La peine de mort, tout le monde a son avis sur le sujet, variant entre l’inacceptable, « l’inacceptable mais » ou le carrément justifié. Le sujet est si sensible, si profond que tout un chacun se sente légitimé à se prononcer. Et souvent de manière tranchée.
Ce qu’il a vécu a battu en brèche ces idées. Lui-même condamné à mort à l’issue d’un procès bâclé, résultat du faux témoignage d’une ex-femme vindicative, il a ouvert les yeux sur un monde dont il ne soupçonnait même pas l’existence. Des violeurs en série, des poseurs de bombe luttant contre les cliniques pratiquant l’avortement, des trafiquants de drogue, il a fait connaissance avec les bas-fonds de l’humanité. Avec terreur, il découvre des fous inconscients de leurs actes, mais aussi des innocents qui n’ont pas plus leur place derrière les barreaux que lui-même. Son quotidien sera peuplé de querelles mystiques, où notamment deux de ses compagnons de couloir débattent sans fin sur qui attendra l’autre auprès de Lucifer. Difficile d’imaginer que l’exécution ait jamais pu dissuader ces deux malades. Un troisième, avec qui il se lie d’amitié, décédera d’un cancer avant même d’avoir subit le mortel voltage de la chaise électrique; après avoir clamé son innocence treize ans durant, une analyse ADN révélera un an après sa mort que, non coupable, il l’était sans aucun doute possible. Le banal de JoaquÃn José, c’est d’évoluer entre fous et innocents, épicé de tortures administrées par des matons plus sadiques que ceux qu’ils surveillent, le tout servi dans un bol froid comme la mort. Ce qu’il a vu le changera à jamais.
Pourquoi ce jeune hispano-étasunien de 24 ans croupit-il en cachot ? Double meurtre. Un double homicide terrible, perpétré sur le fils d’un shérif et son amie. Celle-ci a subit tellement de mutilations que son corps était collé à la moquette lorsque les policiers le découvrirent. L’émotion est vive dans l’Etat de Floride, on veut un coupable, un bouc-émissaire, et vite. Et la réaction est à la mesure du crime, froide et inhumaine : Martinez est le meurtrier idéal, et sera condamné en 1997 (il a été arrêté en janvier 1996), avec des preuves plus que discutables. Le ciel – plutôt l’enfer – est tombé sur la tête de ce jeune homme d’affaire, très matérialiste et qui se croyait jusqu’alors invincible.
Martinez ne demandera pourtant pas de dommages et intérêts pour l’erreur judiciaire. Pas parce qu’il pardonne – il réserve son pardon aux êtres humains, pas aux institutions – mais parce qu’on lui fait clairement comprendre que si il intente une action en réparation, revoir ses filles lui sera refusé. En effet, ses deux enfants issus du mariage avec son ex-femme (la même qui l’avait dénoncé) sont sous la garde de cette dernière. Aux USA, donc. Lui qui ne sait pas encore exactement où il partira pour tenter de reconstruire sa vie, il devra dans tous les cas passer les douanes de l’oncle Sam pour profiter de ses petites filles – un passage qui lui sera interdit en cas d’action judiciaire. Le marché, plutôt le chantage ainsi posé, il ne peut que l’accepter; on achète son silence en échange du droit de fréquenter sa progéniture.
Les seules armes qu’il ose brandir aujourd’hui, ce sont l’amour et le pardon.
L’amour, car au final c’est le seul moteur qui en vaille la peine. Carpe diem, profitons des amis de passage, des bons moments passés, car tellement de temps a déjà été perdu. Mais c’est un carpe diem à la manière du poète Horace, pour qui la jouissance du présent impliquait la conscience de son devoir. MartÃnez est conscient de son devoir, et aurait le sentiment de trahir ses compagnons de cellule ou ses moments de désespoir derrière les barreaux s’il venait à s’adonner intégralement au plaisir. Une partie de lui, son passé, le force à souffrir. Le lot de toute victime : le refus d’oublier.
Pardon et amour, on se croirait embarqués dans un mélo de bas étage, à la morale consensuelle. Le rescapé met alors en garde son audience : la loi du happy end hollywoodien, si rassurante, ne saurait être plus éloignée de sa réalité. Il n’a pu profiter que deux ans de son père, et soutient autant qu’il le peut sa mère. Il tente d’être aussi proche que possible de ses deux filles, mais n’arrive à les voir que 3 fois l’an. Bien que témoignant sans cesse, il occupe un emploi dans le monde de la presse; les moments privilégiés avec sa compagne son rares, et ne peut avoir d’amitié suivie, il n’en a pas le temps. Salarié, compagnon, père, fils, et surtout témoin des dérives judiciaires, les rôles qu’il doit assumer sont multiples et contraignants. Ce qui le pousse à dépasser la peur de ne pas être à la hauteur, c’est bien évidemment la conscience d’être libre, ainsi que la volonté de ne plus perdre une miette de la vie. La galette n’est que trop entamée, sans qu’il ait pu en profiter.
Le banquet de la vie se résume pour bien des convives à du pain sec et de l’eau. On peut discourir pour savoir qui peut se servir ou non. Sur une base idéologique, selon les reportages visionnés, des faits divers abondamment distillés, mais rien ne remplacera la trace authentique laissée par un tel témoignage. Joaquin José Martinez était incarcéré pour un crime qu’il n’avait pas commis, a perdu des années de sa vie que jamais il ne retrouvera, et a fréquenté d’autres innocents retenus eux aussi pour mise à mort. Parlons de la peine de mort, mais parlons-en bien. En tenant compte des erreurs judiciaires. En ayant à l’esprit la réalité de l’incarcération. Sans angélisme ni froideur inhumaine. En écoutant ceux qui ont dansé au bord du gouffre, et qui par miracle n’ont pas chuté. Si les arguments contre la peine de mort ne sont pas suffisants, écoutons au moins ceux que l’on est si pressé d’envoyer à l’échafaud.
Pour aller plus loin :
- Site internet de Joaquin José Martinez (en espagnol uniquement)
- Résolution de novembre 1999 du Parlement européen
- Interview d’Ensemble contre la peine de mort
- Vidéo de Martinez filmée à Albacete, Espagne (en espagnol uniquement)
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