Femmes gratuites pour la journée de la femme dans les gratuits

Le Matin bleu est l’un des deux journaux gratuits de Suisse-romande, pour lesquels j’avais effectué une brèves présentation des perspectives des journaux gratuits, il y a pile un an. Le phénomène des gratuits démarrait à peine, et j’ai émis la supposition erronée que « le Matin bleu [allait tendre] vers l’information-un-peu-moins-spectacle », puisque j’estimais que le recherche d’une identité allait le pousser à se démarquer. A côté de la plaque, j’ai été, puisque je livre ici la « une » du quotidien gratuit, en l’honneur de la journée de la femme :

Matin bleu couverture journée de la femme

Du trash, du vulgaire, voilà la une prévue pour la journée de la femme. J’ai longtemps été opposé à la féminisation des mots dans la langue française, avant de comprendre l’enjeu du débat. Donc aujourd’hui, je sais que je peux être taxé de féministe, bien que je ne pense pas fondamentalement l’être. Mais quand même, sans être féministe, tout homme, même un peu macho, se devrait d’être choqué; la photo – qui est plutôt réussie je trouve – démontre le fonctionnement des gratuits : on met du cul ou du sensationnel, puis on se demande comment combler les pages qui n’ont pas été achetées pour la pub. Assez enthousiasmé par la vague des journaux gratuits au commencement de l’aventure, je commence à avoir de la peine à leur trouver un quelconque intérêt. Je reproduis ci-dessous un petit message envoyé le 9 mars à la responsable de la rubrique people du journal :

Le jeudi 8 mars 2007 était la journée de la femme. Une journée dont le but est la réflexion sur la condition de la femme, la maltraitance, le machisme que certains mâles, mal intentionnés, ont du mal à réfréner. Une journée, une seule petite journée, où la femme arrive à faire parler d’elle de manière positive; ainsi, la Tribune de Genève avait fait ce choix symbolique (peut-être très commercial) d’être réalisée par ses journalistes femmes. Les femmes aux commandes, dans une société où lorsqu’elles sont au pouvoir, la suspicion s’installe : avec qui a-t-elle couché pour en arriver là, de qui est-elle l’amie, combien de gens plus compétents ont-ils été écrasés par cette arriviste.

Votre « une » choisie pour cette journée du 8 mars affiche en premier lieu que le matin bleu donne « la parole aux lectrices », en police de caractères maximum. Juste en dessous, énorme image qui mange la première page presque dans son ensemble. Des femmes de cabaret, dans des poses lascives, les visages tordus de provocation. De simples objets, dont les atours sexuels semblent être l’argument le plus important. Cette photo (très réussie, cela dit) de femmes provoquantes disposée juste sous le texte du matin bleu qui donne « la parole aux lectrices »; on se demande si c’est fait exprès.

Conclusion une : le matin bleu souhaite faire comprendre que ses lectrices sont des strip-teaseuse un peu débridées par la journée de la femme. Trop maladroit, passons à la seconde conclusion.

Conclusion deux : le matin bleu est tellement aveuglé par sa course au lecteur, qu’il ne recule devant aucune bassesse pour augmenter son tirage. Là où d’autres font le choix (démago, certainement) de faire travailler les femmes, au matin bleu on décide de les dénuder. Remarquez que la Tribune, comme le matin bleu, procède de la même logique commerciale… mais les choix sont tout autres. Les uns renforcent les préjugés, les autres essaient de les combattre.

La journée de la femme a pour but de montrer que la femme n’est pas un objet dont l’homme profite puis jette; et le matin bleu fait des choix pareils ? Même ce jour là ?

Les violences envers les femmes suivent une pente ascendante. Ne cherchez pas des explications trop compliquées, ouvrez simplement la « une » annexée…

Salutations désabusées.

Cet article a 17 commentaires

  1. Tonio

    Merci s427 … t’as devancé ma réponse.
    Yann: c’est bien pour ça que je les critique, et que je trouve leur réponse légère…

  2. Yann

    Des extraits des courriers des lecteurs par exemple.

    Oui, absolument. Mais j’imagine que cela ne les intéresse pas… C’est le grand problème des médias: on exige la transparence de chacun (parti politique, autorités diverses, entreprises…), mais dès qu’il s’agit d’appliquer cette transparence à soi-même, au média, il n’y a plus personne. On fait la leçon à tout le monde, mais on déteste être critiqué. L’introspection et la remise en question semblent des exercices malheureusement très difficiles…

  3. s427

    Je ne suis pas certain de la pertinence de la comparaison avec la Migros. Si tu peux changer ton chocolat, il me semble difficile de changer cette Une après parution.

    Non mais ils pourraient publier un « mea culpa » ou quelque chose du genre ? Des extraits des courriers des lecteurs par exemple.

  4. Yann

    Je ne suis pas certain de la pertinence de la comparaison avec la Migros. Si tu peux changer ton chocolat, il me semble difficile de changer cette Une après parution. Et comme tu l’as dit, on ne peut te rembourser ton gratuit.

    Reste donc à faire soi-même son chocolat: produire sa propre information et réflexion, par le blog, où des débats de ce type peuvent se tenir et des critiques être émises. Et les médias traditionnels mis sur le grill, face à leurs contradictions et à leur logique désormais financière plutôt qu’informative.

  5. Tonio

    Eh bien moi je ne suis pas convaincu par ton analyse Yann … simplement parce que oui, il se peut que la madame en question ne soit pas d’accord avec la une en question, mais finalement elle répond ce que l’on veut entendre, on est content et on s’en va .. trop facile!!!
    c’est comme si t’achète un chocolat fermenté à la migros, que tu le ramène et que la caissière elle te dit: ah oui c’est scandaleux .. je vais en parler à mon chef… je vous comprend monsieur, vous pouvez être fâché …. mais que finalement elle te change pas ton chocolat…
    navré, mais moi dans ce cas la je reste dormir à la migros jusqu’à ce qu’on me remplace mon chocolat…
    Après effectivement c’est gratuit … je peux ne pas le prendre.. mais c’est un peu un argument à 2 franc.

  6. jcv

    C’est vrai que la réponse était stupéfiante, très éloignée d’une langue de bois à laquelle on se serait attendu en pareilles circonstances !

    Cela dit… « Jean-Eude » ? Mais mon bon monsieur, je vais me voir contraint et forcé de lancer des contre-mesures abracadabrantesques, pensez-vous avoir les épaules suffisamment solides pour endosser les conséquences d’un pareil affront ?

    Je vous mets en garde une fois. Il n’y aura point de répétition supplémentaire, effronté !

  7. Yann

    Aïe, aïe, pitié, pas sur la tête, pas sur la tête.

  8. Yann

    A Tonio: j’ai également lu cette réponse et quant à moi, je ne la trouve pas « nulle ». Je vais réécrire ici ce que j’ai déjà transmis à Jean-Eude: « Je suis surpris en bien, comme on dit. De dire qu’il y a eu un vif débat dans la rédaction, qu’elle n’a pas eu le choix, qu’elle est d’accord avec les critiques qui lui sont faites: c’est reconnaitre beaucoup de choses. Surtout quand elle parle de « dérapage ». C’est là une belle preuve de transparence et de franchise ».

    On se plaint suffisamment que les médias ne justifient pas leurs choix, alors lorsqu’une explication est donnée, on ne devrait pas simplement balayer cela d’un revers de main en maugréant « bande de nazes ». Car oui, la Une est l’apanage du rédacteur en chef. Et oui, on élit en première page le sujet le plus accrocheur et non pas le plus informatif. Divertir plutôt qu’informer: les médias en sont malheureusement là…

  9. Tonio

    ouais je l’ai lue, et la réponse aussi… mais elle est nulle sa réponse.. genre « j’y suis pour rien c’est pas moi qui décide, je passe votre courrier au suivant… »
    Bande de nazes…

  10. jcv

    Non, rien du tout. Emilie Jendly, la responsable en question, m’a superbement ignoré. David, qui lui a écrit en premier, a reçu une réponse, mais je crois que face à l’avalanche de plaintes qui s’est déversée devant sa boîte e-mail, elle a dû décider de ne plus rien répondre. Parce que la lettre de David était encore plus salée que la mienne… 🙂

  11. Tonio

    Y’a-t-il eu une réponse à cette si sympathique lettre?

  12. jcv

    Je comprends ton doute; il y a parfois une part de conservatisme suranné (comprendre discours vieux con) chez les défenseurs-euses de la femme.

    Mais n’empêche : sous les talibans, la liberté de la femme consistait à oser se montrer. Sous un régime occidental, elle consiste à ne se montrer qu’à ceux qu’on désire. Le comportement des ados, qui violent à plusieurs des gamines, mais qui s’habillent comme des femmes qui n’auraient pas de formes, n’est pas innocent. On peut les entendre se justifier par des « c’est elle qui l’a cherché, elles sont toutes comme ça ».

    Les références sont le porno-chic, qui a absolument tout envahi, des savonnettes aux bonbons. Pour des jeunes, c’est l’exemple à suivre : autant les gamines qui s’habillent comme les pussy cat dolls, beyoncé ou autres fille fière de son indépendance mais n’hésitant pas à se montrer comme un simple objet sexuel. Et pour les jeunes ados, c’est le mâle viril sans sentiments – parce que trop cool pour ça – qui aligne exploit sexuel sur exploit sexuel. A ce titre, MTV me semble rassembler parfaitement de tout ce porno-chic environnant.

    La superficialité et le mensonge de ce pseudo-féminisme des groupes de filles se retrouve dans l’évolution des moeurs ados; elle parle pour elles. Les pratiques machistes et violentes sont encore et toujours la règle dans nos société, il n’y a qu’à voir le peu de cas fait de la journée de la femme dans un journal qui « peut se lâcher ». Le rédacteur en chef ne doit même pas voir la contradiction qu’il y a entre la journée de la femme, et montrer le jour-même des salopes de bas étage – je rappelle que les Pussy Cat Dolls, nom déjà en disant beaucoup sur l’approche, sont des strip-teaseuses.

    Il n’y pas, je pense, de pudibonderie ou de conservatisme mal placé. Du moins, j’essaie de combattre de tels sentiments. Cependant, le statut de la femme n’évolue plus dans société qui sont « au-dessus de tout soupçon ». Il a beaucoup évolué durant les années 60 et 70, mais après l’affirmation des années 80, les années 90 et 00 sont un simple étalage de femme comme marchandise. Les féministes sont raillées, et il est cool d’être une petite aguicheuse; cette évolution serait-elle fortuite, ou au contraire promue par les médias ?

  13. clic

    Ouep, je sais pas.
    Sous le régime des talibans, les femmes voilées trouvaient dans le maquillage une forme de « lutte ». Et dans un article cité par courrier international, la première boutique ouverte par une femme lorsque les marchés leur furent ouvert était une boutique de mode où s’y vendaient des magazines de mode genre Marie Claire, etc.
    Donc, je sais pas trop. Sur ce sujet, je n’arrive franchement pas à me décider. D’autant plus que la plupart de ces groupes ont un discours plutôt féministe (certes, ça peut paraître être du féminisme à deux balles, mais qui suis-je pour en juger?). On peut certes trouver que le thème de la « libération du corps » tourne à vide, qu’à la puissance du patriarcat a succédé celle de l’argent. Mais j’ai beaucoup de mal à me positionner sur ce débat, trouvant des arguments assez convaincants des deux côtés.

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