La solennité en concentré

Panneau arbeit macht freiTheresienstadt était l’un des innombrables villages qui fût transformé en ghetto il y a de cela sept décennies. Avec son propre camps de concentration, une forteresse de l’époque des Habsbourg, il répondit aux critères de salubrité voulus par les geôliers à la brune chemise : typhus principal compagnon de chambrée des prisonniers, une toilette pour 100 à 600 locataires forcés, pas de matelas, pas de nourriture; en comptant les pertes consécutives aux déportations vers Auschwitz, une personne sur mille survivait à un tel séjour.

La petite localité tchèque, située à quelques 60 Km de la capitale, garde en l’état l’ancienne forteresse. Elle se charge de l’entretien d’un gigantesque cimetière, et de la réparation des murs autrefois gorgés de sang et de trahisons. En gardant intacte la mémoire des génocides perpétrés durant la IIème Guerre Mondiale, une partie de la population peut aujourd’hui vivre, faire vivre sa famille, envoyer des cadeaux aux lointains oncles des Etats-Unis.

Toutefois, une certaine attitude est requise pour tout prétendant à l’exercice de ces métiers mémoriels : la gravité. Il est primordial, en effet, de savoir garder le visage fermé à toute émotion déplacée dans un tel lieu. Plus on est en contact avec le visiteur, celui grâce auquel son salaire est lié, plus l’attitude se doit être solennelle. A contrario du jardinier près des tombes qui, si il le souhaite, peut siffloter un air de Wagner en désherbant et égalisant la végétation poussant au-dessus des victimes. Son labeur a pour objectif, entre autre, d’éviter qu’aucune fleur n’éclose, qu’aucune pollenisation ne se réalise : la nature doit se plier aux exigences morales humaines, elle ne saurait continuer comme si rien ne s’était passé.

A Terezin (nom tchèque de Theresienstadt), l’atmosphère est de circonstance. On remercie le touriste qui vient dépenser son argent, prendre des photos – et parfois s’instruire et se souvenir de la tragédie. Mais on le fait avec la lourdeur appropriée, avec fermeté, et lorsqu’un sourire fend le visage de l’interlocuteur, il doit prendre la forme d’une fine ligne égale, annonciateur d’une douleur partagée : la demi-lune n’est pas tolérée. Le respect passe par la lourdeur.

Terezin vit dans l’ombre de la terreur, mais vit aussi grâce à cette terreur. Pour continuer à en vivre, il est essentiel de respecter autant la terreur elle-même que ses victimes.

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