De la liberté en Afrique totalitaire

Au cours de ma découverte de l’histoire européenne, on a eu coutume de m’expliquer que l’individualisme européen fût le fruit du – notamment – siècle des Lumières. Que durant le XVIIIème siècle, période foisonnante d’idées et d’humanisme, que les nobles idéaux des droits de l’homme et de liberté face à l’arbitraire ont contaminé une région soumise jusque-là à l’absolutisme, qu’il soit de caractère religieux ou politique. Ces idées m’ont alors enthousiasmé, me présentant un monde manichéen d’avant, où l’homme était réduit à l’état de serf, et un monde d’après, où il était enfin libre – de se battre, mais libre tout de même.

Le Togo est un pays où l’absolutisme politique est une réalité d’aujourd’hui. Si il existe une liberté de la presse – qui a toutefois pour corollaire la liberté de se faire tabasser lorsqu’on va trop loin, le Prince est corrompu, sa cour l’est tout autant. Des législatives seront prochainement organisées – juin 2007 – mais le vrai pouvoir est entre les mains du Président. La constitution du pays ne prévoit pas une quelconque remise en cause du Président, ni un droit de regard sur ses décisions. Tout au plus sur le Premier Ministre, qui est nommé par… le Président.

Il faut encore ajouter à cet absolutisme politique la férule toute puissante de la religion : parmi la quantité de catholiques, protestants, témoins de jéhova, baptistes, évangélistes ou musulmans, trouver un non-croyant relève de la gageure. Ceux qui réussissent dans la vie sont aimés de Dieu, on prie pour se marier et avoir des enfants tous les jours, on se réunit en masse le dimanche lors d’une des 3 messes du jour pour louer le Seigneur. Omniprésente dans les esprits, la religion habite le Togolais (et l’Ouest africain) aussi sûrement que le matinal chant du coq n’inonde ville et village quotidiennement.

En somme, sont réunis au Togo les conditions pour un servage humain total. Conjuguant le carcan temporel et spirituel, il devrait être impossible pour le citoyen de respirer dans le pays. Et pourtant… on ressent une liberté énorme ici. La liberté de rire fort. La liberté de parler avec son voisin sans autre forme d’explication. La liberté de manger quand la faim vous prend. La liberté… d’être soi-même. On désapprend quantité de coutumes européennes : ne pas montrer du doigt, ne pas siffler les gens pour les appeler, fourchette et couteau sont superflus, on peut garer la voiture là où l’on s’arrête, etc. La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres; celles des autres commence juste un peu plus loin ici.

A la lecture de ces libertés retrouvées, on aurait la fausse impression de lire la profession de foi de feu Milton Friedman, pour qui l’individu doit cesser d’être écrasé par le groupe. Chacun pour soi, ou surtout chacun de son côté, telle est la société idéale que décrivait l’acharné détracteur de Keynes.

Et pourtant, on ne saurait imaginer de société plus éloignée de la vie locale. Même dans les grandes villes comme Lomé ou Ouagadougou (Bourkina Faso), tout est construit, pensé et réalisé autour de la communauté. De grands boulevards séparent des habitations – en terre à Ouaga, en ciment à Lomé – qui, vues de l’extérieur, n’ont rien d’excitant. Mais une fois passé le pas de la porte, on entre de plein pied dans un village miniature. Construit autour d’une cour, les gens vivent ensemble. Ils dorment en dehors de leur petite habitation, regardent la télévision fort, mangent à toute heure. Parfois est planté un arbre au coeur de la cour, à l’image des baobabs qui sont des lieux de rassemblement dans les villages plus traditionnels. Tout le monde vaque à ses occupations, le lieu pouvant grouiller d’une vie qu’on ne soupçonnerait pas une seconde de l’autre côté du mur. L’envers du décor est ici à l’extérieur, sur la scène; c’est en coulisses que les choses se passent.

Impossible de s’imprégner en si peu de temps d’us et coutumes si différents : on ne se comprend pas toujours, et au-delà des mots et des expressions différents, c’est un code social radicalement nouveau à digérer. On prête parfois des intentions à des actes totalement anodins, ou au contraire on ne réalise pas avoir franchis une limite de convenance. Mais dans tous les cas… les relations sont si simples, si libres, basées sur la confiance. La confiance se gagne, dit-on… alors on gagne bien plus et bien plus rapidement, dans ce continent si pauvre sur le plan matériel.

Dans ce havre de liberté retrouvée, on se surprend à se rappeler que tout est possible, et que les seules frontières que l’on voit, nous nous les sommes nous-même imposées. Il est temps de reprendre la lecture de Claude Lévi-Strauss là où j’avais laissé les lectures de John Locke, de Montesquieu ou de Rousseau.

Cet article a 9 commentaires

  1. jcv

    Salut merveille,

    Merci pour ton commentaire.

    La religion a longtemps été, en ce qui me concerne, ce que tu abordes : l’opium du peuple. En fidèle de Marx, mais non marxiste, je la voyais comme tu l’exprimes, un frein au développement et à l’épanouissement personnel.

    Puis, dans ma quête de l’athéisme vers l’agnosticisme, j’ai commencé à réaliser que la religion était tout au plus une béquille qu’un frein. Les croyants qui se raccrochent à elle le font par choix (par foi, devrais-je dire), mais un choix qui tient plus du désir d’appartenir à quelque chose de plus grand, qui les dépassent. Qui les rassurent aussi, évidemment, et on rejoindrait là la « vie en société » déformée que tu évoques. Mais même dans ce cas, c’est la grandeur du projet chrétien qui les attire : être membre d’une communauté partie à ce projet religieux donne un sens formidable à sa propre vie.

    Que le choix général du croyant soit conscient ou inconscient, il lui donne une certaine liberté. Surtout en Afrique, où Dieu est amour, au contraire de l’Europe, où Dieu est surveillant. Cette vision se retrouve dans la manière de célébrer le culte en Afrique, ou on chante ses louanges, où on le remercie de nous avoir donné une existance, un âme. Dès lors, si Dieu est amour, Dieu est pourvoyeur de sérénité, de bonté et d’échange. C’est un moteur de liberté, puisque pour lui faire plaisir, il faut être heureux. On doit le remercier, en exprimant physiquement sa reconnaissance.

    C’est ici que la liberté prend tout son sens : c’est librement que l’on choisit d’aller célébrer son bonheur, et ce n’est pas en raison des admonestations du curé/pasteur. En Afrique, ce n’est pas la peur qui guide l’acte religieux, mais bien la joie. Et ça change tout.

    La religion a été un instrument formidable de totalitarisme (en Europe) et d’impérialisme (en Afrique), mais de là à dire nous subissont encore une forme de totalitarisme religieux en Europe… les réactions unanimes des dirigeants européens aux positions désuètes des frères polonais sont, je crois, la preuve de la totale laïcisation des élites sur notre continent. Comment imaginer un continent plus éloigné d’un totalitarisme religieux ?

    Concernant les multinationales, on s’éloigne je pense du sujet qui consiste à mesurer la liberté à l’aune du groupe, de la vie en communauté… Ou peut-être t’ai-je mal compris.

  2. merveille

    De la liberté en Afrique, titre évocateur qui semble t-il serait un idéal vers lequel tendre.A mon sens, la réligion en afrique n’est qu’un subterfuge, un élément qui supplée le pouvoir politique et qui le conforte dans sa durée.Elle limite la remise en question et donne de la vie en société une vision déformé.J’apprécie ta vision des choses qui laisse une porte entrouverte sur une réflexion plus profonde. Je ne pense pas que le manque de libertés soit propre à l’Afrique.Selon moi, il existe une forme très subtile de totalitarisme en Europe aussi. Au lieu de stigmatiser un continent, la réflexion peut aussi s’étendre sur le pouvoir des multinationales dans la gestion de pouvoir en Europe.Certes, les libertés d’expression, de penser,etc sont plus prégnantes en Europe mais, il y a encore des choses à dire

  3. jcv

    Ma première question faisais référence à la religion et le fait que ton message sous entend que la religion est un signe de non liberté. Or pour me répondre tu utilise Hobbes et compagnie, en me disant qu’il ont lutter contre la religion pour obtenir un liberté… alors je te répond que je suis d’accord mais que maintenant en occident beaucoup sont encore croyant et ont plus moins obtenu la liberté que défendait hobbes et cie.
    Pour cette raison je dis qu’a mon sens la religion n’est plus vraiment un frein à la liberté … donc je ne suis pas d’accord avec la partie de ton article qui sous entend cela … voilà … moi je vois le rapport!

    Mais justement, tu compares deux choses qui n’ont strictement rien à voir : quel lien veux-tu faire entre les sociétés laiques européennes contemporaines, et les versions absolutistes qui ont parsemé le Moyen Age ? Je parle d’une période où pouvoir spirituel et temporel étaient confondus, absolus, et qui ‘peut-être’, n’était pas aussi liberticides que ça (en me faisant une comparaison avec ce que je vois au Togo). Tu me reprends en disant en substance qu’aujourd’hui, la religion n’est pas un frein à la liberté. J’avoue que je ne comprends pas le sens de ta remarque.

    Sinon quand je fais référence à l’expressivité des africains et suisse je parle surtout danse, chant etc … les suisse sont de nature plus coincée que les africains, oui c’est une forme de liberté, certes mais le fait que les suisse soit un peu rigide c’est leur droit, je ne crois pas qu’entre en question la liberté… d’où: je ne suis pas d’accord avec ton argument que parce qu’on chante, bouge etc on soit plus libre ….

    J’aimerais quand même que tu relises ce que j’ai écris, parce que là… Je parles de chanter ou de bouger, moi ? Je parle de « La liberté… d’être soi-même ». La complexité qu’ont atteints les rapports humains chez nous étouffent l’individu dans le groupe. Les partis dits libéraux croient que c’est parce que l’individu est trop écrasé par le groupe, et ce que j’observe ici, c’est que le groupe est source de liberté. Enfin, source n’est pas le mot le mieux choisit, il sonne comme un diagnostic trop définitif, que je ne pourrais établir après mes trois looongues semaines. Mais le groupe n’est en tout cas pas source de non liberté, maintenant j’en suis sûr.

    C’est plus complexe que simplement chanter ou danser, où à une expressivité plus accentuée d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée.

    Et enfin Schmitt.. oui le totalitarisme … simplement il a écrit un livre qui s’appelle “la dictature” .. et il a été repris par un auteur contemporain qui dit qu’on a banni schmitt car il était proche d’hilter le méchant mais que son oeuvre est bien plus importante que cela que en fin de compte pendant le 20e siècle on a vachement appliqué sa théorie … et encore plus maintenant avec la lutte contre le terrorisme.
    Shmitt reviens à la mode dans les théorie de l’Etat et cela devrait t’intéresser… c’est tout.

    J’ai toujours pas lu de bouquin de Schmitt, mais il me semblait que le titre de son fameux livre ressemblait à « Totalitarisme », d’où ma question.
    N’empêche que j’ai toujours eu envie de lire, au même titre qu’Arendt. A mon retour, comme je risque d’avoir beaucoup trop de temps libre 🙄 , je te promets de m’y plonger pour avoir quelque chose d’intelligent à dire sur le sujet.

    Cela dit, rien ne t’empêche de développer ta pensée sur le sujet ici…

  4. Tonio

    Ma première question faisais référence à la religion et le fait que ton message sous entend que la religion est un signe de non liberté. Or pour me répondre tu utilise Hobbes et compagnie, en me disant qu’il ont lutter contre la religion pour obtenir un liberté… alors je te répond que je suis d’accord mais que maintenant en occident beaucoup sont encore croyant et ont plus moins obtenu la liberté que défendait hobbes et cie.
    Pour cette raison je dis qu’a mon sens la religion n’est plus vraiment un frein à la liberté … donc je ne suis pas d’accord avec la partie de ton article qui sous entend cela … voilà … moi je vois le rapport!

    Sinon quand je fais référence à l’expressivité des africains et suisse je parle surtout danse, chant etc … les suisse sont de nature plus coincée que les africains, oui c’est une forme de liberté, certes mais le fait que les suisse soit un peu rigide c’est leur droit, je ne crois pas qu’entre en question la liberté… d’où: je ne suis pas d’accord avec ton argument que parce qu’on chante, bouge etc on soit plus libre ….

    Et enfin Schmitt.. oui le totalitarisme … simplement il a écrit un livre qui s’appelle « la dictature » .. et il a été repris par un auteur contemporain qui dit qu’on a banni schmitt car il était proche d’hilter le méchant mais que son oeuvre est bien plus importante que cela que en fin de compte pendant le 20e siècle on a vachement appliqué sa théorie … et encore plus maintenant avec la lutte contre le terrorisme.
    Shmitt reviens à la mode dans les théorie de l’Etat et cela devrait t’intéresser… c’est tout.

  5. jcv

    Ensuite je te rappelle qu’a ce cour j’ai eu 5,25 ou 5,5 (sur 6) et qu’à l’oral je suis tombé sur Hobbes. Et que c’est pas parce qu’on est pas assis au premier rang qu’on n’est pas là…

    Oserais-tu nier que tu ne venais pas en cours ? Et je ne vois pas ce que vient faire la note là-dedans… ?

    Et là où je ne suis pas d’ac avec ta comparaison est qu’au moment des lumières la religion avait le pouvoir. La monarchie dépendait de dieu etc. Or maintenant dans les démocraties occidentales la séparation église Etat est effective, on peut donc dire que la liberté de culte et de religion est une liberté individuelle et non un poids dans les décisions étatiques. L’église fonctionne comme un lobby maintenant.

    Je vois pas très bien le rapport avec ce que j’ai écrit. J’explique qu’en Occident, la liberté individuelle s’est acquise à force de lutte contre l’absolutisme politique ou religieux. Quel rapport avec la laïcité ou la liberté de culte aujourd’hui ? Je vois pas bien où tu veux en venir…

    Je serais curieux de savoir comment va ta réflexion, je crains que ton élitisme s’accentue, et que tu confondes allégresse et liberté. Dans ce cas il n’y a pas de doute, les Africains sont bien plus expressifs que les suisses, mais ce qui ne veut pas dire qu’il soit bien plus libre.

    L’expression n’est-elle pas justement un signe extérieur de liberté ?

    Cela me fait penser, tu devrais lire Karl Schmitt (la dictature); il y a aussi un auteur qui vient de publier un truc sur lui et qui explique pourquoi le 20e était une dictature (selon la définition de Schmitt)… je ne l’ai pas sous la main mais je te donne le nom. Je suis sûr que cela t’aiderai à être un peu plus totalitaire, mais dans une forme légale.

    Tu parles du totalitarisme de Schmitt, ou d’autre chose ?

    Bref, je ne suis pas sûr que tu aies correctement interprété ce que j’ai écris dans mon premier message et précisé dans le second.

  6. jcv

    T’es content que Firefox 2 te corrige les fautes d’ortho, mais je préfère t’avertir qu’il ne rajoute pas les mots manquants. 🙂

    Je ne sous-entends rien du tout. On nous a expliqué à toi comme à moi, mais toi tu venais rarement en amphi lors de ces cours-là (ahem…), que la liberté occidentale était résultante d’un long combat contre l’absolutisme religieux d’abord, politique ensuite. A lire Hobbes, on a l’impression que la religion empêche l’être humain d’être libre. A lire Rousseau ou Locke, c’est le Léviathan qu’il faut combattre.

    Or, ici le Léviathan existe sous forme religieux comme sous forme politique. Et pourtant, les gens sont si libres… ils sont parfois tabassés par la police, les prédicateurs les menacent le dimanche des feux de l’enfer, mais ils sont si libres…

    Ca m’amène à remettre en question une bonne partie de l’évolution occidentale, et à prendre beaucoup de distance par rapport au prétendu manque de liberté sous des régimes absolutistes. Peut-être était-on plus libre, nous aussi… Je continue mon bonhomme de chemin de réflexion sur la démocratie, puisque j’ai toujours été au mieux circonspect avec cette forme de gouvernement. Et ce que je vois en ce moment me confirme dans mes idées : la démocratie est plus un système pour stabiliser la nation, qu’une forme politique permettant à l’homme d’atteindre la liberté (et donc le bonheur).

    PS : je serai heureux de vivre sous une dictature le jour où je serai aux commandes.

  7. Tonio

    Pour les mots manquants t’as le droit de les ajouter .. la censure peut aussi être positive.

    Ensuite je te rappelle qu’a ce cour j’ai eu 5,25 ou 5,5 (sur 6) et qu’à l’oral je suis tombé sur Hobbes. Et que c’est pas parce qu’on est pas assis au premier rang qu’on n’est pas là… :8

    Et là où je ne suis pas d’ac avec ta comparaison est qu’au moment des lumières la religion avait le pouvoir. La monarchie dépendait de dieu etc. Or maintenant dans les démocraties occidentales la séparation église Etat est effective, on peut donc dire que la liberté de culte et de religion est une liberté individuelle et non un poids dans les décisions étatiques. L’église fonctionne comme un lobby maintenant.

    Je serais curieux de savoir comment va ta réflexion, je crains que ton élitisme s’accentue, et que tu confondes allégresse et liberté. Dans ce cas il n’y a pas de doute, les Africains sont bien plus expressifs que les suisses, mais ce qui ne veut pas dire qu’il soit bien plus libre.

    Cela me fait penser, tu devrais lire Karl Schmitt (la dictature); il y a aussi un auteur qui vient de publier un truc sur lui et qui explique pourquoi le 20e était une dictature (selon la définition de Schmitt)… je ne l’ai pas sous la main mais je te donne le nom. Je suis sûr que cela t’aiderai à être un peu plus totalitaire, mais dans une forme légale.
    Et pour ton PS … moi j’y travaille, j’ai vais bientôt convaincre ma femme de faire campagne pour la mairie … et ensuite … mais là on parle déjà dans du long terme 8)

  8. Tonio

    Au début de ton texte tu sous entend que la religion est une marque non liberté… ne crois-tu pas que l’on vivre très libre tout en étant croyant. (je dis très libre, pas complètement libre)
    Je pense par exemple aux USA, mais il y a plein d’autre exemple.

    Bon de toute façon dis pas que cela ne te plais pas de vivre sous une dictature. 🙂

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