Idiocracy

Lorsque le réalisateur de Beavis & Butt-head – série animée culte de MTV – se lance dans la réalisation de son deuxième film (après Office Space), on se demande si ce diable de Mike Judge va enfin s’affranchir définitivement du format court. On s’interroge sur les capacités à dépasser le pipi-caca du cinéaste. Le résultat est plutôt mitigé, à l’image de sa série phare qui, raillant la stupidité humaine et médiatique, n’en passait pas moins sur la chaîne teenager MTV. Inconsistant, emplit de contradiction, Idiocracy n’en colle pourtant pas moins de manière stupéfiante à l’évolution des moeurs et des médias, à l’actualité. Drôle et riche d’imagination, le résultat est surprenant. Ca vole beaucoup au-dessous de la ceinture, mais c’est pour la bonne cause.

Idiocracy conte les aventures Joe Bowers, l’Etasunien moyen, qui mène la vie la plus moyenne possible, planqué dans les sous-sols du Pentagone à regarder des chaînes télé moyennes. Plutôt que moyen, c’est l’exemple d’une vie plate, sans engagement aucun, ne s’intéressant qu’à lui même. Rester dans la moyenne, c’est donc être indifférent et égoïste, curieux toutefois de ce que la petite lucarne retransmet, dans un spectacle télévisé qui lui n’a plus rien de moyen, mais touche le fond de la bêtise. L’homme moyen est abruti par la télévision, et oublie d’en vivre sa propre vie.

Tout va changer le jour où on lui propose de participer à une expérience de cryogénie : congelé durant une année aux côtés d’une femme de petite vertu, il est sommé – car l’homme moyen ne participe à rien – d’entrer dans un cercueil chargé de le maintenir en vie. Et celui-ci enterrera définitivement son ancienne vie, car en raison de l’incarcération pour proxénétisme des responsables du projet, il restera au frigo pour 500 longues années.

L’intrigue prend alors son envol : durant ce demi-millénaire, l’évolution de l’espèce humaine n’a plus suivi le chemin théorisé par Darwin, et seuls les hommes moyens, dotés d’une capacité bien supérieure à celle des intellectuels sous toutes leurs formes, se sont répandus comme une nuée de sauterelles. Sans super-prédateur pour éliminer les individus les plus stupides du groupe, la bêtise est devenue la règle, à tel point qu’au réveil de Bowers, plus personne ne sait arroser des plantations agricoles.

Passons l’absurdité de la thèse – l’intelligence serait héréditaire ? – pour savourer le plat jouissif servit par Mike Judge. En entrée, on découvre des avocats tellement obnubilés par la télévision, qu’ils la regardent assis sur un fauteuil faisant office de toilettes – on ne perd plus une miette du spectacle télévisé. En plat de résistance, l’Oscar du meilleur film est attribué, cette année là, au film « Cul », où l’on voit une partie très charnue du corps humain péter tout du long. Le dessert, d’un goût exquis – mais il faut dire qu’on est en appétit – réside dans la manière de faire de la politique : incapables d’aligner plus de 3 mots faute de passer pour un homo, tirer quelques balles en l’air et montrer son goût pour le sexe est l’exemple donné par le président étasunien lui-même. A cheval sur une moto-dragster aussi grande qu’un avion – il faut en faire toujours plus – il parcours la route en exhibant son majeur à toute personne rencontrée.

Sexe, violence, vénalité, stupidité sont les valeurs de la société que découvre l’homme moyen du Pentagone. Sauf qu’au sein d’un tel environnement, il ne pourra plus se cacher. Pris rapidement pour un homosexuel de la pire espèce (personne ne le comprend, il articule trop et fait des phrases de plus de 4 mots), son intelligence finira après quelques courses poursuites par être remarquée. Après une parodie de procès plus médiatique que juridique, il sera bombardé homme le plus intelligent de la planète, on lui demandera de résoudre le problème numéro un : la famine qui guette le pays, les champs agricoles ayant troqué leur vert pré contre un jaune de désert sahélien.

Peu désireux de se confronter à la réalité de l’action, et parfaitement lucide sur ses propres capacité cognitives, Joe Bowers tentera de fuir les responsabilités imposées, en vain. Ce n’est pas parce qu’on est entouré d’idiots, qu’un homme moyen devient soudainement capable d’expliquer la théorie des quantas : on voit difficilement comment Bowers pourrait résoudre un problème d’ingénieur agronome, jusqu’à ce que… visitant les étendues agricoles, le soldat découvre qu’on arrose les terrains avec un ersatz de Gatorade. En effet, dans le futur, l’eau est réservée aux toilettes, plus personne ne boit un liquide avec si peu de goût. Certainement que ça fait un peu trop efféminé.

Le besoin du mâle d’affirmer sa masculinité, le goût pour le sang, le trivial et le futile du peuple, l’anti-intellectualisme latent, le manque de sens critique, sexe et argent comme but existentiel, le tout arrosé d’idiotie : la société dans laquelle évolue Bowers ressemble à s’y méprendre à n’importe quelle société occidentale. Si le réalisateur n’avait à l’esprit que son propre pays, puisque le sens de la démesure, avec l’apparition d’une voiture tellement grande qu’elle ne passe plus entre les murs est culturellement moins compréhensible de ce côté-ci de l’Atlantique, le rire reste jaune, tant l’impression de voir se jouer une pièce mille fois entendue est forte.

Idiocracy est un film très divertissant, composé de passage ironiques voire cyniques, bien que tous ne soient pas de même valeur. Mais en plus de faire du bien aux zygomatiques, sa critique sociale, qui ne joue même pas au deuxième degré tellement elle est évidente, est un plaisir. Par moments, on croirait presque assister à une version des Monty Pythons, la subversion en plus et le génie visuel en moins.

La fin est de plus un régal : bien que président pour ainsi dire à vie, Joe Bowers se lance dans un discours tire-larme où il rappelle que le choix de devenir meilleur est individuel, que la volonté, c’est tout, et toutes les âneries qui font office de digestif à la fin de tout film hollywoodien qui se respecte. Sauf que l’inutilité de son discours est montrée quelques secondes plus tard, où l’on voit son adjoint avec une ribambelle de gosses, et lui-même avec une poignée de têtes blondes… la déchéance humaine ne saura être stoppée par le soldat, aussi moyen qu’il soit, et l’appauvrissement de l’ADN suivra son cour.

Une société gouvernée par des idiots, pour des idiots, avec des idiots; Lincoln, l’un des pères fondateurs de la démocratie étasunienne, n’avait certainement pas à l’esprit une telle suite à son projet. Mais rassurons-nous, idiocracy n’est qu’une fiction… et rallumons la télé.

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