Le parlement français face au P2P – 2ème partie

Une partie de la journée d’hier a été consacrée à la poursuite des discussions liées à la loi Droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) au sein de l’Assemblée nationale française. Et dès l’ouverture, cette discussion se transforme en poudrière.

En effet, après avoir demandé la procédure urgente pour l’examen de la DADVSI, au prétexte que l’Union européenne risque d’infliger une forte amende à la France si celle-ci ne transpose pas la directive relative aux droits d’auteurs dans le monde numérique, le gouvernement décide de repousser l’examen des deux premiers articles du texte. Bien que l’on comprenne aisément que l’amendement précédemment accepté sur l’article premier compromette l’équilibre recherché dans la loi soumise au parlement, le report signifie que la loi ne pourra être voté, quoi qu’il advienne, avant les fêtes; dès lors, on comprend difficilement en quoi la poursuite des débats sur le reste des articles, continue à être urgente. Le député socialiste Jean Le Garrec s’exclame :

[…] on nous demande de trancher plus tard sur des points essentiels, alors que le Gouvernement a déclaré l’urgence sur ce projet de loi – et bien à tort ! Si la dialectique peut casser des briques, […] elle ne peut pas briser notre Règlement et votre explication ne tient pas la route.

Il faut noter que près de 25 amendements ont été déposés entre le 20 et 21 décembre, ce que l’opposition (et l’UDF) ne cessera de condamner, tout le long de la journée. A plusieurs reprise, des députés découvriront avec surprise que l’un des amendements soumis au vote reprend en substance l’un de ses amendements précédemment déposé.

La discussion va toutefois se poursuivre, et les articles débattus et adoptés vont se succéder. On assistera à une citations plutôt cocasses lors du débat sur les webradios, à l’image d’un membre de l’UMP citant Joey Starr, ce qui ne manquera pas d’amuser l’opposition. Elle fera remarquer qu’un jour cet individu est le diable, et le suivant il est personne d’autorité en matière de droits d’auteurs. La députée apartisanne (mais de sensibilité verte) Martine Billard de tancer :

Nous vivons de grands moments : un porte-parole de l’UMP cite Joey Starr en exemple ! Tout arrive !

Malgré les mises en garde de l’opposition sur la survie impossible des petites webradios à cet article, rien n’y fera toutefois, les webradios devront s’acquitter d’une redevance pour la diffusion de musique.

Coeur de la discussion en soirée, l’article 7 de la loi DAVDSI donnera lieu à des explications passionnées; cet article stipule que « les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur, d’une oeuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, sont protégées dans les conditions prévues au présent titre. Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels […] ». Article très critiqué, l’opposition et l’UDF déclarent qu’il s’agit là ni plus ni moins que de donner un monopole de fait aux industriels déjà dominants (Microsoft, Sony), qui pourront créer des « chaînes » de dépendance, vérouillant le choix des consommateurs en leur faveur.

Les délibérations parlementaires se termineront en démonstration du manque de préparation des différents députés. En effet, dans le feu de l’action, la licence globale avait été accepté mercredi soir, surprenant le ministre de la culture. Les députés de la majorité qui sont là en ce jeudi soir ne sont plus les mêmes, et sont eux fortement opposés à la licence globale. Précisions des députés UMP, qui expliquent que si les articles acceptés étaient à revoter, l’issue en serait différente. En d’autres termes, c’est un appel au ministre de la culture de demander une seconde lecture du premier article de la loi, pour un nouveau vote – menace à peine voilée de ne plus voter cet dans le même sens.

C’est sur cette note ambiguë que le l’Assemblée prendra congée, ne reprenant le débat que le 17 janvier 2006. Les trois semaines de pause hivernale ne seront pas de trop pour prendre la pleine mesure des articles déjà votés, et de ceux qu’il reste à adopter.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la sérénité n’a pas régné dans l’Hémicycle. Les élus, qui ne prenaient connaissance des amendements au texte de loi originel presque au moment même du vote, et alors que certains étaient sous une pression inacceptable des lobbies de l’industrie musicale, les discussions ont été biaisées. Pour preuve, le revirement de l’UMP sur l’article dit de « licence globale », qui en « apportant des troupes fraîches » – dira le député communiste Jean-Pierre Brard – fait machine arrière. Manque de préparation évident, passion un peu trop attisée par des lobbies qui n’ont rien à faire dans l’enceinte du Parlement, le délai pour la reprise des débats permettra peut-être à certains de reprendre leurs esprits.

Il est à signaler, enfin que la plupart des articles et amendements se sont votés à 50 députés, sur un total opérationel de… 577 sièges. Moins de 10% des députés français ont participés à une loi engageant la France dans la société de l’information, un domaine dans lequel tout pays industrialisé se doit de s’investir de toutes ses forces, car c’est là que ses avantages comparatifs résident. Très technique il est vrai, cette loi revêt toutefois trop d’importance pour pour être débattu par si peu de parlementaires. Enfin, et ce n’est pas la première fois, on peut constater que si l’opposition se sentait vraiment impliquée, elle aurait pu faire pencher la balance de son côté, en mobilisant ses propres « troupes ».

Rendez-vous donc après les fêtes, pour la suite des débats.

Sources : 2ème et 3ème séance de jeudi. Le dossier constitué sur le site de l’Assemblée permet l’accès à la totalité des amendements, au texte de loi, aux travaux de la Commission.

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