue, sa situation ne fait que trop durer.

Cet article a 10 commentaires

  1. maxgilles

    Je suis révolté par l’inanité grotesque du jugement qui refuse à Révérien le droit de vivre normalement. Il a été meurtri dans sa chair,a perdu toute sa famille, risque la mort si on le renvoie au Rwanda et ces politiciens débiles le traitent comme un criminel. Accordons l’asile à Révérien et virons ces débiles en costard-cravate!
    Révérien est un ami, et je lui conseille de demander asile en France. Si on veut faire du chiffre du côté des expusions, expulsons les Hutu génocidaires vers Kigali, il y en a sûrement aussi en Suisse,plutôt que de continuer à pourrir la vie de Révérien. Je me demande comment les politiciens à deux balles qui lui refusent le droit d’asile peuvent se regarder dans une glace! Discreditez les! Faites ressortir leur ridicule au grand jour et empêchez les d’être réelus! Bonne chance à toi, Révérien, mon ami.

  2. Claire

    Bonjour,

    J’aimerais bien avoir des nouvelles de Révérien, je voudrais savoir si sa situation administrative s’est arrangée. C’est allucinant après tout ce qu’il a pu traverser que l’on puisse encore lui créer des soucis et le mettre dans une situation kafkaïenne.
    J’ai lu Hatzfeld et je suis en train de lire Génocidé. C’est insoutenable ! J’ai lu énormément sur la Shoah (mes parents sont juifs et ont échappé par miracle au pire) et j’ai l’impression que plus j’avance moins je comprends et plus j’ai du mal à encaisser. J’ai visionné les 2 émissions : Vol de Nuit et Fogiel et je suis atterrée par la grossièreté des journalistes. Entre PPDA qui qualifie le génocide du Rwanda « de l’un des génocides les plus atroces » comme si il y avait une hiérarchie et des génocides moins atroces ! Et Fogiel avec cette question récurrente qui m’a toujours exaspérée sur le pardon. Il serait lui capable de pardonner à quelqu’un qui aurait tué sa mère ? Et je ne parle même pas de génocide. Je ne sais pas pourquoi on demande aux Juifs et à ma grande surprise aussi aux Tutsis de pardonner. Au moins nous, nous avons eu Nuremberg et un certain nombre de nazis ont été jugés (même si la grande majorité des criminels allemands ont pu finir leur vie tranquillement en voyant grandir leur petits enfants). Nous avons eu des réparations, et les allemands (pas tous évidemment) font un travail de mémoire. Mais les Tutsis n’ont même pas ça et en plus ils sont obligés de cotoyer leurs génocidaires. Non seulement ça me révolte mais en plus j’ai peur pour eux.
    Très cher Révérien tu n’as pas d’autres choix que témoigner et raconter encore et encore. Chaque jour je pense à la Shoah et je me demande pourquoi, comment cela a t’il été possible ? Comment les allemands ont ils pu faire ça ? Et moi je n’ai rien vécu de terrible, mes parents ont été chanceux et n’ont pas été déporté. Même si les 3/4 de ma famille a été tué je ne les pleure pas comme toi tu peux pleurer les tiens. Je peux échapper à ça, toi je sais que tu ne le peux pas. Je ne peux pas imaginer ce que tu ressents car je n’ai pas traversé l’enfer, mais je sais que c’est un gouffre monstrueux. Les gens comme toi sont très précieux (et je pense aussi à Esther qui est tellement lumineuse) car grace à toi et à ta parole les assassins ne pourront pas nier ce génocide.
    Quand je vois tous les petits enfants et arrières petits enfants que mes parents ont eus (et ce n’est pas finis !) je me dis que c’est extraordinaire. Juste 2 survivants et toute cette descendance ! Je souhaite de tout mon coeur que la vie t’apporte ce bonheur. Des enfants que tu verras grandir et aussi des petits enfants qui eux même auront des enfants.
    Avec toute mon affection,
    Claire

  3. christine

    Bonjour, je suis française et j’ai lu le livre de Révérien il y a 1 an,ce qui a complètement bouleversé ma façon de voir la vie et l’homme en règle générale.J’apprend à présent qu’il est menacé d’expulsion du territoire suisse ce qui est aberrant…J’espère que la situation a évolué depuis, en tout cas il faut que Révérien sache que son livre a permis de prendre conscience de l’horreur de ce génocide à des gens comme moi qui était trop jeune en 94 pour comprendre et qui aujourd’hui, grace à lui, y prète beaucoup d’intéret.Car il ne faut pas l’oublier et je trouve d’ailleurs que l’on en parle pa assez en Europe et en France alors qu’on a aussi une grande responsabilité dans ce drame.Donc merci à Révérien.Paix au Rwanda et à l’Afrique!

  4. Belgarade

    😎

    Je viens de lire votre témoignage bouleversant,poignant, une adolescence volée, une mutation trop rapide d’un état de l’insoucience à un état de conscience, conscience de l’horreur, de l’inhumanité des gens, de la violence gratuite, la culpapilité d’être vivant et du devoir de perpétuer le souvenir des êtres que vous aimez et qui reteront à jamais gravé dans votre mémoire. Que d’injustice, dans les épreuves que vous avez traversé et traverserez encore, ne perdez pas espoir cher Révérien, je suis certaine que vous pourrez retrouver une sérénité de l’esprit, que vous ferez de moins en moins de cauchemars (les mêmes) et qu’enfin, je le souhaite de tout coeur, que vous trouverez un amour sincère auprès d’une femme et que vous pourrez enfin fonder un foyer. Il faut y croire. Je vous embrasse.

    Belgarade

  5. laurence

    🙁 J’en suis sûr qu’il arrivera a avoir le papier!!! J’ai fais sa connaissance samedi dernier et on est très bon amis.. Avec ma marraine on l’aide et on est prête a lui payer le médecin qui va l’aidé…
    OK!les politiciens ne sont pas super mais c’est pas une raison de les accusé!
    Courage RÉVÉ! Bisous

  6. Tonio

    (non mais il paraît que ça arrive…)
    d’accord c’est le peuple suisse… ceux qu’on voté oui et ceux qui n’ont pas été voté.
    Mais ça fait mal de dire qu’un peuple entier et dans le tort, et est devenu intolérant, irrespectueux et a perdu ces valeur. Même si ça arrive, ça fait quand bien bizarre.
    Alors c’est beaucoup plus facile de accuser leur leader, celui qui a proposé de tel changement.

  7. jcv

    (t’as déjà eu un article refusé sur agora, toi ?)

    C. Blocher n’est pas directement responsable de ce qui arrive à Révérien. Le peuple suisse, par contre, acceptant sans discuter toutes les fadaises débitées sur les requérants d’asiles, votant régulièrement contre toute raison des lois iniques, abondant dans le sens des discours apeurés des politiciens démagogues, sont responsables de la situation catastrophique dans laquelle se retrouve la Suisse.

    L’année dernière, au cours d’une année où le nombre de requérants a été le plus bas depuis plus de 10 ans, on s’est doté d’une loi inhumaine et incompatible avec les pactes européens et internationaux déjà signés. On demande, par exemple, au requérants qui ont fuis leurs gouvernements de produire des documents d’identité officiels de leurs pays… très facile, je fuis parce que mon Etat veut me mettre en taule (ou pire), et je lui demande une carte d’identité juste avant de quitter le territoire.

    Bref, c’est le peuple suisse dans son ensemble qui se laisse guider un peu trop facilement par le bout du nez. Un citoyen est censé être en pleine possession de ses moyens, sinon il n’a pas jouissance de ses droits civiques. Pourtant, au vu de certains choix, on se demande si tous sont en possession de leurs moyens, et si ils sont vraiment capables de comprendre les arguments échangés.

  8. Tonio

    Cool qu’il ait été repris sur agora… Maintenant on attend la suite de l’histoire. et on veut une belle histoire…
    Saloperie de Blocher, voilà un exemple (et quel exemple) de sa connerie.

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